Au procès de la filière djihadiste de Cannes-Torcy, le père de l’un des accusés témoigne de sa souffrance

Accusé de l’attentat contre une épicerie juive de Sarcelles en 2012, Jérémy Bailly encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Son père a suivi tout le procès, pour comprendre et pour soutenir son fils. Nous l’avons rencontré avant le verdict rendu ce jeudi.

Il est le père de l’un des principaux accusés du procès de la filière dite de Cannes-Torcy. Son fils, Jérémy Bailly encourt la réclusion criminelle à perpétuité, accusé notamment de l’attentat dirigé contre une épicerie juive de Sarcelles qui avait fait un blessé le 19 septembre 2012. Et il a suivi tout le procès, deux mois d’audience entiers, depuis le jour où il a été appelé à la barre des témoins.
Patrick Bailly est resté à la fois pour comprendre et pour soutenir son fils. Il a accepté cet entretien que nous avons choisi de ne diffuser qu’à la toute fin du procès, le jour où les magistrats professionnels qui composent la Cour d’Assises spéciale de Paris se retireront pour délibérer.

- Qu’avez-vous dit quand vous êtes venu à la barre des témoins ?

A la barre des témoins, j’ai dit ce que je pouvais ressentir, avec la grande appréhension d’être sur place, dans une situation aussi dramatique. J’ai dit que je voulais que mon fils soit jugé pour les faits qu’il a commis, que justice soit faite à ce niveau-là, qu’il soit jugé de bonne manière, et non pas pour des faits qu’il n’a peut-être pas commis et pas par rapport au contexte avec tous les éléments malheureux qui se sont produits depuis 4 ans et demi. J’espère que l’on ne tiendra pas compte de tout cela.

- Vous avez eu un mot pour les victimes...

Qui ne l’aurait pas eu ? On imagine quelles souffrances peuvent avoir les gens, les parents, les familles. Et même s’il est difficile dans cette situation de se mettre à la place les uns des autres, je compatis complètement à leur douleur.

-Chez vous, en tant que parent d’un accusé, il y a aussi de la souffrance ?

Je pense que l’on peut se considérer quelque part comme victime également, même si cela peut choquer. Quand on a un enfant qui se retrouve dans une situation semblable, on souffre chaque jour, 24 h sur 24. Il faut continuer à vivre et ce n’est pas évident du tout. Nous sommes tombés des nues, sa mère et moi ainsi que toute la famille, tous les voisins, les amis, les gens qui nous connaissaient.

-Vous ne vous êtes pas même rendu compte de sa conversion ?

De la conversion oui, et l’on s’en est un petit peu inquiété. Mais à l’époque, en 2012, il ne s’était pas encore passé grand chose, si ce n’est bien sûr l’affaire Merah.
Sa mère et moi étant agnostiques, nous n’étions pas contre le fait qu’il s’enthousiasme pour une religion ou pour une autre, tant que cela parlait de paix et d’amour. Au préalable, nous en avions discuté longuement. Ce n’était pas plus dérangeant que cela tant que ça n’allait pas plus loin.
Mais avant son arrestation, le 6 octobre, on ne s’était vraiment rendu compte de rien. A aucun moment. Je l’avais contacté quand il était en vacances dans le Sud. J’ai encore les textos sur mon téléphone : "T’inquiète pas papa, tout va bien". Il était toujours sur la même tonalité. Je n’ai eu aucune inquiétude à ce moment-là.

-Cela fait 4 ans et demi que votre fils a été arrêté et qu’il est incarcéré, comment avez vous vécu cette période-là ?

Nous l’avons très mal vécue. Notre fils était à l’isolement. Sa mère et moi, nous lui avons rendu visite trois fois par semaine. Avec nous, le contact était assez difficile au départ. Il était, comment dire...un peu "perché". On l’a laissé s’exprimer pendant quelques temps et aujourd’hui, on pense qu’il est comme il était auparavant. Avec certainement une grande culpabilité. Et c’est toujours facile à dire, mais je pense qu’ils lui ont retourné le cerveau.et je pense que c’est Jérémy Louis Sydney (considéré comme le chef du groupe, tué lors de son arrestation, NDLR) qui est le détenteur de ce drame.

-Qu’avez-vous ressenti vis-à-vis de votre fils ?

