AJACCIO : Les familles des victimes du crash se rapprochent de la vérité

41 ans après le drame du 11 septembre 1968, la contre-enquête menée par les frères Paoli accrédite toujours plus, la thèse du missile. La messe du souvenir était hier.

La matinée d’hier aura été aussi riche en émotion que les jours qui viennent devraient l’être, en rebondissements. Hier matin, en effet, le cimetière marin des Sanguinaires est le lieu de recueillement le plus total des familles des 95 victimes de la Caravelle. Celle qui, jamais, ne se posera à destination. Mais allait s’abîmer au large de Nice, au Cap d’Antibes.

Un aéronef tristement devenu légendaire, qui unirait, à tout jamais, la destinée de tant de familles, elles qui ne reverraient plus jamais leurs proches, amis et parents. Tant de vies allaient être brisées, ce matin-là, quelques instants seulement après le décollage d’Ajaccio. Alors la messe du souvenir célébrée chaque année (à la même date, à un jour près) par le père Jean-Baptiste Rabazzani, qui les rassemble, du moins pour ceux qui restent, permet-elle de guérir cette plaie ouverte le 11 septembre 1968 ?

L’appel lancé aux plus hauts dignitaires de l’État

Elle rassemble, apaise, momentanément. Mais combien de mines tristes, de lunettes noires derrière lesquelles une larme perle, de temps à autre, au cours de la messe ? Lorsque ce ne sont pas les sanglots qu’une maman laisse éclater en fin de cérémonie. Parce que, survivre à son enfant et n’avoir toujours pas accès à la vérité, depuis 41 ans, c’est trop lourd à supporter.

A l’évidence, non, la page n’est pas tournée. La douleur est toujours aussi ardente. Et la plaie, sans doute jamais refermée... À moins d’un nouveau coup de théâtre. À la recherche de la vérité, les familles des victimes regroupées en association, ont réussi à construire leur vie, avec dignité. Les frères Paoli, que ce crash a rendus orphelins, ont bien été obligés d’avancer. Seuls avec leur courage. Seuls mais unis dans l’adversité. Et progressant dans leur quête incessante de la vérité. Avec distinction et honneur. Comme hier matin, au micro, Mathieu Paoli, confiant en l’avenir, ponctue son discours en exhortant l’État à faire un geste en direction des familles : « C’est impossible de faire le deuil lorsque trop de questions restent sans réponse, nous voulons connaître la vérité avant de quitter ce monde. Nous lançons un appel aux plus hauts fonctionnaires de l’État afin que la lumière soit faite. Nous ne cherchons ni coupables ni responsables ni d’indemnités, mais la reconnaissance de la vérité. »

Alors forcément, le temps passe. Et 41 ans après, les militaires ont vieilli. Ils ont eu le temps de mûrir leur réflexion, si ce n’est, rafraîchir leur mémoire. Eux qui étaient en fonction dans la zone du Mont Agel, zone de tirs de missiles, le jour de la catastrophe, eux dont nul ne peut imaginer l’ignorance totale des causes du crash.

Et le (seul) bon côté de cette longue attente, c’est qu’elle aura permis aux frères Paoli de recueillir des pièces accréditant la thèse du tir de missile, et nombre de témoignages de personnages emblématiques dans cette affaire. Militaires, enquêteurs, aujourd’hui très âgés, dégagés de leurs obligations, n’étant plus tenus au secret, et voulant soulager leur conscience avant qu’il ne soit trop tard... À présent, les témoignages écrits et enregistrés sont tellement probants que le bout du tunnel semble se rapprocher.

Révélations inattendues

Hier, Mathieu Paoli était agréablement surpris de constater une présence militaire à la cérémonie, à laquelle assistaient aussi les autorités civiles locales et même le représentant de Christian Estrosi, ministre chargé de l’Industrie, maire de Nice et président du département des Alpes Maritimes. « Ces derniers temps, nous avons recueilli deux témoignages clés : celui d’une personne chargée de gérer l’espace aérien le 11 septembre 1968 et celui du commissaire divisionnaire Paul Giannantoni, responsable de l’enquête de police. » Autant dire que ce n’est pas aujourd’hui, si proches du but, que les frères Paoli vont quitter la partie.

« Jamais ! », assurent-ils. De toute façon, après eux, la relève est assurée par la génération suivante...

À la suite de leur propre enquête les deux journalistes d’investigation, Max Clanet et Jean-Michel Verne publient l’an dernier Secret d’État, aux éditions Ramsay.

Récits, interviews, témoignages écrits y figurent. Ainsi qu’un cahier central, d’images qui font sensation. Comme la photographie du journal de bord de la frégate lance-missiles Suffren, où l’on peut voir qu’une demi-page a été déchirée. Au-dessus, il s’agit des activités militaires du 11 septembre 1968 entre 6 heures et midi.

On apprend aussi que déjà à l’époque, un expert indépendant conclu à un feu du réacteur gauche de l’appareil.

Quant au registre des messages des forces aériennes stratégiques, celui-ci, ouvert lui aussi à la page du 11 septembre, est tout sauf laconique. Sur ladite page, quelqu’un a apporté des modifications telles, que l’on pourrait croire qu’il ne s’est rien passé ce 11 septembre, en définitive. Cette fois, c’est encore plus grossier qu’une page déchirée : c’est une page où le stylo va troubler le jeu. Le texte d’origine est tapé à la machine à écrire. Revu et corrigé, le document affiche quelques chiffres rectifiés au stylo. C’est la fameuse page où le « 11 » n’existe plus, il est transformé en 12, etc. L’association des familles a accumulé suffisamment de pièces pour adapter ce scénario (qui n’est plus à écrire), à l’écran. Et un prochain livre est en cours d’écriture.

Source : Corse matin, le 13/09/09


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