Irradiés d’Épinal : le rapport qui accable le service de radiothérapie

Un rapport de la Chambre régionale des comptes de Lorraine, publié mardi en exclusivité par L’Est républicain , dévoile de nouveaux dysfonctionnements à l’hôpital Jean-Monnet d’Épinal, dans les Vosges, où au moins 5.500 patients ont été surirradiés entre 1987 et 2006. Ce document révèle que le service de radiothérapie fonctionnait "de façon presque autonome, quasi autarcique", sans contrôle de la direction de l’établissement, du moins entre 2001 et 2006. "Aucun contrôle administratif" n’existait notamment sur les admissions, effectuées par deux secrétaires dépendant "des seuls médecins" du service, épingle le rapport.

"Lors de la déclaration aux autorités de tutelle relative aux 23 patients surirradiés le 16 septembre 2005, la directrice (de l’hôpital) ne connaissait pas les identités desdits patients", affirme la chambre régionale des comptes. La directrice "a tenté en vain de mettre fin à cette situation", mais "sa tentative s’est heurtée à l’hostilité des médecins", note le rapport. La direction de l’hôpital n’avait en outre "ni la maîtrise de l’activité privée (des médecins) du service ni les moyens d’en mesurer son véritable niveau". En 2002, "aucun chiffre" concernant l’activité libérale de la radiothérapie n’a pu être produit, au motif que "la commission de l’activité libérale", pourtant présidée par le chef du service de radiothérapie, ne s’était "pas réunie".

Illégalité totale

En 2005, le service de radiothérapie d’Épinal était même "dans l’illégalité totale" avec un seul radiophysicien, au lieu de deux, qui de plus travaillait en parallèle dans une polyclinique le rémunérant alors qu’il était "contractuel à temps plein" de l’hôpital. Celui-ci était donc souvent absent et des patients étaient irradiés en l’absence d’un radiophysicien, ce que le règlement interdit formellement d’après L’Est républicain . L’hôpital Jean-Monnet, pour mettre fin à cette situation, avait alors proposé un rapprochement avec le centre anticancéreux Alexis-Vautrin de Nancy, que celui-ci avait accepté. Mais l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) de Lorraine n’avait, selon le rapport, pas donné de suite à ce projet.

Le rapport de la chambre régionale des comptes relève une série de dérapages qui ont abouti au plus grave accident de radiothérapie recensé en France à ce jour . Au moins 5.500 personnes ont été victimes de surirradiation au centre hospitalier Jean-Monnet entre 1987 et 2006. Parmi ces victimes, 24 ont été très fortement irradiées pendant le traitement d’un cancer de la prostate entre mai 2004 et août 2005. Cinq d’entre elles sont décédées des suites de surdoses. Le document insiste notamment sur "l’absence de stratégie planifiée, de mise à niveau des équipements ou de leur renouvellement" et sur "l’absence de communication" avec la direction de l’établissement hospitalier.

"On connaissait jusqu’à aujourd’hui les fautes médicales qui avaient été commises. Grâce à ce rapport, on sait désormais qu’il n’y avait aucun contrôle non plus sur le plan administratif. (...) Cela explique le fait que ces prétendus médecins aient pu agir pendant 20 ans sans jamais être sanctionnés", relève Me Gérard Welzer, avocat de l’Association des surirradiés d’Épinal . Après avoir pris connaissance de ce document, l’avocat a décidé d’envoyer un courrier au juge d’instruction en charge du dossier pour qu’il se saisisse de ce rapport.

Sept mises en examen

Sept mises en examen ont été prononcées par les juges du pôle de santé publique du tribunal de grande instance de Paris. Les deux radiothérapeutes et le radiophysicien ont été mis en examen fin mai pour "homicides involontaires" et "blessures involontaires ayant entraîné une interruption temporaire de travail de plus de trois mois". L’ancienne directrice de l’hôpital l’est aussi de son côté pour "non-assistance à personne en danger". Quant à l’ancien directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) de Lorraine et à l’ancienne directrice de la DDASS des Vosges, ils ont été mis en examen pour "omission de porter secours" .

Le radiothérapeute, chef de service, a été révoqué en mai par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot , mais il compte faire appel de cette décision selon les dires de son avocat. L’autre praticien a écopé d’un blâme. Le rapport de la chambre régionale des comptes, qui comporte une cinquantaine de pages, a été remis à l’actuel directeur de l’hôpital d’Épinal et doit être rendu public dans les prochains jours.

Chloé DURAND-PARENTI, Le Point.fr - 09 septembre 2008


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