Surirradiés d’Epinal : un radiophysicien et deux radiothérapeutes jugés à Paris

Six ans après la découverte de l’affaire dite des "irradiés d’Epinal", le procès d’un radiophysicien et de deux radiothérapeutes s’est ouvert lundi après-midi devant le tribunal correctionnel de Paris. Près de 450 personnes ont été victimes de surirradiations entre 2001 et 2006 au centre hospitalier Jean-Monnet d’Epinal (Vosges). Au moins sept n’ont pas survécu.

Le procès doit s’achever le 31 octobre prochain.

Joshua Anah, 54 ans, Michel Aubertel, 62 ans, et Jean-François Sztermer, 64 ans, sont poursuivis pour "homicides et blessures involontaires", "non assistance à personne en danger" et "destruction de preuves". Ils nient toute faute pénale.

Par ailleurs, l’hôpital en tant que personne morale, son ex-directrice Dominique Cappelli, 59 ans, une ancienne responsable de la DDASS, Francette Meynard, 59 ans également, et un ex-directeur de l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH), Jacques Sans, 64 ans, sont jugés pour "non assistance à personne en danger".

L’ensemble des prévenus encourent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. Il leur est reproché d’avoir réagi trop tardivement, avec des conséquences dramatiques pour la santé de certains patients.

Deux causes techniques ont été identifiées : un changement de protocole en 2004 dans le traitement du cancer de la prostate qui n’a fait, selon les juges en charge de l’enquête, "l’objet d’aucune préparation, sans calendrier, et sans la moindre concertation réfléchie".

Vingt-quatre patients ont ainsi reçu une dose de radiation 20% plus élevée que prévu. Second problème : les contrôles radiologiques n’ont pas été pris en compte entre 2001 et 2006 dans le calcul de la dose totale reçue par chaque patient. Ce problème a concerné 424 victimes, avec une surdose de 8 à 10%.

Ces surirradiations ont "eu des conséquences très diverses suivant la morphologie des personnes", a expliqué à la presse Philippe Stäbler, président de l’Association vosgienne des surirradiés de l’hôpital d’Epinal (AVSHE). "Cela va d’une victime qui va aux toilettes deux fois par jour, et qui n’a jamais ressenti de douleur, jusqu’au décès (...) Il y a aussi des personnes avec des poches". Lui-même a confié avoir mal en permanence.

Les dirigeants de l’hôpital, de la DDASS et de l’ARH n’ont "pas bougé" alors qu’ils avaient été informés de la situation en octobre 2005. "Malheureusement, je suis comme tant d’autres, j’ai fait mes rayons après, de janvier à mars 2006", a-t-il raconté. Si une alerte avait été donnée dès cette date, "nous serions beaucoup moins nombreux à être victimes".

La première journée d’audience s’est achevée au bout de 1h30 seulement, après une rapide présentation des faits et des prévenus.

Le radiophysicien, Joshua Anah, a raconté qu’il était arrivé à l’hôpital d’Epinal en 1988, avant d’être licencié en mars 2007. Né en 1958 au Nigeria, ce père de deux enfants a la nationalité française. Il travaille à la fois dans une société qui vend des solutions aux radiophysiciens et dans une polyclinique des Vosges.

Jean-François Sztermer a dirigé le service de radiothérapie de 1985 à 2004. Il a semblé ému au moment d’évoquer l’été 2005. D’abord hospitalisé en juillet pour une pancréatite aiguë, il reprend ses activités professionnelles fin août et découvre "l’erreur" des surirradiations. "Ça a été pour un mois un grand choc". Son père décède peu après. "Ensuite, je me suis enfoncé dans une sorte de dépression". Il restera en arrêt-maladie jusqu’en avril 2012. Il est depuis à la retraite.

Michel Aubertel a occupé les fonctions de chef de service à partir de 2004 jusqu’à sa suspension en mars 2007. Il a été rayé des praticiens hospitaliers en mai 2008. "Je n’ai pas retravaillé depuis cette date", confie-t-il, précisant que ses demandes de remplacement en médecine générale ont été refusées.

Directrice de l’hôpital Jean-Monnet de 2001 à 2006, Dominique Cappelli avait écopé d’un blâme pour sa gestion de l’affaire. Son recours a été rejeté. "On a dit que de toute façon, il y avait une faute quelque part", explique-t-elle. Elle est en attente d’une affectation depuis 2010. Francette Meynard dirige l’Agence régionale de santé de Bourgogne, tandis que Jacques Sans est chargé de mission auprès du conseil régional de Lorraine.

"Je suis écoeuré parce qu’ils (...) nous ont esquinté pour gagner de l’argent, un peu plus d’argent", a confié une victime, Pierre Fleurance, après la première audience. "Le traitement n’était pas gratuit, loin de là, et c’était eux qui encaissaient", a déclaré à Sipa cet homme de 80 ans, fragilisé par un cancer de la prostate qui "ne guérira pas". "Ca fait treize ans et je suis un incontinent anal constant".

Les débats reprendront mardi à 13h30.

Le Nouvel Observateur - 24 septembre 2012


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