Les expertises judiciaires techniques (2007)

Par MF Steinlé-Feuerbach,
Maître de conférence,
Directrice du CERDACC

Journal des accidents et des catastrophes

Les colloques sur l’expertise se suivent mais ne se ressemblent pas. Celui de la FENVAC a permis à une assemblée nombreuse de réfléchir à cette problématique du point de vue des victimes d’accidents collectifs.
La matinée s’ est structurée en fonction des différents acteurs : les victimes, leurs avocats, les experts et les magistrats.

Pierre-Etienne Denis, président de la FENVAC ouvre la journée en soulignant l’étroitesse des liens entre la FENVAC et l’INAVEM, dont la présence du président Hubert Bonin, accompagné de son équipe, attestait de l’intérêt des services d’aide aux victimes. M.Denis indique que les colloques FENVAC sont un lieu d’échange, d’apprentissage pratiques. L’expert judiciaire est un inconnu pour la victime dans un monde qui lui est lui-même inconnu. Les preuves doivent servir à ce que les accidents ne se produisent plus, particulièrement dans les systèmes complexes.

Le colloque commence par des témoignages de victimes.
Jacques Bresson, qui représente les victimes de la catastrophe de la gare de Lyon (27 juin 1988), énumère 20 causes de la catastrophe, un tiers d’entre elles correspondant à des fautes humaines, les deux autres tiers à des fautes de personnes non poursuivies ou à des dysfonctionnements. Au début du procès, l’expert a annoncé qu’il avait fait toute sa carrière à la SNCF, ce qui pose bien entendu la question de son indépendance.

Pour Xavier Chancelot, les victimes ont été satisfaites de l’enquête judiciaire menée après l’incendie dans le tunnel du Mont Blanc. Il souligne cependant la difficulté essentielle de l’expertise qui est sa complexité : comment vulgariser les analyses techniques et scientifiques ? Est également soulevée la question du coût des expertises. Les victimes ont-elles, comme certains prévenus, les moyens d’aider la justice à payer les experts ?

Est ensuite abordé l’accident du Queen Mary II. Le procès vient d’avoir lieu, le jugement sera rendu en février 2008. Il s’agit ici d’une autre approche de l’expertise puisque l’origine de l’accident est simple : du matériel d’échafaudage qui s’est écroulé, il y avait des témoins. Ici le travail des experts a consisté à examiner l’état des tuyaux. Il est intéressant de relever que deux missions d’expertise ont été initiées par les parties civiles. Les experts étaient compétents et localement indépendants des personnes morales mises en cause, ils ont apporté des éléments incontestables sur les causes directes de l’accident.

Sylvie Forest évoque l’explosion au gaz de Dijon. La nuit du drame, un expert et arrivé à 3 h du matin, il a vu immédiatement qu’il y avait une accumulation de gaz dans le sous-sol. Les experts suivants sont ceux de GDF et des personnes sollicitées par GDF. Presque tous les experts ont été choisis par GDF et, sur la centaine de pages des rapports, le problème de la fonte grise n’est pas soulevé ; ont été mis en cause des travaux publics faits des années auparavant. Seule une contre-expertise permettra de mettre en évidence les problèmes posés par la fonte grise.

Jean-Marie Schreiber, qui représente les victimes du crash d’Habsheim, rappelle que l’A 320 était en phase de lancement. A l’époque de l’accident, les associations ne pouvaient pas être partie civile. Pour avoir accès à un minimum d’information, il n’y avait qu’une seule possibilité qui était de se rapprocher du pilote. D’après les premières expertises, c’est l’ambiance festive de la cabine qui aurait troublé le pilote, pour la deuxième série d’expertises, la question était centrée sur la disparition de la boîte noire.

Le cas de l’avalanche de Montroc (M-F S-F, « Responsabilité pénale des maires : le retour à la sévérité (Commentaire du jugement rendu le 17 juillet 2003 par le tribunal correctionnel de Bonneville) », LPA 11 mai 2005) est particulier, c’est au cours du procès que l’on a découvert qu’il y avait des responsabilités et les victimes se sont constituées en association après le procès. L’AIRAP « Association pour l’information sur les risques d’avalanche et leur prévention » a un objet original et pertinent : obtenir des PPR (plans de prévention des risques) mieux faits. Celui de Chamonix est en cours et l’association a décidé qu’il lui fallait des experts. Est posée une fois de plus la question de l’indépendance de l’expert, mais cette fois par rapport à l’Etat. Le travail effectué pour la rédaction d’un guide méthodologique d’avalanche est souligné mais il est regretté que les zones jaunes (avalanches plus rares mais plus dévastatrices) recommandées par l’Etat lors de l’élaboration des PPR n’aient pas la faveur des élus locaux.

