Les boîtes noires : faut-il changer le système ?

Pour le directeur de l’organisme français chargé des enquêtes liées aux crashs aériens, la difficulté à retrouver les boîtes noires du vol AF 447 entre Rio et Paris au fond de l’océan pose le problème des moyens disponibles aujourd’hui pour expliquer de tels accidents. « Il existe depuis longtemps au niveau international une réflexion pour savoir par quoi on pourrait remplacer le système des boîtes noires », rappelait Paul-Louis Arslanian, lundi matin, lors d’un petit déjeuner de presse.

Selon le directeur du BEA, deux types de solution sont possibles. « Soit on trouve un système pour rendre flottant les enregistreurs de vols, et ainsi récupérer plus facilement les données, soit on envisage une transmission des données en temps réel entre l’avion et le sol » comme cela existe déjà pour les données de maintenance de l’avion. Mais dans les deux cas, « de nombreux freins existent ».

A commencer par « le coût » de modification des systèmes. Par ailleurs, rendre les enregistreurs flottants et donc dérivants sur l’eau ne permettrait plus forcément de localiser une épave. Quant à l’envoi de l’ensemble des données en temps réel, encore faut-il savoir « quelles données, par quels moyens, comment les protéger contre un usage abusif et comment les utiliser », souligne Paul-Louis Arslanian, qui confirme que « ces questions de sécurité ont été abordées de longue date dans le cadre de l’Organisation de l’aviation civile internationale ».

Le système coûtera cher à modifier »

PAUL-LOUIS ARSLANIAN, directeur du BEA*

Paul-Louis Arslanian a rappelé que « la France a de nouveau saisi l’OACI sur le sujet » et qu’« une grande réunion sur la sécurité est d’ores et déjà programmée par cette organisation internationale » au cours de l’année prochaine.

* Bureau d’enquêtes et d’analyses.

« Elles sont aujourd’hui obsolètes ! »

PIERRE JEANNIOT, le père des boîtes noires

Déjà sept ans que Pierre Jeanniot prône l’abandon des boîtes noires. « Au début, on me regardait avec de grands yeux, puis l’idée a fait son chemin. » Ce vieux routier de l’aérien a toujours vécu en précurseur. Il y a plus de quarante ans, avec quelques autres, c’est lui qui développa le concept de boîtes noires, en ayant l’idée de protéger ce qui n’était jusqu’alors qu’un simple enregistreur destiné à la maintenance des avions.

L’homme connaît une carrière fulgurante, PDG d’Air Canada, puis président de l’Iata, la puissante association internationale des transporteurs aériens.

Pour lui, il ne fait aucun doute que « les boîtes noires sont aujourd’hui obsolètes ». « C’est rare qu’elles ne soient pas retrouvées ou qu’elles soient détruites dans l’accident, détaille-t-il, mais leur analyse prend beaucoup trop de temps. » Surtout, de « nouvelles technologies sont disponibles », permettant de transmettre en temps réel « jusqu’à 1 000 paramètres » depuis l’avion jusqu’au sol, et notamment des images du cockpit, que n’enregistrent pas les boîtes noires, insiste- t-il.

Un tel système ne fonctionnerait pas en continu, mais s’enclencherait au moindre signe de défaillance de l’avion.

Côté budget, cet équipement reviendrait à « environ 50 000 $ par appareil ».Unpas financier que les compagnies seraient prêtes à franchir à l’en croire : « Au-delà de l’analyse des causes d’un accident, ces systèmes sont faciles à rentabiliser : ils permettent d’améliorer l’entretien, et par conséquent la ponctualité des vols. »

Après chaque accident d’avion, les enquêteurs se lancent dans la chasse aux fameuses boîtes noires. Ces petites caisses blindées sont en réalité orange et striées de bandes blanches réfléchissantes pour être plus facilement repérables. On les appelle boîtes noires car les données sont à l’abri comme dans une chambre noire.

Elles sont apparues à l’époque où l’aviation commerciale prenait son essor.

Dès les années 1950, elles équipent les compagnies américaines mais leur efficacité est limitée. En cas d’incendie par exemple, les données sont systématiquement perdues. Elles se généralisent au début des années 1960 avec l’arrivée des avions à réaction, comme le Boeing 707 et le DC-8. « En France, les Caravelle ont été les premiers à disposer de boîtes noires, se souvient Jean Guerry, ancien commandant de bord d’Air France. A l’époque, elles n’enregistraient qu’une dizaine de paramètres de vol au lieu de plus d’un millier aujourd’hui. »

Elles peuvent résister à plus de 1 000 °C

Pire, dans un accident sur deux les informations étaient détruites ou inexploitables. Heureusement, la technologie des boîtes noires a fait, au fil des ans, des progrès spectaculaires. « Au début, les données étaient gravées en relief, puis on est passé aux bandes magnétiques, puis aux mémoires informatiques », résume Jean Guerry. Placées à l’arrière des avions pour être au plus loin du point d’impact en cas de crash et à bonne distance des zones inflammables, comme les réservoirs, les boîtes noires sont devenues performantes.

