Cannes-Torcy : une œuvre de justice réussie

Le premier procès d’assises de terrorisme djihadisme s’est achevé le 22 juin 2017. Pour la défense comme pour les parties civiles, justice a été rendue.

l est environ 22 heures ce jeudi 22 juin, quand les accusés du procès dit de la filière Cannes-Torcy rejoignent la salle d’audience pour entendre le verdict de la cour d’assises spéciale. Les 10 accusés qui compa- raissent détenus n’ont pas mangé depuis environ 5 heures du matin pour cause de ramadan. Dans la salle, ceux qui comparaissent libres finissent de manger la nourriture qu’ils ont commencée dans la salle des témoins, où le président leur a demandé d’attendre le verdict. C’est leur famille qui la leur a apportée. « Mon client est dans le box, il m’appelle et me demande si je n’aurais pas quelque chose à manger. On me donne une barre chocolatée, le chef d’escorte m’autorise à la lui donner. D’après ce que j’ai compris, ensuite les accusés libres ont tendu de la nourriture aux autres et une pizza a dû passer, déclenchant la colère de l’avocat général Philippe Courroye », se souvient Joseph Breham, l’un des avocats de la défense.

La robe et la canicule. Certes on ne mange pas dans un prétoire, mais l’audience n’a pas repris. En outre, était-il judicieux de laisser les accusés sans manger par une jour- née de canicule et alors qu’ils attendaient pour nombre d’entre eux de savoir combien de temps ils allaient pas- ser en prison ? Il fait d’ailleurs si chaud ce jour-là que la cour a siégé sans robe, avec l’aval semble-t-il du pré- sident du TGI de Paris. « Le président m’a autorisée à plaider sans robe, mais j’ai refusé, sans robe je ne suis que moi  », confie Elise Arfi qui défend l’un des 10 accusés détenus. Les magistrats ont tout de même remis la robe le soir pour prononcer le verdict. Il n’empêche, cette affaire de robe a suscité le débat, au même titre que la pizza dans le box. Sur Twitter, Christian Saint-Palais, président de l’Association des avocats pénalistes, s’interroge ce jour-là : « Je ne sais pas ce qui me heurte le plus : un président de cour d’assises en polo manches courtes ou des miettes dans le box ». Une circonspection que ne partage pas Joseph Breham a posteriori : « Après tout, le juge d’instruction et le JLD n’ont pas de robe. Certes, les assises, c’est solennel, mais cette solennité a un revers, elle empêche une communication fluide et saine entre les juges et les accusés. Pour certains d’entre eux, les symboles n’ont aucun sens, ils n’aperçoivent dans la robe que la pompe. La retirer a humanisé la situation, en tout cas aux yeux de mon client qui a compris, je crois, à ce moment-là, qu’il était jugé par des humains et non par une fonction ». Les réquisitions étaient sévères, jusqu’à la perpétuité pour l’un des accusés. Finalement, la cour a prononcé des peines qui s’échelonnent de 1 à 28 ans de prison. « Ce sont des décisions clairvoyantes, la cour a su faire la part des choses selon les profils des accu- sés. Une ligne de partage se dessine entre les accusés qui comparaissaient libres et sont tous ressortis libres, et les détenus, parmi lesquels néanmoins deux ont été libérés », analyse Elise Arfi. Et d’ajouter : « Les accusés sont très jeunes, 5 ans après les faits, ils ont pour certains trouvé un travail, pour d’autres construit une famille. Les mettre en prison aurait tout détruit et les aurait exposés à la radica- lisation. Quant aux peines, elles sont sévères mais moins lourdes que les réquisitions et non assorties de mesure de sûreté ».

C’est le point final du premier procès d’assises d’une affaire de terrorisme djihadiste où l’on a jugé, du 20 avril au 22 juin 2017, vingt personnes, dont dix détenues, sept comparaissant libres et trois en fuite. Pour rappel, il leur était reproché d’avoir jeté une grenade dans une épicerie juive de Sarcelles en 2012 et d’avoir participé par ailleurs, autour des mosquées de Cannes et de Torcy, à plusieurs exactions – détention d’armes, extorsion de fonds, etc. – dans le cadre d’une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime d’atteinte aux personnes et d’actes de terrorisme (Gaz. Pal. 1er mai 2017, n° 293q5, p. 13).