Il y a eu tout d’abord la stupéfaction, la surprise, quand on vient chercher votre fils à 6h du matin et que personne ne vous dit ce qui se passe. Le ciel vous tombe sur la tête et vous êtes sous le choc. Sa mère était en dépression, moi beaucoup plus calme mais avec un gros choc émotionnel... Par la suite, on a pu avoir quelques informations, obtenir le droit de visite, nous sommes parvenus à en discuter, à voir dans quel état d’esprit il était. Mais on ne saura jamais vraiment la vérité tant qu’on ne sera pas arrivé à la fin du procès. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis là tous les jours, j’en ai la possibilité parce que je suis à la retraite, sa mère aimerait bien en faire autant mais elle ne le peut pas, donc je lui fais des comptes-rendus midi et soir. Quitte à souffrir, je pense que c’est ma place d’être ici, pour comprendre et aussi pour le soutenir, parce que c’est pas sa place, c’est pas dans sa nature.

-Ce n’est pas sa place, dites-vous ?

Comme tous les parents le diront de leurs propres enfants, comme je l’ai entendu ici, les parents pensent que leurs enfants sont généreux, gentils, etc...donc ça paraît peu crédible mais je le pense au plus profond de mon coeur. Et tous les gens qui sont venus témoigner pour Jérémy ne l’ont pas montré comme un terroriste, comme un voyou, comme quelqu’un qui souhaite faire le mal. C’était quelqu’un de très vivant, mais pas un terroriste.

-Cela dit, vous êtes conscient qu’il y des charges très lourdes qui pèsent contre lui ?

Oui bien entendu, mais j’essaie de prendre les choses au jour le jour, de mettre un pied devant l’autre, d’essayer de comprendre de façon lucide ce qui s’est produit. Et après, on verra.

-On a entendu de la colère chez certaines personnes, y compris des parents. Ce n’est pas votre cas ?

Non, je ne suis pas en colère. Je pourrais peut-être l’être contre moi-même de ne pas suffisamment avoir vu ou entendu, de ne pas avoir accepté de voir certaines réalités de la société telle qu’elle est aujourd’hui et des risques que cela comporte pour nos enfants.

-Vous avez toujours maintenu le lien avec votre fils ?

Oui, nous y tenons sa mère et moi. Cela peut paraître paradoxal. Il a beau être notre enfant, si le pire était arrivé, peut- être, nous nous serions comportés différemment. Fort heureusement, il n’y a pas eu mort d’homme. Fort heureusement. Je pense que le Jérémy d’il y a quatre ans et demi n’était pas le Jérémy d’avant et ne sera pas le Jérémy d’après. Je pense que l’on ne peut qu’essayer de le soutenir pour l’aider...

-Sur un plan personnel, que vous apporte ce procès ?

Au début, je pensais que je ne pourrais même pas me présenter à la barre. Je pensais que je n’en aurais pas la force et je l’ai très mal vécu pendant des semaines, voire des mois auparavant en imaginant ce jour-là. Depuis que j’y suis parvenu, ça a été une sorte de thérapie, parce que cela m’a permis de faire face à la réalité des choses, à la situation, permis "d’accepter" cette mauvaise situation et surtout d’essayer de la comprendre. Et je pense que depuis le début, il est, on ne peut plus sincère, et que notre présence peut aider à cela.

-Qu’attendez-vous de la justice ?

J’attends qu’elle fasse son métier comme chacun doit le faire, que Jérémy soit puni pour les actes qu’il a commis, mais pas pour ceux qu’on lui reproche et dont je ne le pense pas responsable. Jérémy n’a jamais été élevé dans le racisme, la xénophobie, il a eu des amis de tous les coins du monde. On parle beaucoup d’antisémitisme. J’ai des amis juifs, il a eu des amis juifs et je ne vois pas pourquoi ce retournement sinon par une manipulation du cerveau. Là, on peut lui reconnaître cette faiblesse.
On a du mal à comprendre pourquoi lui et d’ailleurs dans le box, je pense qu’il y a beaucoup de gens qui se sont fait prendre dans un piège. Je pense qu’ils ne se rendent pas compte... manque de maturité, ça paraît peu dire, c’était une espèce de forme d’aventure, dont ils n’étaient pas conscients de la gravité. C’est quelque chose qui aura profondément marqué mon existence et qui va continuer je pense, malheureusement à... voilà, je ne trouve pas le mot, je suis désolé.

Source : franceculture.fr
Auteur : Florence Sturm
Date : 22 juin 2017

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