Après les témoignages des victimes, la parole est donnée aux avocats de victimes. Me Denis Dreyfus évoque l’expertise dans le procès pénal : quelle est la place de la science dans le procès ? La science peut-elle participer à la vérité judiciaire ? De multiples questions se posent quant à la place de l’expert mais également quant à celle que doit conserver le juge, celui-ci doit demeurer libre dans son appréciation. L’expertise constitue une nécessité, celle d’un besoin de compétence mais aussi celle d’une éthique et d’un meilleur contradictoire. Selon Me Dreyfus il faut aller vers la collégialité des experts, une éthique qui entraîne une neutralité, des règles procédurales qui confortent la valeur de l’expertise.

Pour Me Claude Lienhard, la question de l’expertise est une essentielle et transversale, elle est au cœur de la recherche des responsabilités pénales, civiles ou administratives dans l’hypothèse de violences involontaires. Le droit à l’expertise équitable s’inscrit dans le procès équitable, c’est l’article 6 de la convention européenne des Droits de l’Homme. La Cour Européenne des Droits de l’Homme estime que les exigences du contradictoire doivent s’appliquer à la phase d’expertise technique. D’ailleurs cette tendance a amené le législateur français à améliorer le contradictoire. La question suivante est celle de l’impartialité avec là une position un peu ambiguë de la Cour qui tient compte de la difficulté pour le juge de trouver des techniciens de haut niveau adaptés à la complexité des faits pour justifier une exigence atténuée quant à l’impartialité de l’expert. Me Lienhard évoque la création de pôles d’instruction spécialisés (proposition de loi déposée par M. Blazy et Mme Saugue dans le domaine des transports, création des JIRS dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire). Ensuite, il faut rendre l’expertise pénale vraiment contradictoire, tout doit transparaître ; il importe que l’expert rende des rapports d’étapes et un pré-rapport. On est dans le domaine de la contractualisation possible et, à cet égard, il semble que la FENVAC a un rôle très particulier à jouer. Claude Lienhard précise encore que l’on est dans un mouvement plus vaste de civilisation du procès pénal par le contradictoire.

Marielle THUAU, chef du bureau d’aide aux victimes de la Chancellerie, intervient pour annoncer qu’elle souhaite reprendre des travaux sur l’expertise, elle s’inquiète également du coût des expertises.

Le travail de l’expert judiciaire est ensuite exposé par André Kleniewski, expert près la Cour de cassation et par Claude Guibert, expert spécialisé en aéronautique, qui considère que le traumatisme social est en partie réparé par l’enquête judiciaire et le procès.

A ce colloque, comme en cas de procès, c’est aux magistrats que revient la parole finale. Antoine Brigère, doyen des juges d’instruction au TGI de Dijon, a traité deux affaires d’accident collectif dont celle de l’explosion au gaz de Dijon. Il souligne que le juge d’instruction n’intervient jamais en premier, c’est le procureur qui choisit les premiers experts. En principe dans ce type de dossier on a toujours affaire à une collégialité. Le juge dispose de deux viviers, la liste des experts d’abord, et des spécialistes hors liste ensuite. Pour les experts figurant sur les listes, leur probité est garantie par le fait qu’ils sont assermentés et ils présentent l’avantage de savoir rédiger un rapport ; mais ils vont toujours rencontrer les mêmes interlocuteurs et il se peut que des liens se tissent. Les sachant hors des listes ont moins l’habitude mais ils ont un regard nouveau, le brassage entre les deux viviers n’est pas forcément un mal. M Brigère expose ensuite la progression des droits des parties depuis la loi de mai 2007, il insiste sur l’intérêt pour les parties de prendre le même avocat afin de ne pas « couler » l’expertise par de trop nombreuses demandes. Ici encore est abordé le coût des expertises.

Pierre Wagner, vice-président du TGI de Strasbourg, était en charge de la présidence du procès du Mont Ste Odile (actuellement en appel) devant le tribunal correctionnel de Colmar. Il rappelle que le juge d’instruction oeuvre avant le juge du procès : le travail du juge d’instruction est de construire un dossier et d’en saisir le tribunal. L’instruction n’a pas pour finalité de désigner un coupable, le dernier mot revient au tribunal. Dans un dossier de catastrophe, il est incontournable qu’il y ait plusieurs expertises. Lorsque le magistrat prépare l’audience, il peut se trouver confronté à un dossier colossal qu’il doit, non pas seulement lire, mais qu’il doit posséder, s’approprier. Les expertises sont la plupart du temps techniques et le juge doit plonger dans un univers qu’il ne maîtrise pas. M Wagner pense que la spécialisation des magistrats ne les mettra pas à l’abri, car comment spécialiser pour chaque type d’accident ?

Au-delà, l’expertise est un des éléments du procès mais pas une fin en soi ; il faut établir un équilibre avec les autres éléments du dossier. L’expertise a une force probante qui existe mais qui est limitée, elle a une valeur relative et non absolue. Chacun a sa place dans le procès pénal, c’est le juge qui décide. Le juge et les experts sont complémentaires et non concurrents. Il y a une certitude technique d’un côte et une intime conviction de l’autre. La motivation est le bastion du juge.

Après une matinée consacrée à des exposés extrêmement enrichissants, les participants sont conviés à poursuivre des libres échanges sur l’expertise dans les ateliers thématiques.

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