Grande Paroisse et son directeur reconnus coupables de fautes dans l’affaire AZF

Le "scénario" de la piste chimique est "certain" et le directeur de l’usine Grande-Paroisse, une sous-filiale du groupe Total, est "coupable" dans l’affaire AZF. Le président de la cour d’appel de Toulouse, Bernard Brunet, a résumé en quelques mots, simples et lapidaires, les 684 pages de son arrêt.

L’épilogue d’un nouveau procès fleuve de quatre mois, pour déterminer les responsabilités dans la catastrophe qui a fait 31 morts et 2 500 blessés le 21 septembre 2001, à Toulouse, s’est joué en quelques minutes dans la grande salle municipale qui accueillait une dernière fois avocats et magistrats. Bernard Brunet s’est employé à lever les doutes et les derniers scrupules juridiques qui avaient retenu le tribunal correctionnel, en 2009, de condamner Serge Biechlin et la société Grande- Paroisse faute d’une preuve "certaine". Mais comme en première instance, la cour écarte une nouvelle fois la responsabilité du groupe Total et de son ancien PDG, Thierry Desmarest.

La cour d’appel a voulu frapper fort en prononçant une peine de prison ferme, bien au-delà des réquisitions du parquet. "M. Biechlin, directeur d’une usine Seveso II seuil haut, installée en zone urbaine, ne pouvait pas ignorer les risques découlant du mélange de nitrates et de produits chlorés", affirment les juges dans leurs attendus. Tournant le dos au public, l’ancien directeur aux cheveux blancs ne bronche pas face à ses juges. La lecture complète de l’arrêt sonne comme un avertissement aux oreilles des industriels, bien au-delà de Grande-Paroisse, condamnée à 225 000 euros d’amende.

"UN TOTAL DÉSINTÉRÊT VIS-À-VIS DES RISQUES SUPPORTÉS PAR LES SALARIÉS"

La sous-traitance, jugée "inappropriée", est montrée du doigt à travers l’exemple d’AZF. Les magistrats toulousains conviennent que le recours à des sociétés extérieures "n’est pas inéluctablement fautif en soi au sens pénal du terme". Mais ils reprochent à l’ancien directeur "un total désintérêt vis-à-vis des risques supportés par les salariés" de ces entreprises. A leurs yeux, l’absence de formation de l’employé d’une entreprise chargé du nettoyage et du recyclage des déchets qui a déposé la benne fatale contenant des résidus chlorés dans le hangar 221 est une circonstance aggravante, imputable au directeur de l’usine. "Il s’agit là de la plus grave parmi toutes les fautes retenues, puisque la décision a été prise, en pleine connaissance de cause, de mettre les salariés en situation de risque sans leur donner les moyens d’y faire face, la conséquence étant, ainsi que les faits du 21 septembre 2001 l’ont amplement démontré, de mettre non seulement ces salariés mais toute l’entreprise et même au-delà la population toulousaine en situation de danger permanent."

Entouré des dirigeants du groupe et de son bataillon d’avocats, le directeur de l’usine, Serge Biechlin, 67 ans, est condamné à trois ans de prison, dont deux ans avec sursis. Cette peine pourra être accomplie selon le régime de la semi-liberté, lui précise le président de la cour d’appel. Serge Biechlin se montrait pourtant "serein" et "confiant" trois jours plus tôt. L’ancien directeur était revenu sur les lieux de la catastrophe, vendredi 21 septembre, à l’occasion de la cérémonie commémorative rassemblant les anciens salariés et les riverains victimes de l’explosion, qui ravagea plusieurs quartiers de la ville. Lundi, cet ingénieur alsacien, qui avait pris la direction de l’usine toulousaine de produits chimiques quelques années avant la catastrophe, n’a croisé aucune caméra. Il a été rapidement exfiltré par les agents de sécurité de Total derrière un cordon de forces de l’ordre en tenue de combat, sans dire un mot.

Son avocat se charge d’annoncer aux journalistes qu’il va immédiatement se pourvoir en cassation. Me Daniel Soulez-Larivière dénonce une décision "plus passionnelle que rationnelle". La poignée de militants qui ont déployé une banderole regrettant par avance que "Total [soit] blanchi par la Justice", a également annoncé son intention de se pourvoir en cassation. "M. Biechlin et Grande-Paroisse ne décidaient pas seuls, ils recevaient des injonctions de Total", estime le collectif Plus jamais ça dans un communiqué.

En affirmant que "la cause chimique est la dernière envisageable", les magistrats ont voulu faire un sort aux hypothèses alternatives brandies par la défense, "comme un nuage de fumée", selon les avocats des parties civiles. L’arrêt de la cour d’appel consacre notamment plus de 20 pages à démonter méthodiquement la piste d’un attentat islamiste. Elle rétablit avec force le statut de victime d’un intérimaire, Hassan Jandoubi, retrouvé mort avec deux sous-vêtements et un short sous les décombres de l’usine. "C’est à tort que M. Biechlin et la société Grande-Paroisse soutiennent depuis des années que M. Jandoubi pourrait être à l’origine de la catastrophe ", affirment les magistrats de la cour d’appel. La fameuse "note blanche" des renseignements généraux sur une piste terroriste, généreusement diffusée dans les médias, est dénoncée comme un moyen "d’accréditer artificiellement une rumeur devenue une thèse opportuniste et dépourvue de toute réalité".

Stéphane Thépot, Le Monde - 25 septembre 2012


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