Incendie d’un bar à Rouen : une expertise accablante pour le Cuba libre

Enquête. Le bar où sont mortes 14 personnes lors d’un incendie à Rouen n’était pas aux normes, selon une étude demandée par un avocat de victimes.

« Analyse du sinistre et avis sur la sécurité incendie », s’intitule ce document de six pages, annexé de « pièces justificatives ». Le jargon est technique, les conclusions accablantes : une expertise privée sur l’incendie du Cuba libre, ce bar de Rouen (Seine-Maritime) où 14 personnes ont péri dans la salle de danse du sous-sol la nuit du 5 au 6 août dernier, affirme que cet établissement recevant du public (ERP) aurait dû être classé en 4e catégorie et non en 5e catégorie. Ses installations auraient en ce cas dû répondre à des normes bien plus strictes, avec passage en commission de sécurité, arrêté d’ouverture du maire et contrôles réguliers, écrit l’auteur, un ingénieur spécialiste de la question.

« J’ai sollicité un éclairage, cet ingénieur a rendu un vrai rapport d’expertise, qui montre que l’aménagement de ce bar relevait d’un bricolage inconséquent », assène Me Gérard Chemla, avocat de la famille d’une des victimes, qui vient d’adresser le document au juge d’instruction.

Les mousses isolantes en cause

Mi-septembre, le gérant du Cuba libre et son frère, propriétaire du bail, ont été mis en examen pour « homicides et blessures involontaires par violation délibérée d’une obligation de sécurité ». L’enquête doit déterminer leur responsabilité quant à d’éventuels manquements en la matière. Une expertise judiciaire sur l’incendie a été réalisée, mais ses conclusions ne sont pas connues — le parquet de Rouen n’a pas souhaité s’exprimer.

L’auteur de l’expertise privée, lui, n’a pas eu accès au site mais se montre formel sur certains points. Ainsi de la catégorie, qu’il établit en se fondant sur la nature de l’activité et le nombre de personnes que le Cuba libre pouvait recevoir. Avec un bar en rez-de-chaussée de 30 m2 et un sous-sol d’environ 22 m2 (la salle de danse et d’espace DJ et un petit fumoir), le seuil de classement en 4e catégorie était atteint. Avec tout ce que cela impliquait : issue de secours - en l’occurrence, la porte d’évacuation du sous-sol était verrouillée et les clients se sont retrouvés piégés -, système de désenfumage, balisages lumineux, extincteurs... En restant en 5e catégorie, par « erreur d’appréciation ou de déclaration » de l’exploitant, le Cuba libre n’était soumis à « aucune autre vérification obligatoire » que les installations électriques. Or la « grande liberté d’action des exploitants » fait que la plupart « ignorent totalement les règles de sécurité applicables », déplore l’ingénieur.

Son rapport s’intéresse en particulier à l’escalier qui conduisait au sous-sol : passage étroit, grandes marches, hauteur insuffisante et proximité du plafond, recouvert de mousses isolantes en polyuréthane hautement inflammable... C’est là que le feu aurait pris, déclenché par les étincelles des bougies du gâteau de l’anniversaire fêté ce soir-là. Le convive qui le descendait a sans doute été contraint de regarder ses pieds plutôt que le gâteau pour éviter de chuter, suggère l’expert. « L’utilisation d’un escalier non sécurisé est susceptible (d’avoir) favorisé et provoqué l’approche des fontaines lumineuses de la paroi », conclut-il.

Quant aux mousses, elles n’auraient jamais dû être utilisées dans un tel lieu : les gaz dégagés par leurs matériaux « sont parmi les plus toxiques par inhalation pour l’homme ».

Des familles acccompagnées

Les familles des victimes de l’incendie du Cuba libre ont été reçues la semaine dernière par le parquet de Rouen pour la mise en place d’un comité de suivi. Son but : « Assurer leur accompagnement durant toute la procédure judiciaire et mettre en place les modalités d’indemnisation », explique le procureur Pascal Prache, qui prévient : « Il faut s’inscrire dans la durée. » Le juge d’instruction en charge du dossier leur a ensuite expliqué le déroulement de la procédure. « L’ambiance était très lourde, décrit Me Dominique Lemiegre, avocat de deux familles. Entre la souffrance insupportable de ces gens et le monde judiciaire, il y a un fossé inimaginable. »

Les familles ont notamment fait part de leur incompréhension quant au placement sous contrôle judiciaire des patrons du bar et à la peine qu’ils encourent (cinq ans de prison). Quant aux investigations sur les normes de sécurité, Me Lemiegre estime qu’« il vaudrait mieux ne pas se perdre en conjectures », afin que l’instruction avance et que la justice « statue dans un délai raisonnable »

Source : leparisien.fr
Auteur : Pascale Egré
Date : 03/10/2016

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