Concordia : une audience préliminaire très "technique"

Près d’un mois et demi après le naufrage du Costa Concordia qui a fait 32 victimes, dont sept n’ont pas été retrouvées, des centaines de rescapés de la catastrophe, ainsi que quantités d’avocats et d’experts, ont assisté samedi 3 mars dans la ville toscane de Grosseto, à la première audience dans cette affaire, préalable à un procès qui ne se tiendra sans doute pas avant un ou deux ans.

Le commandant "poltron" aux abonnés absents...

A terme, neuf employés de la compagnie Costa, premier croisiériste européen, devraient être jugés pour homicide par imprudence, naufrage, et défaut de communication envers les autorités maritimes.

Principal protagoniste du drame, surnommé "capitaine-poltron" par la presse italienne, le commandant Francesco Schettino, n’a pas démenti cette réputation en ne se présentant pas à l’audience.

Le capitaine, assigné à résidence, est "inquiet pour sa sécurité", a expliqué l’un de ses avocats. Schettino n’a sans doute pas tort : il est profondément haï en Italie et bien au-delà, car 60 nationalités étaient représentées à bord du paquebot.

Deux charges supplémentaires contre le capitaine

En plus des charges précitées, le grand absent du jour est aussi poursuivi pour avoir abandonné son navire avant que l’ensemble des 4.229 passagers et membres d’équipage n’ait été évacué.

"Moi j’ai connu Schettino, comme tous les autres passagers, à bord. Je l’ai vu partir vers la proue. J’ai vu la première chaloupe descendre. Il était accompagné de 4 personnels de bord", a raconté ce samedi Giuseppe Grammatico, l’un des touristes naufragés, avocat de son état.

Devant les juges, Me Bruno Leporatti, a réaffirmé la thèse de Schettino, qui ne nie pas avoir quitté le navire prématurément, mais assure ne pas l’avoir fait "volontairement", car il aurait glissé dans une chaloupe. Par ailleurs, l’avocat a répété que "la compagnie Costa a été constamment et complètement informée de ce qui se passait à bord du navire".

Outre son abandon de poste, le commandant pourrait aussi avoir à répondre des dégâts occasionnés dans l’archipel auquel appartient l’île du Giglio, une réserve naturelle, sanctuaire pour nombre d’espèces en Méditerranée. A ce titre, le procureur Francesco Verusio a réclamé ce samedi que le marin soit poursuivi pour "destruction de l’environnement dans un site protégé".

Douleur et colère des rescapés...

Au moment d’entrer dans le théâtre municipal réquisitionné pour accueillir les débats, Sergio Amarotto, un survivant a estimé que "c’était aussi bien que Schettino ne vienne pas", car "il n’a fait que dire un mensonge après l’autre pour se couvrir".

Sa présence ou non importait peu à Francesca Bertaglia, une rescapée furieuse, pour qui c’est surtout le jour de l’accident qu’il aurait dû répondre présent. "C’est un imbécile et quelque part aussi un criminel. C’est impensable qu’il n’ait pas déclenché l’alarme. C’est une attitude criminelle", a-t-elle ainsi déclaré.

Pour beaucoup, l’humeur n’était pas tant à la colère qu’à la tristesse et aux regrets. "Se remémorer ces moments, ça fait mal... Il y avait tellement de confusion à bord, on a dû tout faire tout seul, tellement de choses ont été mal faites, en si peu de temps", a par exemple déclaré Giacomo Brignone.
"Alors qu’on aurait eu tout le temps nécessaire pour organiser l’évacuation de manière plus calme et, j’en suis presque sûr, tout le monde aurait pu être sauvé" a confié à l’AFP-TV cet autre rescapé.

De nouveaux témoignages à charge

En fait d’organiser les secours, le commandant aurait bel et bien tardé à réagir et choisi de dissimuler la gravité de la situation aux autorités. A cet égard, la presse italienne a encore publié des témoignages accablants ce samedi, y compris du commandant en second, Ciro Ambrosio, lui aussi poursuivi.

