Le récit des attentats de Ouagadougou montre l’ampleur du « cafouillage » des autorités burkinabées

Leur attitude est calme, les visages découverts et les kalachnikovs déjà sorties. Vêtus de noir, trois hommes marchent, déterminés, dans une rue perpendiculaire à l’avenue Kwame-N’Krumah au centre de Ouagadougou, ce vendredi soir 15 janvier. Devant l’hôtel Yibi, ils s’arrêtent brièvement puis repartent. « Quand ils ont vu que l’établissement était en travaux, ils ont baissé leurs armes et continué leur route », explique Eric Coulaud, le patron du Yibi. Il est près de 19 h 45 quand les trois hommes, surnommés « Al-Battar Al-Ansari, Abu Muhammad Al-Buqali Al-Ansari et Ahmad Al-Fulani Al-Ansari » selon la revendication d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), font irruption sur la terrasse du restaurant-bar Cappuccino, à une cinquantaine de mètres de là. Ils tuent les clients dînant à l’extérieur puis entrent dans l’établissement.

« Ils ont commencé par tirer sur le comptoir avant d’abattre d’autres clients, au hasard. Tout le monde s’est jeté à terre pour se cacher sous les tables. Chacun attendait son tour », affirme Jérémie Bangou, l’un des rescapés de la tuerie, qui aura fait 30 morts au total, dont 26 au bar-restaurant. Ce soir-là, la salle et la terrasse affichent complet. Une cinquantaine de personnes dînent dans cet établissement prisé des expatriés et des Burkinabés plutôt aisés. Rares sont ceux qui sortiront indemnes de cet attentat.

Achever les survivants

« J’entendais des gens qui agonisaient, mais ni moi ni personne ne pouvait leur venir en aide. Ils tiraient à bout portant sur les hommes couchés qui respiraient encore », se souvient Roland Kassoumina, également présent au Cappuccino lors des attentats. Pendant près de trois quarts d’heure, les vivants tentent de se faire passer pour des morts. Mais le feu commence à ravager l’établissement. Asphyxiés, certains clients réussissent à se réfugier dans les cuisines. « Personne n’est venu à notre secours. En nous sauvant, nous avons seulement vu quelques gendarmes en civil », assure le Togolais. D’autres clients enjambent les cadavres et tentent une sortie. Ils seront tués en terrasse.

Autour du restaurant, les trois terroristes commencent à brûler des véhicules. Puis traversent l’avenue embrasée et font leur entrée dans l’hôtel Splendid, où près de 156 personnes sont présentes. Il est entre 20 heures et 21 heures. La cérémonie de vœux organisée par l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) est terminée depuis une heure, mais une dizaine d’employés sont restés sur la terrasse pour faire la fête.

« Pendant que nous dansions autour de la piscine, nous avons entendu des coups de feu », explique l’un des salariés de l’Asecna. Nous avons réussi à nous échapper par la porte sud et nous sommes partis nous cacher derrière des buttes de terre. » Mais un de leurs collègues, un pompier, manque à l’appel. « Il est sans doute revenu dans l’hôtel pour sauver des blessés », avance le capitaine Guy Hervé Yé, porte-parole de la gendarmerie burkinabée. En vain. Il est tué par les terroristes ; son corps sera retrouvé entre les deux portes d’entrée du Splendid.

Alors que d’autres otages réussissent à s’échapper en escaladant le mur arrière de l’hôtel à l’aide d’un drap et d’une étagère récupérés dans l’une des chambres, les terroristes retournent au Cappuccino pour « finir le travail » et achever les derniers survivants. « Ils faisaient la navette entre le bar-restaurant et l’hôtel », explique une source au sein de la police technique.

Mauvaise coordination

Vers 21 heures, quelques gendarmes arrivent enfin sur les lieux, au compte-gouttes. Ils informent de la situation par textos les unités spéciales qui se préparent. « Avant de nous mobiliser, il fallait qu’on sache où l’on mettait les pieds », indique une source sécuritaire ayant participé à l’assaut.

Aux alentours de 22 heures, les forces spéciales burkinabées se positionnent autour de l’avenue Kwame-N’Krumah. Une quinzaine de soldats français du camp ouagalais de Kambou N’sin viennent en renfort. Des éléments des forces spéciales américaines complètent le dispositif. Au total, entre 150 et 200 hommes participent aux opérations, selon le capitaine Guy Hervé Yé.

