City of Poros : les rescapés racontent l’attentat

Les victimes de l’attentat du City of Poros se sont remémoré, hier, ce court instant où leur vie a basculé. Deux Françaises avaient même sympathisé avec le tueur.

Trois à cinq minutes de terreur, vingt-trois années de souffrance. La cour d’assises spéciale de Paris a écouté hier les témoignages des rescapés de l’attentat du City of Poros, qui a tué neuf personnes, le 11 juillet 1988, en Grèce.

Face à face. « Je me suis retrouvée face à face avec le tueur. Il avait un regard cynique, froid, son arme était pointée contre moi. Il l’a baissée et a tiré une première balle dans mes cuisses, j’ai eu une sensation de chaud », se rappelle Michèle Schuh. Elle détaille avec précision ses impressions lors des salves suivantes. Elle en a reçu cinq en tout, toujours dans les cuisses. Ce qui lui a valu plusieurs opérations chirurgicales.

Rencontre. Deux amies françaises ont passé la journée avec le terroriste sur le bateau et lors des escales. L’une d’elles, Isabelle Bismuth, a été tuée par celui avec qui elle avait joué aux cartes quelques heures avant. Maître Szpiner a suggéré hier que sa religion juive avait fait d’elle une cible de choix. Prise d’un mal de ventre, l’autre femme, Rosanna Tortorelli, a eu la chance d’aller aux toilettes avant le moment fatal. « On a fait connaissance avec cette fameuse personne dès l’embarquement, il nous a dit qu’il s’appelait Ali, qu’il était libanais, qu’il avait vingt-cinq ans et qu’il était étudiant », a raconté hier la survivante.

Cette femme d’Ivry raconte que le tueur – qui se nomme Adnan Sojod selon l’accusation – s’est même baigné au cours d’une escale, laissant sur le sable son gros sac rempli d’armes.

« Je risque de finir comme une plante verte »
Séquelles. Âgée de vingt-quatre ans en 1988, une employée de la Caisse d’allocations familiales a été gravement touchée par la grenade lancée par le terroriste. Devant les sept magistrats professionnels, elle liste ses blessures : traumatisme crânien, tympans perforés, paralysie du bras et des éclats microscopiques à la base du crâne qui bougent au fil du temps. « Je risque de finir comme une plante verte à moyen ou long terme », a-t-elle dit.

Silence. Une enseignante, dont le mari a reçu une balle au niveau de l’aisselle, se souvient d’un grand silence qui a suivi la tuerie. Mais surtout de l’arrivée du tueur. « J’ai vu un homme avec une mitraillette, j’ai cru dans un premier temps qu’il s’agissait d’un père de famille avec un jouet. »

Réactions. Sa fille, elle, a été marquée par les réactions étranges des gens après le drame. « Les adultes sont des grands enfants dans ce genre de moment : j’ai vu quelqu’un qui enjambait les cadavres en disant : “Où est ma caméra vidéo ??” », a-t-elle raconté, parlant d’un décalage, d’une bulle d’angoisse pour désigner cet instant.

Tueur mort ? Plusieurs témoins de la scène doutent que le tueur soit mort ce jour-là. « Je suis sûre de l’avoir vu dans l’eau au milieu de la foule en panique », a dit hier une Française. Pour étayer l’hypothèse de la mort du tueur, les enquêteurs s’appuient sur la découverte d’une jambe qui a été retrouvée sur le bateau et qui n’appartenait à aucune des victimes. Ce qui ne prouve pas grand-chose.

Psychologie. Les familles qui se sont succédé à la barre et les avocats ont évoqué les conséquences psychologiques de l’attentat. Dépressions, chute dans l’alcoolisme, agoraphobie… Deux jeunes gens qui se trouvaient sur le bateau se sont mariés quelques années plus tard. Mais ont gardé au plus profond d’eux cette douleur. « Nous sommes mariés depuis dix-huit ans mais jamais on n’en a parlé, jamais on n’a lu un article de presse », a dit hier un homme, qui a donc découvert toute l’enquête pendant ces trois jours.

Le procès devrait prendre fin aujourd’hui avec des plaidoiries d’avocats, les réquisitions de l’avocat général et le verdict.

Le Berry - Guillaume Bellavoine - 1er mars 2012


Nous soutenir

C’est grâce à votre soutien que nous pouvons vous accompagner dans l’ensemble de vos démarches, faire évoluer la prise en charge des victimes par une mobilisation collective, et poursuivre nos actions de défense des droits des victimes de catastrophes et d’attentats.

Soutenir la FENVAC

Ils financent notre action au service des victimes