Selon Salvatore Catalano, l’avocat de cet officier, au moment du choc avec un récif, le commandant de bord qui n’avait pas ses lunettes, oubliées dans sa cabine, aurait "demandé à plusieurs reprises à Ciro Ambrosio de vérifier la route du navire sur l’écran radar".

Toujours selon Me Catalano, alors que le capitaine tergiversait, c’est son second qui aurait pris l’initiative de l’évacuation, ordonnant de "mettre à la mer les chaloupes à partir du pont numéro 4".

Parmi les autres griefs à l’encontre de Schettino, pour ce qui est du manque de communication, voire de la dissimulation, le Corriere della Sera affirme que le capitaine aurait franchement "ordonné à son équipage de dire aux garde-côtes que tout était sous contrôle".

Ne pas blanchir Costa Crociere...

En somme, la tentation est forte d’accabler l’officier, mais il n’est pas question pour toutes les parties d’en faire un bouc-émissaire. Carlo Rienzi, le président de l’association de défense des consommateurs Codacons, a ainsi affirmé en avoir "assez d’entendre qu’une heure après l’accident, Costa ne savait rien". "C’est inacceptable qu’ils mettent tout sur ce "pauvre" commandant - et je mets entre guillemets le "pauvre" bien sûr -", a-t-il lancé à la presse lors d’une interruption de séance.

Me Giulia Bongiorno, une avocate renommée qui représente 67 passagers italiens, allemands et brésiliens a de son côté demandé que la société Croisières Costa ne soit pas considérée comme "partie lésée" dans cette affaire, et elle a réclamé "une vérification des flux de communications entre le poste de commandement du navire et la salle des machines".

Costa Crociere s’est effectivement vu refuser le statut de "partie lésée", mais la compagnie "reste dans le procès comme partie qui a subi un dommage avec la perte du navire", a expliqué son avocat, Marco De Luca, se félicitant que "contrairement à ce que réclamait les parties civiles, la responsabilité pénale de la compagnie n’ait pas été reconnue". Ce qui ne l’empêche pas, a-t-il ajouté, d’assumer "sa responsabilité civile pour les dommages causés par ses employés".

La balle dans le camp des experts...

Alors que le capitaine Schettino fonde en partie sa défense sur un supposé manque de fiabilité des équipements, pour les experts il s’agit de vérifier que "tous les instruments de bord fonctionnaient correctement", a expliqué à l’AFP Bruno Nieri, professeur d’électronique à l’Université de Pise, lui-même expert pour le compte de l’association Codacons.
Après le premier round judiciaire de ce samedi, la prochaine audience prévue le 21 juillet aura notamment pour objet de recueillir leurs rapports d’analyse.

Des parents éplorés dans l’assemblée

On espère que bien avant cette date, le père de Mickaël Blémand, le jeune Français toujours porté disparu, saura si oui ou non, son fils figure parmi les corps qui n’ont toujours pas été identifiés. Présent samedi à Grosseto, Hilaire Blémand, les larmes aux yeux, a répondu laconique aux journalistes qui lui demandaient comment il se sentait : "très mal, très mal".

Joint par l’AFP, Alain Litzler, le père de Mylène, 23 ans, la fiancée de Mickaël, s’est dit frustré du caractère "très technique et juridique" de l’audience du jour. Surtout, il a réclamé avec force que soient enfin pratiqués les tests ADN sur les corps retrouvés.

"On ne sait même pas si ce sont nos enfants, si ce sont des hommes ou des femmes", a-t-il déclaré indigné, ajoutant que "personne ne comprend" pourquoi ces examens ont été suspendus. Pourquoi, on le sait bien, parce qu’un avocat de la défense a obtenu cette décision pour une raison procédurale. Jusqu’à quand, telle est la question…

Metrofrance.com - 3 mars 2012


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