Protégés par un coffret d’acier ultrarésistant de près de 10 kg, les enregistreurs de vol, le flight data recorder (FDR), chargés de mémoriser les paramètres de vol, et le cockpit voice recorder (CVR), chargé de capter les sons émis, peuvent résister pendant une heure à une température de 1 000 °C, rester trente jours sans dommage par 5 000 à 6 000 m de fond. Et une balise émet pendant un mois des bips d’une portée d’un à deux kilomètres. Les entrailles des boîtes noires recèlent des données indispensables pour expliquer les causes d’une catastrophe aérienne.

Ejectables et même flottantes

« On peut reconstituer la trajectoire de l’avion, sa vitesse, sa localisation au sol ou la position des manettes de gaz au moment de l’accident, détaille Jean Guerry. On récupère aussi les deux dernières heures de conversations et de sons entendus dans le cockpit. » Une fois l’avion posé, les données seront stockées pendant environ un an et la mémoire des boîtes noires vidée pour qu’elles soient aussitôt réutilisables.

Le système a toutefois des failles. « Il peut tomber en panne, les données être indéchiffrables ou les boîtes restées introuvables », indique l’ancien commandant de bord d’Air France. Parmi les progrès envisagés par les constructeurs de FDR et de CVR, la possibilité de doter les machines d’une alimentation autonome pour récupérer les données même en cas de panne électrique de l’avion ou la conception de boîtes noires éjectables et même flottantes, remontant à la surface si l’avion s’abîme en mer. Autre piste : la généralisation de systèmes de détresse se déclenchant automatiquement en cas de choc. Système qui équipe une centaine de compagnies dans le monde.

Ce que dit la loi

A la suite d’un incident, les boîtes sont analysées par les autorités chargées de la sécurité aérienne. En France, il s’agit du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA). C’est au plan international qu’est établie la réglementation applicable aux enregistreurs de vol. Elle distingue deux types de boîtes noires :

Les CVR (cockpit voice recorder) enregistrent en boucle les conversations du cockpit (échanges entre les membres d’équipage, entre l’équipage et les organismes de contrôle).

Toutes les deux heures, la boîte noire repart à zéro et enregistre à nouveau pendant deux heures. En cas de crash, les informations émises pendant les deux heures précédant le drame sont stockées par la boîte noire.

Les FDR (flight data recorder), ou « enregistreurs de données avion », permettent de restituer la trajectoire, le fonctionnement des équipements, les actions de l’équipage. Ils mémorisent jusqu’à vingt-cinq heures de données. Les deux types de boîtes doivent commencer à enregistrer pendant les vérifications faites avant le décollage et s’arrêter après l’arrêt des moteurs à la fin du vol. Elles doivent être munies d’un dispositif de repérage dans l’eau.

Pour le PDG d’Airbus, il est temps d’en finir avec le système actuel des boîtes noires, souvent introuvables après un crash. Il propose une transmission des données du vol par satellite.

Faut-il supprimer les fameuses boîtes noires sur lesquelles comptent tant les enquêteurs pour tenter de comprendre le scénario des accidents aériens ?Car encore faut-il retrouver ces précieux enregistreurs de vol. Les efforts sont souvent couronnés de succès. Lundi, les boîtes noires de l’Airbus A-310 de la Yemenia, qui s’était abîmé en mer le 30 juin près des Comores, faisant 152 morts, ont été rapatriées en France pour être analysées.

Dans le cas du vol d’Air France Rio-Paris, dont le crash dans la nuit du 1er juin au large du Brésil a fait 228 victimes, les recherches sont toujours infructueuses, malgré la mobilisation de moyens impressionnants. « C’est comme si on parcourait la Suisse à pied à la recherche d’une boîte à chaussures avec une lampe de poche », explique Paul-Louis Arslanian, le directeur du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA).

Or, en cas d’échec des recherches, difficile pour les familles des victimes de faire leur deuil sans savoir pourquoi leurs proches ont disparu. « Pour améliorer la sécurité du transport aérien, nous devons être sûrs de récupérer toutes les données d’un vol », affirme de son côté le PDG d’Airbus, Tom Enders. Qui propose d’envoyer en temps réel les informations les plus importantes de chaque vol par satellites.