Un périmètre de sécurité se met enfin en place, mais la riposte des autorités a du mal à s’organiser. « C’était un vrai cafouillage, la coordination était mauvaise. Chaque unité voulait faire quelque chose et n’était pas informée de ce que l’autre entreprenait. Il n’y avait aucun chef chargé de coordonner l’ensemble, confie une source sécuritaire. Avant ces attentats, nous n’avions jamais fait d’exercice sur ce type de situation, seulement des simulations de prises d’otages, à l’aéroport. »

Pendant que les forces de sécurité établissent leur poste de commandement au ministère de la fonction publique, à l’intérieur de l’hôtel, les clients retranchés dans leur chambre attendent, sous leur lit ou dans leur baignoire, d’être exfiltrés. « Cette soirée s’est ponctuée de courts moments d’échanges de tirs et de longues périodes de silence pendant lesquelles seule la sirène incendie de l’hôtel résonnait. Ce qui était très difficile à vivre, c’est qu’à chaque fois que les tirs cessaient on croyait que c’était fini. Mais ça repartait », raconte Jean-Michel Rollot, un des Français retranchés au Splendid.

Trajectoire de la balle

Dès 22 heures, les forces de sécurité veulent lancer l’assaut. Mais rien ne dit que les terroristes sont encore à l’intérieur. « Les forces spéciales ont tiré des coups de semonce pour inciter les terroristes à répliquer et ainsi repérer d’où venaient les tirs », détaille une source militaire. Pendant l’échange, un soldat burkinabé est blessé d’une balle dans la jambe. Une blessure qui permet aux unités spéciales d’analyser la trajectoire de la balle : elle vient du Splendid.

Mais les informations divergent. Depuis leurs chambres, quelques-uns des 150 clients envoient des textos aux forces spéciales. Certains évoquent une douzaine de terroristes. Bien davantage que les trois repérés quelques minutes plus tôt par les autorités. « Pendant que l’opération se préparait, nous avons reçu un appel de la hiérarchie réunie au QG de crise du ministère de la sécurité. On nous a dit de ne pas monter à l’assaut, car les terroristes étaient trop nombreux, ça serait fatal aux otages », explique une source sécuritaire.

L’information se révélera erronée mais, tant que le doute persiste, l’opération ne peut être lancée. D’autant que la majeure partie des forces françaises, dépêchées en urgence de Gao, au Mali, n’est pas encore arrivée. Un haut gradé de l’armée française enjoint aux Burkinabés de les attendre avant d’envisager tout mouvement.

Pendant ce temps, de l’autre côté de l’avenue, les flammes ravagent le Cappuccino. Il faut rapidement secourir les rescapés encore retranchés à proximité du bar-restaurant. Un escadron se forme et récupère près de 45 personnes afin de les emmener au ministère de la fonction publique pour les premiers soins et les identifications. Mais les tirs des terroristes reprennent. L’escadron transportant les blessés est directement visé. Des blindés positionnés aux quatre coins de la zone d’attaque se replient pour protéger le convoi.

Alors que toute l’attention des forces spéciales est retenue par cette opération délicate qui se déroule dans un environnement chaotique, au milieu d’une fumée épaisse qui ne laisse voir que la trajectoire des balles, les trois terroristes en auraient profité pour s’enfuir de l’hôtel Splendid, traverser la rue et se retrancher dans l’hôtel Yibi. La façon et l’heure à laquelle ils se sont échappés reste confuse.

Miraculeusement vivant

Entre minuit et demi et une heure du matin, le bruit saccadé des pales d’un hélicoptère se fait entendre. Les forces françaises du Mali viennent d’atterrir à la base aérienne. L’assaut peut être lancé. Selon le capitaine Guy Hervé Yé, une unité américaine passe par l’hôtel voisin, le Palm Beach, pour commencer à récupérer les otages de l’aile droite. Français et Burkinabés font leur entrée par la porte sud. « Une grenade, déclenchée à distance, a explosé devant nous. Dans le hall, tout était brûlé. Il n’y avait personne et comme l’électricité était coupée, nous progressions dans le noir », raconte une source sécuritaire.

