Déradicalisation : les collectivités locales en première ligne

Les communes, bien placées pour repérer les dérives, devraient faire plus de prévention, selon un rapport.

Il y a urgence. Un nouveau rapport sénatorial sur «  Les collectivités locales et la prévention de la radicalisation », proposé dans le cadre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, est sans appel : la France est face à une situation sociétale grave, celle d’une radicalisation islamiste devant laquelle les acteurs publics sont démunis. Le texte tire la sonnette d’alarme et incite plus que jamais l’État à mieux ordonner ses partenariats avec les collectivités locales pour faire face à ce phénomène.

Le rapport rédigé par Jean-Marie Bockel et Luc Carvounas, respectivement sénateurs UDI du Haut-Rhin et socialiste du Val-de-Marne, pointe du doigt l’erreur des élus comme de l’État d’avoir pensé « les courants les plus fondamentalistes comme peu agressifs », à commencer par les salafistes. Au point que «  leur présence a pu rassurer certains élus dans la mesure où ils pouvaient sembler participer du contrôle social de certains quartiers  ». Or « le poids des réseaux amicaux, sportifs ou associatifs dans la constitution de communautés salafistes radicalisées  » serait « bien plus important que celui des convictions idéologiques ».

Les collectivités locales sont ainsi les têtes de pont de la prévention contre la radicalisation. Elles sont en effet « le premier échelon de proximité des institutions, et le premier lieu d’accès aux valeurs républicaines. Ce sont elles qui, les premières, sont confrontées aux difficultés liées au communautarisme ainsi qu’aux risques de radicalisation. Le premier engendre une multiplicité de demandes qui peuvent paraître bénignes prises isolément, mais qui, considérées dans leur ensemble, font système et vont à l’encontre des principes qui régissent notre société. Le second peut déboucher sur une violence qui va directement à l’encontre de tout ce que représente les collectivités en termes de vie sociale et de communauté citoyenne ». En ligne de mire, donc, la détection des signaux faibles que « les instruments juridiques de la répression pénale  », notamment, « n’offrent pas la possibilité de saisir et de prendre en compte  ».

Accès aux fichiers

Les auteurs proposent « une prévention primaire », celle du contrôle des embauches, des partenariats associatifs et des subventions. Mais aussi « une prévention secondaire  » en lien avec l’aide à l’enfance et « les services académiques », afin de détecter « la déscolarisation des enfants et, concomitamment, l’ouverture et le fonctionnement des écoles hors contrat ». Ainsi se repose la question de l’accès aux fichiers par les élus locaux. « 71 % de ceux interrogés affirment manquer d’information sur les risques induits par la radicalisation sur leur territoire ». Le rapport insiste sur la nécessité « d’engager une réflexion sur la constitution d’un fichier spécialisé destiné à permettre aux présidents d’exécutifs locaux de disposer des informations nominatives nécessaires  », « d’une structure d’échanges sur l’identification des individus radicalisés  ».

Par ailleurs, les auteurs font clairement le lien entre bandes délinquantes et dérives radicales.
« Les dérives de comportements à repérer et à traiter dans le cadre de la prévention de la radicalisation sont, dans une large mesure, équivalentes aux classiques problèmes d’incivilité », affirment-ils. Et d’inciter à calquer le modèle de la prévention de la radicalisation sur celui de prévention de la délinquance. Cela suppose une plus grande articulation avec l’État régalien. Il est donc proposé de créer des postes de référents « en lien avec les responsables de la prévention de la délinquance et avec [ceux] des services de l’État  ». Enfin, pour faire gagner du temps aux collectivités encore démunies de programme de prévention, il est préconisé « de mettre en place un protocole d’évaluation de certaines initiatives locales  ».

« Tous les territoires seront concernés »

Jean-Marie Bockel, sénateur (UDI) du Haut-Rhin, alerte sur l’étendue du phénomène de radicalisation.

  • Les rapports parlementaires se succèdent. Pourquoi un de plus ?

Jean-Marie BOCKEL.- Tôt ou tard, tous les territoires seront concernés par cette question de la lutte contre la radicalisation. Et non plus seulement les grandes banlieues à forte immigration. Même si aujourd’hui les territoires ruraux ou rurbains sont moins impliqués que d’autres, ils devront répondre à cette question. Nous voulions inscrire l’action des collectivités locales dans la durée, en proposant une politique d’information, de partenariats et de bonnes pratiques.

  • Vous évoquez la capacité des communes à détecter les signaux faibles...

La société française affronte un phénomène de radicalisation islamiste qui est loin d’être marginal et qui prend racine très en amont. Un phénomène qui peut imprégner nos structures d’aides sociales et même nos infrastructures, qu’il s’agisse des activités sportives, du soutien scolaire, des aides à la personne ou encore de la construction des lieux de culte. Les communes sont en première ligne pour faire un premier travail de filtrage via le contrôle des embauches, notamment, et des associations dont certaines sont tenues par le salafisme.

  • Pourquoi les communes semblent-elles si éloignées de ces programmes ?

Même parmi celles qui bénéficient de partenariats anciens sur la sécurité avec l’État comme Sarcelles, certaines déplorent un manque de dialogue et des réticences à partager des informations. Comme cela existe en matière de prévention de la délinquance depuis le milieu des années 1990, il faut créer un climat de confiance avec le pouvoir régalien. Ces liens informels ne se construisent pas en huit jours. Or les élus locaux qui choisissent de s’engager sur ces questions ont besoin de disposer, au niveau local, d’informations utiles y compris sur les personnes. Dans le maquis des fichiers existant, il faut esquisser une définition et des règles permettant un partenariat efficace.

  • Comment financer cette prévention ?

La situation financière est tendue pour les collectivités locales. Outre ce qu’elles peuvent faire par elles-mêmes, le Fonds interministériel de prévention de la délinquance pourrait spécialiser des crédits dévolus à cette problématique. En termes budgétaires, ce n’est que l’épaisseur du trait mais cela permet de répondre à un enjeu sociétal majeur. On ne peut y répondre sans s’en donner les moyens.

Source : Le Figaro
Auteur : Paule Gonzalès
Date : 11 avril 2017

Crédit photos : Source : Le Figaro Auteur : Paule Gonzalès Date : 11 avril 2017

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