Erika : la cour valide le « préjudice écologique »

La décision de la Cour de Cassation, très défavorable au pétrolier, grave cette notion pour la première fois dans le marbre.

Total est définitivement jugé responsable et coupable de la catastrophe provoquée par le naufrage de l’Erika. Non seulement la Cour de cassation n’a pas suivi la position de son avocat général, mais elle est allée, de façon exceptionnelle, plus loin que la cour d’appel en condamnant le pétrolier à de larges dommages et intérêts. Cette décision, manifestement très défavorable au pétrolier, clarifie la jurisprudence en cas de nouvelle catastrophe.

Les parties civiles, défendues pour certaines d’entre elles par l’ancienne ministre Corinne Lepage, n’ont pas caché leur émotion à la lecture de ce jugement qui leur donne entièrement satisfaction. Plusieurs élus locaux ont raconté avoir crié de joie. En sombrant le 12 décembre 1999, l’Erika, navire vieux de 25 ans, avait en effet mazouté 400 kilomètres de côtes, notamment en Loire-Atlantique, et saccagé les fonds marins.

La Cour de cassation n’a pas suivi l’avis de l’avocat général qui avait plaidé en faveur d’une annulation de toute la procédure. Le parquet argumentait que la justice française n’était pas compétente pour juger, l’Erika étant immatriculé à Malte et ayant coulé en dehors des eaux territoriales.

Les hauts magistrats ont au contraire estimé l’intervention des juridictions françaises fondée, puisque le dommage visait bien, lui, les côtes hexagonales. Les tribunaux français pourraient donc être saisis pour des naufrages hors des eaux tricolores s’ils se reproduisaient.

Reconnaissance du préjudice écologique

L’avocat général avait par ailleurs provoqué un tollé en remettant en cause l’indemnisation du « préjudice écologique » accordé à plusieurs collectivités et associations. C’est l’un des points les plus remarqués par les défenseurs de l’environnement. Cette reconnaissance d’une nouvelle forme de préjudice, ni moral ni économique, est en quelque sorte un « héritage » de l’Erika : la notion est apparue lors de la toute première condamnation du pétrolier. Elle a ensuite été renforcée en appel et vient d’être, pour la première fois, gravée dans le marbre de la jurisprudence de la plus haute juridiction de jugement. « La définition qu’apporte la cour du préjudice écologique va beaucoup plus loin que tous les textes en vigueur », explique Patrice Spinosi, avocat devant la Cour de cassation.

Les collectivités locales, ou les associations, essentiellement, pourront désormais exiger une indemnisation du pollueur en cas d’atteinte « non négligeable » à l’environnement, en plus du remboursement des dégât matériels proprement dits. Sur les 200 millions de dommages et intérêts versés par Total, 13 l’ont été au titre de ce « préjudice écologique ».

Mardi, Total envisageait la possibilité d’introduire un recours devant la justice européenne, sous le coup de cet arrêt qui a validé l’amende pénale de 375.000 euros, sanction maximale prévue par la loi, mais aussi la facture civile de 200 millions d’euros en réparations.

L’entreprise a déjà payé la quasi-totalité des sommes après le procès de première instance en 2008 et celui en appel, et avait assuré qu’elle ne demanderait aucun remboursement. Elle a aussi versé environ 200 millions d’euros supplémentaires pour le nettoyage des plages et le pompage du pétrole dans l’épave. Mais soucieuse de son image, la société continuait d’espérer un jugement plus favorable. Les dirigeants de Total défendaient qu’ils n’avaient pas à être jugés responsables, n’étant pas propriétaires du vieux bateau, loué via des intermédiaires - affrété - selon le jargon spécialisé, selon un montage complexe. En vain.

Laurence De Charette, Le Figaro - 25 septembre 2012


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