Accident de TER à Saint-Médard-sur-Ille : les bienfaits inattendus du procès

12 octobre 2011, un TER percute un poids-lourd au passage à niveau de Saint-Médard-sur-Ille : trois morts et une soixantaine de blessés.
A quelques jours du délibéré, des victimes confient combien le procès qui a eu lieu mi-avril, a représenté une étape dans leur démarche de reconstruction.

12 octobre 2011. C’était un mardi ordinaire. Comme chaque jour en fin d’après-midi, le TER Rennes - Saint-Malo ramène à la maison beaucoup d’habitués de la ligne, souvent des actifs, voyageurs quotidiens de ce trajet travail-domicile. Quelques minutes après le départ, il est 17 h 15, des vies se brisent en une fraction de seconde. Le TER lancé à 140 km/h frappe le poids lourd, déjà une masse de ferraille informe, qui s’agite et frappe les flancs des wagons, qu’elle déchire comme un ouvre-boîte incontrôlable et maladroit.

Des gens meurent, d’autres dont le corps ne peut pas endurer tant de douleur, sombrent dans le coma, d’autres encore hurlent de souffrance ou d’effroi et puis il reste ceux encore assez valides et guidés par une force, qu’ils ne se connaissaient peut-être pas, qui vont porter les premiers secours à leurs malheureux compagnons de route.

Après les soins intensifs, la chirurgie, la rééducation, l’assistance psychologique, la vie a repris le dessus. Une vie autre, reconstruite, chaque jour à petit pas.
Pour certains, ce sera désormais une cohabitation avec un corps atrophié, sans travail, sans les conversations avec les collègues…

Sortir de la stupeur et prendre un nouveau départ

Comment sortir de la stupeur, redéfinir sa place et accepter de prendre un nouveau départ ?

D’abord grâce au pardon.

Le procès a permis à toutes les victimes qui le souhaitaient de s’exprimer et également d’entendre les prévenus, chauffeur du camion et représentants de la SNCF. L’effet de ces paroles n’avait été anticipé par personne.
Elles ont provoqué la colère, quand la SNCF développait un discours technique, pour expliquer pourquoi des accidents précédents sur ce même passage à niveau n’avaient pas suffi à faire modifier la configuration des lieux.

Elles ont libéré les victimes d’un poids qu’elles n’avaient pas encore identifié, quand le chauffeur du camion a présenté ses excuses et a expliqué sa faiblesse.

Parce qu’il est un être humain, il est faillible, parce qu’il est faillible, il n’a pas su gérer la situation qui allait provoquer le drame.

La justice a alors cédé sa place à l’humanité dans la salle d’audience. Il n’était plus question de sanction voire de désir de vengeance, mais de compréhension, d’empathie. Des victimes réalisent que cet homme à la barre, leur ressemble, qu’il a manqué de lucidité comme cela aurait peut-être pu se produire pour chacune d’elle. Alors beaucoup décident de pardonner et quelques-uns le lui disent les yeux dans les yeux. Un homme, Dominique, victime rappelons-le, va même jusqu’à prononcer ces mots incroyables :

Je vous demande de vous reconstruire

Un procès serait donc bien plus qu’un rendez-vous de justice.
Également parce qu’il rassemble au même endroit et au même moment des victimes qui pour plusieurs d’entre elles ne se seraient jamais revues. Tous les voyageurs ne se connaissent pas. Se croiser régulièrement dans un train ne fait pas forcément de vous des amis. C’est pour cette raison que Marie-Louise par exemple, inconsciente après le choc, n’a jamais su qui lui avait maintenu son crâne ensanglanté en attendant les secours.
Je ne me souviens de rien, il y a quinze jours de ma vie où je ne sais rien

Au dernier jour du procès, une femme, Stéphanie, s’avance vers elle. Elle vient d’écouter la plaidoirie de l’avocat de Marie-Louise et comprend. C’est cette femme que j’ai aidée. Marie-Louise retrouve alors son ange gardien et en même temps le récit d’une page de sa vie qui lui avait échappé.

De retour à la vie après le coma, Marie Louise n’a pas pu expliquer à son mari ou à ses enfants ce qui avait brisé son corps, comment tout ça lui était arrivé. Une demande forte de ses proches pourtant, qui avaient besoin de mettre des mots sur le drame pour mieux l’accepter. C’est maintenant chose faite.

« Ça y est, autour de moi, ils peuvent savoir qui m’a porté secours, dans quel état j’étais, et savoir que eux sont content d’avoir leurs réponses, et bien moi ça me va »

Le reportage d’Eric Pinault, Bruno Van Wassenhove et Jean-François Barré
Des plaies se referment aussi pour Stéphanie. Elle a longtemps imaginé que Marie-Louise serait défigurée et est heureuse de la retrouver « toute belle ». Subitement toutes les questions trouvent leurs réponses. « J’ai toujours refoulé tout ça parce que ça me faisait trop mal. Je parlais toujours du chaos, du noir alors que maintenant que j’ai revu Marie-Louise c’est comme une sortie de tunnel. Ça y est, t’as aidé quelqu’un et elle est là, elle est vivante… toutes ces questions qui m’ont hantée, y’en a plus. On clôt un chapitre, on repart sur autre chose mais quelque chose de beau en fin de compte ».

Évidemment quand la mort a frappé, quand le handicape s’est installé : la justice DOIT passer. Elle ne satisfait pas toujours les victimes toutefois.

Celles de Saint-Médard-sur-Ille par exemple, regrettent déjà que la responsabilité de la SNCF n’ait pas été mise en cause dans la plaidoirie de la procureure.
Alors sans attendre le jugement, Marie Louise a choisi de reprendre la main.
Elle a prononcé SON verdict.
C’est mon histoire et elle m’appartient, tout ce qui s’est passé là nous fait grandir.

Source : France Info
Auteur : Éric PINAULT
Date : 30/06/2018

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