Surirradiés d’Epinal : un rapport accablant pour les prévenus

Des dossiers "squelettiques", un changement de protocole décidé à l’initiative d’une seule personne, sans réelle formation, et surtout une information plus que tardive, et parfois minime, auprès des patients : le rapport de deux experts a été présenté mardi devant le tribunal correctionnel de Paris chargé de juger l’affaire dite des "surirradiés d’Epinal".

En octobre 2006, après la découverte de l’accident de surirradiations à l’hôpital Jean-Monnet d’Epinal (Vosges), le ministère de la Santé avait chargé le Dr Françoise Lalande, de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et Guillaume Wack, un ingénieur de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), de mener une enquête sur les causes de cette affaire et sa gestion.

Dans leur rapport, ils avaient classé cet événement comme le plus important accident impliquant les rayonnements ionisants ayant eu lieu en France. Le centre de radiothérapie a été fermé en 2007.

Un radiophysicien, deux radiothérapeutes, l’ancienne directrice de l’hôpital, l’établissement lui-même en tant que personne morale, ainsi que l’ex-directrice de la DDASS et l’ancien responsable de l’Agence régionale de l’hospitalisation sont jugés dans le cadre de cette affaire jusqu’au 31 octobre.

D’emblée mardi, lors de la deuxième après-midi d’audience, le Dr Lalande a raconté qu’elle s’était aperçue "rapidement" que les dossiers des patients étaient "anormalement maigres". "Squelettiques" même. Face à ce "vide", elle se tourne alors directement vers les patients et leurs familles, ainsi que vers les médecins qui suivaient les malades en dehors du centre. "Chaque jour", il y avait "des malades nouveaux qui dépassaient notre saisie", a-t-elle expliqué à la barre.

L’une des causes de surirradiations, un changement de protocole en mai 2004 dans le traitement du cancer de la prostate, a abouti à une surexposition de 20% pour 24 patients. L’autre cause, la non-prise en compte entre 2001 et 2006 des contrôles radiologiques dans le calcul de la dose totale reçue par chaque patient, a concerné 424 victimes, pour une surdose de 8 à 10%.

Quand ils ont changé de protocole, a souligné Guillaume Wack, le service de radiothérapie a supprimé toutes les lignes de défense qui auraient permis d’alerter sur les surirradiations. L’initiative aurait été prise à l’initiative du seul physicien, Joshua Anah, sans solliciter l’avis des radiothérapeutes.

En outre, il s’est effectué sans réelle formation, et sans "aucun écrit", a poursuivi l’ingénieur. "On a enlevé au fur et à mesure la ceinture, les bretelles". Et la "traçabilité était vraiment en pointillés au fur et à mesure des traitements". Pas avare de formules qui font mouche, il a osé évoquer la fabrication des stylos Bic pour lesquels il y a "plus de procédures que pour traiter un malade par radiothérapie".

Pour le Dr Lalande, les radiothérapeutes d’Epinal semblaient "considérer que toute rectite (inflammation du rectum, NDLR) est normale, (...) mieux que le cancer". Mais "quand on regardait le taux de rectite à l’hôpital d’Epinal, il était bien supérieur aux plus mauvaises études internationales", a-t-elle lancé.

"La prise de conscience du caractère collectif du problème a été assez longue", a regretté cette ancienne membre de l’IGAS, aujourd’hui retraitée. Dès août 2005, "l’alerte était possible". Mais "l’accident a été minimisé" et "l’ambiance était très rassurante". Après une réunion des autorités compétentes (direction de l’hôpital, DDASS ou encore ARH), "chacun semble croire que c’est l’autre qui est chargé du travail", a-t-elle noté.

Les prévenus n’ont pas encore été interrogés sur le fond du dossier, seulement pour des précisions. Le président du tribunal, Olivier Perrusset, a ainsi évoqué la situation d’un malade auprès d’un des radiothérapeutes, Michel Aubertel. "Ce monsieur vit avec deux poches", et il est noté dans son dossier qu’il a une "vie normale. "Cela ne me paraît pas compatible", a-t-il lancé. "Je ne me souviens pas", a répondu le prévenu.

Très émue et furieuse, l’ancienne directrice de l’hôpital, Dominique Cappelli, a avoué son impuissance. "On me demande de faire tout et son contraire, et on me le reproche", a-t-elle lancé. "On m’a reproché d’aller aux enterrements, d’aller au domicile des malades (...) Que pouvais-je faire d’autre ? J’ai fait tout ce que, en mon âme et conscience, je pouvais faire".

Le Nouvel Observateur - 25 septembre 2012


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