Procès de l’amiante en Italie : une condamnation historique

Le procès, le plus grand jamais organisé sur les méfaits de l’amiante, était qualifié d’historique. Devant des centaines de proches de victimes, le tribunal de Turin (Italie) a condamné à 16 ans de prison le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny, 65 ans, et le baron belge Jean-Louis de Cartier de Marchienne, 90 ans. Lesdeux accusés, jugés par contumace, ont été considérés responsables de la mort de près de 3. 000 personnes en Italie, ouvriers ou habitants de villes où Eternit Italie avait des usines. Stepahn Schmidheiny, ex-propriétaire du groupe suisse, a été un important actionnaire d’Eternit Italie de 1976 à 1986 tandis que le baron belge a été actionnaire et administrateur d’Eternit Italie au début des années 1970.

Des proches de victimes ont éclaté en sanglots à l’énoncé du jugement, lu dans un silence pesant alors que toute l’assistance était debout. « C’est une sentence très équilibrée qui reconnaît la responsabilité (des deux accusés) », a commenté l’un des avocats des partis civiles, Sergio Bonetto, « le problème maintenant est de voir si les condamnés feront face à leurs obligations car nous n’en sommes pas sûrs ». Les accusés pourront en effet faire appel, procédure qui peut durer plusieurs années, et aller jusqu’en cassation, ce qui pourrait repousser à très loin un jugement définitif.

Une sentence qui couronne une longue bataille

Le ministre de la Santé italien, Renato Balduzzi, a qualifié la sentence « d’historique aussi bien pour les aspects sociaux que pour ses aspects technico-juridiques », soulignant qu’elle « couronne une longue bataille qui a vu l’Etat aux côtés des victimes à tous les niveaux institutionnels ». Après le jugement, le président du tribunal, Giuseppe Casalbore, a dressé la longue liste des parties civiles qui recevront des dédommagements, pour un total de plusieurs dizaines de millions d’euros.

Ce maxi-procès, qui s’était ouvert en décembre 2009, est le plus grand jamais organisé sur l’amiante avec plus de 6.000 parties civiles (victimes, proches de victimes, syndicats, sécurité sociale italienne...) et le premier au pénal. « C’est un procès historique, le plus grand au niveau mondial dans l’histoire de la sécurité au travail », s’est félicité le procureur, Raffaele Guariniello, qui a enquêté durant plus de cinq ans et dont la détermination a été saluée par les victimes.

Des ouvriers sans aucune protection

Les épaules recouvertes d’un drapeau italien sur lequel est inscrit "Eternit Justice", des centaines de proches des victimes, venus pour la plupart de Casale Monferrato, ville où ont été dénombrés le plus grand nombre de morts, avaient fait le déplacement. En signe de solidarité, des membres d’associations de victimes de l’amiante étaient venues d’autres pays, notamment de France.

« Il n’y avait aucune prévention, les gens allaient travailler dans les usines (de produits en amiante-ciment, ndlr) sans aucune protection », a dénoncé Piero Ferraris, dont le père Evasio, est mort en 1988, à 63 ans, d’un mésothéliome après avoir été ouvrier de l’usine Eternit de Casale Monferrato de 1946 à 1979. Camionneur pour Eternit à Casale Monferrato durant 32 ans, Remo Viotto, 77 ans, qui transportait les produits finis ou l’amiante brute, a appris il y a 18 ans, lors d’un contrôle effectué six mois après le début de sa retraite, qu’il était atteint d’un mésothéliome. « Casale est une ville martyre, pleine de gens malades », dénonce-t-il.

Pour les victimes de l’amiante d’autres pays, et notamment de France, qui réclament l’organisation de procès similaires au pénal, le procès Eternit de Turin est une lueur d’espoir. L’avocat français Jean-Paul Teissonnière a annoncé qu’il demandera aux « autorités judiciaires en France d’en tirer les conséquences : pourquoi ce qui est possible en Italie n’est pas possible en France ? ». « En France, les plaintes ont été déposées en 1996 », a-t-il rappelé, dénonçant l’« impuissance » et une « paralysie (de la justice, ndlr) devant les puissances économiques », les anciens producteurs d’amiante.

LeParisien.fr 13 février 2012


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