Etage par étage, les forces spéciales des trois pays libèrent les clients, sans trouver de terroristes. « Vers 4 heures du matin, j’ai entendu des militaires français appeler mon nom du bout du couloir. Ils m’ont demandé de sortir ma main par la porte de la chambre pour vérifier que c’était bien moi », précise Jean-Michel Rollot. Comme lui, les autres clients sont emmenés au ministère de la fonction publique, en attendant que le Stade du 4-Août soit prêt à les accueillir. Ils y resteront confinés jusqu’au lendemain après-midi.

Lorsque le jour se lève sur l’avenue Kwame-N’Krumah, les trois terroristes n’ont toujours pas été retrouvés. Où sont-ils retranchés ? A l’intérieur de l’hôtel Yibi ? Dans le bar d’en face, le Taxi-Brousse ? Dans la zone, les tirs sont nourris. Retranchés dans la chambre 204 du Yibi depuis près de trois heures, le patron, Eric Coulaud, et trois de ses amis, Ludovic, Agba et Kossivi, attendent toujours d’être sauvés. « Ça tirait encore, mais ça ne nous faisait plus rien. On se marrait nerveusement, c’était un moyen d’évacuer, de ne pas stresser », raconte Ludovic.

Dans l’immeuble en construction derrière le Yibi, une unité policière burkinabée attend l’arrivée des forces françaises pour lancer l’assaut. Mais peu avant sept heures du matin, des tirs provenant du Taxi-Brousse atteignent l’un des policiers : « J’ai d’abord été touché à la tempe, mais le casque a amorti l’impact de la balle, explique Basile Tindano, miraculeusement encore vivant. Puis j’ai reçu une deuxième balle dans l’avant-bras et deux autres dans la main. C’était des rafales. »

Le mystérieux client de la chambre 303

Les terroristes repérés, quatre groupes de forces spéciales se positionnent autour du Taxi-Brousse. Les trois djihadistes sont cernés. Sentant que la fin approche, ils tentent une ultime riposte avec leurs dernières grenades et dernières munitions de kalachnikovs. « Ils sont sortis et ont tiré sur tout ce qui bougeait », explique une source au sein de la gendarmerie. Une sortie qui a permis à d’autres agents, positionnés de l’autre côté de l’avenue, de tuer les trois individus, entre 7 et 8 heures du matin. « Près d’une demi-heure s’est écoulée entre la mort du premier et celle du troisième terroriste car ils étaient lourdement armés », poursuit-elle. De l’autre côté de la rue, Eric Coulaud et ses trois amis retiennent encore leur souffle quand, enfin, des militaires français et burkinabés les évacuent par un toit, à l’aide d’une échelle.

Plus d’une semaine après les attentats, de nombreuses questions restent ouvertes. Et d’abord sur d’éventuelles complicités. « Des personnes suspectées d’être des complices des terroristes ont été identifiées au stade. Quand quelqu’un sort d’un tel cauchemar et reste zen, téléphonant tranquillement, ça interpelle, souligne une source. D’autant plus que, sur les caméras de vidéosurveillance de l’hôtel, certains clients ont formellement identifié des individus discutant avec les terroristes, avant les attentats. » Les vidéos sont toujours en cours d’analyse.

De même, les actes et les motivations des djihadistes à l’intérieur du Splendid restent flous. Trente-trois clients ont été blessés, un seul a été tué, le pompier de l’Asecna. Plusieurs témoins évoquent des assaillants tirant surtout en l’air, sur le mobilier, n’ayant plus l’objectif de tuer. D’autres parlent du mystérieux client de la chambre 303. Un Indien faisant commerce de la noix de cajou qui aurait été activement recherché par les terroristes. Là encore, les conclusions de l’enquête sont attendues.

Crédit photos : Source : lemonde.fr Auteur : Morgane Le Cam Date : 25/01/2016

Nous soutenir

C’est grâce à votre soutien que nous pouvons vous accompagner dans l’ensemble de vos démarches, faire évoluer la prise en charge des victimes par une mobilisation collective, et poursuivre nos actions de défense des droits des victimes de catastrophes et d’attentats.

Soutenir la FENVAC

Ils financent notre action au service des victimes