Des milliards d’informations à stocker

Déjà, les avions transmettent de cette façon certaines données techniques à leur centre de maintenance. Un tel système ne sera sans doute pas évident à mettre en œuvre. Combien de satellites faudra-t-il mobiliser pour couvrir les milliers d’avions qui sillonnent chaque jour la planète ? Où stocker ces milliards d’informations ? Parviendra-t-on à un accord international pour modifier la réglementation de la sécurité du transport aérien ? Il est trop tôt pour répondre à ces interrogations. Une chose est sûre : le patron de l’avionneur européen vient de mettre sur la place publique un débat cantonné jusqu’ici à un petit cercle d’experts.

« Etre sûr de récupérer les données en cas d’accident »

THOMAS ENDERS, PDG d’Airbus

Pour renforcer la sécurité aérienne, le patron de l’avionneur européen avance une proposition phare : qu’à l’avenir, les données vitales des vols soient transmises par satellites et non plus stockées dans des boîtes noires parfois introuvables.

Trois mois après le crash de l’airbus A-330 du vol Air France Rio-Paris, quelles leçons tirez-vous de cette catastrophe ?
Thomas Enders. Les boîtes noires n’ayant toujours pas été retrouvées, il est difficile de connaître les raisons précises de cette tragédie.

Les sondes Pitot pourraient être un facteur d’explication, elles n’en sont pas la raison principale. Pour connaître la vérité, nous sommes prêts à apporter un soutien financier significatif pour la nouvelle phase de recherche des boîtes noires dirigée par le Bureau d’enquêtes et d’analyses, le BEA.

En attendant, que faites-vous pour améliorer la sécurité de vos avions ?

Pour améliorer encore à l’avenir la sécurité du transport aérien, nous devons être sûrs en cas d’accident de pouvoir récupérer toutes les données du vol. Or, on voit bien, dans le cas du vol AF 447, la difficulté à retrouver des boîtes noires gisant au fond de l’océan. Nous examinons donc la possibilité d’améliorer le système actuel par une autre méthode de recueil des données. Les données les plus importantes des vols pourraient par exemple être transmises en temps réel par satellites, comme c’est déjà le cas pour les informations liées à la maintenance de l’avion. C’est un sujet sur lequel nous travaillons avec nos partenaires et nos fournisseurs.

Quel est l’impact de la crise sur votre activité ?

Certaines compagnies nous demandent de reporter des livraisons. Nous avons donc dû réduire de 15 % à 20 %, selon les types d’appareil, la montée en cadence prévue de notre production. Si la crise s’aggrave, nous serons peut-être amenés à ralentir encore les cadences. Notre objectif reste, malgré tout, de livrer au moins autant d’avions qu’en 2008.

Les A-320 ont-ils vocation à être fabriqués à Hambourg au détriment de Toulouse ?

Non. Lors du lancement de l’A-350 en 2007, nous avons dit qu’il serait plus rationnel de concentrer à terme à Toulouse l’assemblage final des gros avions, les A-330, A-340, A-350 et A-380, et d’assembler la prochaine génération d’appareils mono couloirs à Hambourg. Certains en ont déduit que les actuels A-320 ne seront plus fabriqués à Toulouse. C’est un non sens.

Pour faire face à la crise, de nouvelles réductions de coût sont-elles prévues ?

Nous avons fait beaucoup avec le plan de restructuration, Power 8, décidé avant la crise. Lancé en 2007 pour faire face aux pertes de l’A-380 et au dollar faible, ce plan commence à porter ses fruits. Ce que nous explorons maintenant avec les partenaires sociaux, ce sont toutes les solutions innovantes en matière de temps de travail qui nous permettraient plus de flexibilité dans la gestion des fluctuations des temps de travail.

Comptez-vous multiplier les délocalisations hors de la zone Euro ?

Airbus restera fondamentalement une entreprise européenne. C’est là que sont nos racines, 95 % de nos salariés sont Européens. Mais pour devenir un leader mondial, Airbus doit gagner des parts de marché partout dans le monde. Pour cela, nous devons nous implanter et nouer des partenariats en Inde, en Russie et, bien sûr, en Chine qui est un marché gigantesque. Voilà pourquoi nous y avons créé une chaîne d’assemblage des A-320 destinés au marché chinois. Nous allons continuer dans la voie de l’internationalisation mais nous le ferons sans sacrifier ni l’activité industrielle ni les emplois ici en Europe.

Pensez-vous être à l’équilibre financier en 2009 ?

Oui. Notre but est clairement de faire des bénéfices en 2009.

Source : le parisien, le 04/09/09


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