13 Novembre : "La justice, avec son propre vocabulaire et son tempo, est une inconnue"

Les parties civiles, soit plus de 1 000 personnes faisant partie des victimes et de leurs familles, ont commencé à rencontrer ce mardi à Paris les juges d’instruction, afin d’être informées sur une procédure qui devrait durer plusieurs années.

Au Bistro de Gaspard, ils boivent un verre de vin rouge en attendant leurs plats. Emmanuel Domenach et Aurélia Gilbert ne pensaient sans doute pas se retrouver là, mardi, dans un restaurant aux abords de l’Ecole militaire à Paris, dans le quartier des Invalides. A se demander, en tant que victimes des attentats du 13 Novembre, comment les jihadistes ont pu échapper pendant des mois à la police. Et à se poser mille autres questions. Sur d’éventuels cafouillages des enquêteurs. Sur l’avancée des recherches et la stratégie de l’Etat français dans sa coopération avec la Belgique. Sur la supposée débilité des terroristes - pour eux, « Salah Abdeslam est loin d’être neuneu ». Sur le choix, aussi, du Bataclan comme l’une des cibles des attaques de novembre.

« Cavalerie ».

Et pourtant. Le Bataclan, Emmanuel et Aurélia y étaient, ce soir-là. Ils s’en sont sortis. Aujourd’hui, ils sont respectivement vice-président et admnistratrice au sein de l’association 13 Novembre : fraternité et vérité, ainsi que parties civiles dans l’enquête sur les attentats, menée par six juges d’instruction. Et, toutes ces interrogations, ils s’apprêtent à les présenter directement aux magistrats. La première réunion a eu lieu mardi, deux autres sont prévues ces mercredi et jeudi. Pour la première fois, les juges rencontrent toutes les personnes s’étant portées parties civiles dans le dossier. Les rescapés. Les blessés. Les familles endeuillées. La plupart, accompagnées de leurs avocats. Pour les informer sur l’instruction en cours, d’abord, mais surtout pour répondre à leurs questions.

La première journée est consacrée aux victimes des attentats du Stade de France et des terrasses de café, deux autres pour celles de la salle de concert. Emmanuel et Aurélia ne peuvent donc pas rentrer à la réunion de mardi : leur tour viendra jeudi. Alors, ils attendent la sortie d’autres membres de leur association, prévue à 18 heures, pour se retrouver et échanger sur le contenu de leur entrevue avec les magistrats. « Cela risque de susciter beaucoup d’émotions », souffle Emmanuel. Plus de mille personnes sont attendues sur les trois jours pour être briefées sur une procédure qui devrait durer des années.

Mardi, peu avant 14 heures, les dernières victimes arrivent devant le bâtiment des Invalides. Là même où avait été affichée, il y a quelques mois, la liste des 130 morts et 413 blessés des attaques terroristes sans précédent dans la capitale. Un homme se présente dans l’allée pour accéder à la réunion. Sur le haut de l’immense bâtiment, il est noté « Cavalerie ». Des micros et des caméras se ruent vers lui. Il est rescapé de l’attaque du café la Bonne Bière, a une voix douce, ne souhaite pas s’épancher. Outre apporter son soutien aux familles qui ont perdu un proche, « tout ce qu’[il] attend, ce sont des explications sur la procédure ». Pas facile en effet pour les victimes de toujours être au fait du déroulement de l’enquête. « Expliquer, rassurer, donner confiance : voilà ce à quoi vont devoir s’attacher les juges pendant ces trois jours, estime Stéphane Gicquel, secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac). La justice, avec son propre vocabulaire et son tempo, est une grande inconnue pour beaucoup de gens. »

Ainsi la Fenvac accompagne 600 personnes, et autant d’interrogations potentielles. De quoi voir « fuser les questions dans tous les sens » pendant les trois jours de réunion, dit Me Antoine Casubolo Ferro, avocat de l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT).

« Suspens ».

Evidemment, « beaucoup attendent des précisions sur Salah Abdeslam », qui refuse de parler et complique donc l’affaire - sans pour autant empêcher la procédure de continuer. Tous ceux qui sont conviés à l’Ecole militaire attendent des éclaircissements sur les zones d’ombre de l’enquête, avant et pendant les attentats. L’avocat de l’AFVT se félicite en tout cas de « cette première étape qui permet aux victimes d’avancer ».

Comme l’explique Guillaume Denoix de Saint Marc, le président de l’association, l’enjeu des réunions n’est pas vraiment « de faire des révélations sur l’enquête » : « Le plus important, c’est qu’un bon contact s’établisse entre les parties civiles et les juges, que les victimes sentent leur complète implication dans le dossier. » Ces trois jours sont à la fois « craints » et « attendus », dit-il. Craints pour les souvenirs qui vont remonter. Attendus parce que les parties civiles veulent savoir. Une attente qui risque d’être déçue : « C’est le dossier pénal qui est en jeu. Des questions qui ne concernent pas ce volet-là vont donc rester en suspens. »

La problématique des indemnisations, gérée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme, fait pourtant partie des préoccupations. Tout comme l’action étatique de soutien aux victimes, jugée parfois insuffisante. C’est le cas d’Emmanuel et Aurélia, pour qui « l’Etat se repose sur les associations ».

Au Bistro de Gaspard, ils attendent toujours leurs amis. Ils pensent que ces moments d’échanges seront précieux. Le dossier, les institutions, les procédures, le jargon, ils les connaissent désormais sur le bout des doigts. Jeudi, à l’Ecole militaire, ils sauront se faire entendre.

Source : Liberation.fr
Auteur : Amélie Quentel
Date : 24.05.2016

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