L’anonymat des policiers est-il utile ? Parmi les éléments qui inquiétaient les avocats de la défense en début de procès : le fait que celui-ci se déroule devant les assises spéciales, composées uniquement de quatre assesseurs magistrats professionnels (contre six avant la loi du 27 février 2017). « C’est vrai que j’étais vent debout contre l’absence de jurés et je le suis toujours. Mais je pense que dans ce procès, cela a permis un débat serein. Le président était peu directif et si on n’avait pas eu des assesseurs juges professionnels parfaitement aguerris qui comprenaient à demi-mot et posaient des questions, le procès serait resté à la surface des choses. Or là, les accusés ont eu le sentiment d’être entendus. C’est notam- ment grâce à la présence de juges professionnels motivés qui ont fini par connaître parfaitement le dossier  », analyse Joseph Breham.

L’autre élément de procédure contesté par la défense dans cette affaire portait sur l’anonymisation des policiers. Cette possibilité, instituée pour raison de sécurité, a conduit à entendre des policiers en visioconférence, en ombre chinoise, désignés par des numéros – témoin 24 –, avec des voix modifiées. Les avocats contestent par prin- cipe ces témoignages désincarnés, qui ne donnent aucune prise à la finesse d’un interrogatoire de témoin. « Nous avions peur que cela pénalise la défense et je crois que c’est le contraire qui s’est produit. Habituellement, le témoignage des policiers est un des moments forts d’un procès d’assises. Mais ici, le fait qu’ils soient physique- ment absents leur a fait perdre toute consistance. J’ai le sentiment qu’à la fin du procès, il ne restait rien de leur témoignage », confie Elise Arfi. Elle n’est pas la seule à trouver des limites à cette façon de témoigner. «  Nous avons pris à plusieurs reprises les policiers en flagrant délit d’approximation. Je pense que la protection de l’anonymat a pu les inciter à moins préparer leur dossier, ce qui a amoindri la force de leur témoignage, estime, pour sa part, Joseph Breham. Évidemment, en tant qu’avocat de la défense, je ne peux que m’en féliciter, mais en tant que citoyen je trouve que cela dessert la qualité de la justice. Et si encore, c’était utile ! Mais le premier jour du procès, les accusés ont la liste nominative des témoins. Quel est l’intérêt de cette soi-disant protection si elle s’exerce à l’encontre du public mais pas envers ceux dont théorique- ment les policiers ont le plus à craindre ?  ».

Un procès attendu par la communauté juive. Du côté des parties civiles, le verdict est jugé satisfaisant, ce qui semble confirmer que le procès a débouché sur une œuvre de justice réussie. « La défense s’est efforcée d’extraire chaque accusé de l’association de malfaiteur. En vain. La cour a condamné l’association de malfaiteur et confirmé qu’il y avait bien un lien entre l’attentat de l’épi- cerie casher à Sarcelles et les autres actes : braquages, achats d’armes, etc. Elle a prononcé de lourdes peines en rapport avec la gravité réelle des faits », constate Marc Bensimhon, avocat du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme. Selon lui, « c’est une bonne décision dans un procès important qui était très attendu par la communauté juive. Cette affaire illustre en effet la résurgence de l’antisémitisme en France, laquelle entraîne une aug- mentation du nombre de Juifs qui partent à l’étranger. Ils étaient entre 600 et 800 à partir chaque année ; depuis 2013, ils sont entre 6 000 et 8 000 », commente l’avocat. Sans surprise, il ne partage pas l’optimisme de la défense sur la capacité des accusés à s’amender. « Certains ont passé leurs temps à bavarder et à rire, les débats ne les intéressaient pas. En particulier, ceux qui ont la marque au front sont des irréductibles [la pratique intensive de la prière provoque une sorte de marque sur le front due aux chocs répétés sur le sol, NDLR]. On peut douter de l’utilité de l’œuvre de justice en ce qui les concerne ».

Malgré son importance, ce procès a eu peu de retentissement médiatique. Long, aride, sans relief et programmé alors que d’autres affaires intéressaient davantage la presse, comme le dossier Heaulme, il n’a été suivi réellement dans la durée que par l’AFP. Il y avait pourtant dans cette affaire, et en particulier dans le profil des accusés bien des éléments susceptibles d’éclairer un sujet d’actualité majeur.

Source : gazettedupalais.com
Auteur : Olivia Dufour
Date : 4 juillet 2017

Crédit photos : Source : gazettedupalais.com Auteur : Olivia Dufour Date : 4 juillet 2017

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