AZF : « Il ne suffit pas de quelques pelletées de terre pour enterrer les morts »

Pilier des parties civiles, Me Stella Bisseuil a plaidé mardi dans le cadre de la fin du procès en appel de la catastrophe AZF. Très attendue par une grande partie des parties civiles, l’avocate a accablé le fonctionnement mené par la direction de l’ancien site chimique.

L’audience débute par une liste : celle des noms des victimes représentées par l’association des familles endeuillées, défendue par Me Bisseuil. A la barre, l’avocate entame le dernier chapitre d’un dossier qu’elle porte avec détermination depuis maintenant dix ans : « Cette détermination, aucune indemnisation ne peut l’effacer. » Mais aussitôt évoquée, l’émotion est évacuée : « J’ai entendu l’expression justice compassionnelle. Je n’approuve pas ce terme. Car quand les familles veulent pleurer, ce n’est pas ici qu’elles le font, mais au cimetière. » Logique et objectivité sont invoquées : « Aucune cause n’est plus consolatrice qu’une autre mais nous avons su lire, objectivement, une vérité complexe, la vérité judiciaire. »

« Il croit alors qu’il est agent d’entretien mais réalité petit chimiste et pire, apprenti sorcier »

Une vérité qu’elle oppose « aux contre-feux et artifices mis en place par l’industriel pour se dédouaner » que l’avocate n’hésite pas à qualifier « de manipulation impardonnable. » Et pourtant, avant d’entrer dans le cœur de sa démonstration, Stella Bisseuil annonce s’appuyer sur les conclusions de la commission d’enquête interne (CEI) « qui a suivi le même chemin que l’enquête judiciaire. » Un chemin qui la conduit rapidement au hangar 221. « Il ne respectait pas les deux exigences de l’arrêté préfectoral, pourtant peu contraignantes : un sol étanche et cimenté et du nitrate d’ammonium pur. » Or l’avocate, références à l’appui, assène que la CEI a reconnu des manquements dans ces deux cas. « C’est une rupture totale entre les prescriptions réglementaires et celles effectuées par l’usine. » Manière d’apporter davantage d’arguments à la constitution d’une infraction légale, qui avait achoppé en première instance.

La balance mais surtout le glaive

Quant au hangar 335, évoqué comme « incubateur » de la catastrophe, « aucune procédure ne le régit, personne ne s’en occupe excepté Mr Faure, éboueur du site, qui a d’ailleurs fort à faire. » Censé manipuler des déchets communs, l’avocate est persuadée que le sous-traitant est amené à gérer des déchets spéciaux, sans qualification « Il croit alors qu’il est agent d’entretien mais réalité petit chimiste et pire, apprenti sorcier. » Avant de citer à nouveau la CEI qui »note la confusion dans la nature des déchets »

« Sous prétexte d’inventaire, ils s’accaparent les premières constatations pendant près d’une semaine. La police n’y sera que deux mois plus tard… »

Si la CEI lui a servi dans une première partie, Stella Bisseuil n’a pas de mots assez durs pour évoquer les soupçons de dissimulation de preuves dont la commission se serait rendue coupable. Sans quitter le 335, Me Bisseuil revient sur les premiers jours de la catastrophe : « Les déclarations de Mr Fauré, évoquant un mélange hétérogène dans une benne du 335 ne sont pas transmises à la police. Sur place, les membres de la commission voient dans ce hangar toutes sortes de produits et de sacs plastiques et constatent que c’est anormal. Préviennent-ils la police ? Non jamais. A la place, sous prétexte d’inventaire, ils s’accaparent les premières constatations pendant près d’une semaine. La police n’y sera que deux mois plus tard… » Pourtant, ces constatations sont absentes du rapport officiel s’étonne l’avocate : « Le rapport final évacue la thèse chimique en trois phrases. Et les constatations effectuées avant constituent la partie immergée de l’iceberg. »

Puis en s’adressant directement à la cour : « En condamnant, vous montrerez que le risque ne paie pas. Cent fois, les dés ont été jetés. Le hasard ne choisit que l’heure et le jour. Sans sanction, le risque paie à tous les coups. La justice, c’est la balance mais aussi le glaive. » Et d’en terminer en évoquant les victimes : « Il ne suffit pas de quelques pelletées de terre pour enterrer des morts mais des mots pour les lier à notre réalité. » Applaudissements dans la salle, vite circonscrits par le président, qui suspend l’audience.

carredinfo.fr le 7 mars 2012


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