Fukushima contamine la confiance dans le nucléaire

Depuis près de deux ans et demi, des nouvelles aussi alarmantes que déprimantes arrivent de la centrale nucléaire de Fukushima, accidentée lors du tsunami du 11 mars 2011. Alarmantes, elles le sont par leurs conséquences : le 22 août, l’opérateur Tokyo Electric Power (Tepco) a estimé à 30 000 milliards de becquerels la quantité d’éléments radioactifs (césium et strontium) contenus dans les eaux souterraines qui se déversent dans l’océan Pacifique depuis mai 2011. Le 21 août, l’Autorité de régulation du nucléaire avait qualifié d’"incident grave" le déversement dans le Pacifique de 300 tonnes d’eau contaminée d’un réservoir défectueux. Sortant de son attentisme, l’organe de surveillance des activités nucléaires a finalement mis en cause Tepco deux jours plus tard pour ne pas avoir surveillé suffisamment ses réservoirs. Première conséquence : la pêche au large de Fukushima, qui avait repris en juin, sera arrêtée en septembre.

C’est par le manque de transparence qu’elles révèlent que ces nouvelles sont déprimantes. En décembre 2011, les autorités nucléaires avaient affirmé que la centrale était "stabilisée" ; ses réacteurs avaient été déclarés "en état d’arrêt à froid". Mais, depuis, surviennent à répétition des problèmes si graves que l’on peut se demander si, dans sa gestion des suites de l’accident, Tepco n’est pas en train de créer un nouveau désastre.

Aux carences de Tepco, visiblement dépassé par l’ampleur de la catastrophe, s’ajoute la passivité de l’Etat, qui semble plus préoccupé par le redémarrage des centrales (48 sur 50 sont à l’arrêt) et les futurs contrats d’exportation de la technologie nucléaire nippone que par le plus grave accident nucléaire depuis celui de Tchernobyl (1986).

En tournée au Proche-Orient à partir du 24 août, le premier ministre, Shinzo Abe, vante auprès de ses interlocuteurs les "enseignements" tirés de l’accident de Fukushima pour promouvoir la technologie nucléaire japonaise... Au vu de la situation de la centrale accidentée, l’argumentaire paraît quelque peu affaibli, sinon déplacé. L’attentisme de l’Etat dans la gestion de la catastrophe et le manque de poigne de l’Autorité de régulation nucléaire, supposée à sa création (octobre 2012) être plus armée que la précédente instance pour se faire entendre, "entament la crédibilité du Japon à l’extérieur", écrit le quotidien Asahi.

En octobre 2012, Tepco avait fini par reconnaître avoir minimisé les risques de tsunami par crainte de devoir fermer la centrale pour procéder à des travaux. Depuis se sont succédé des révélations sur des dissimulations, des demi-vérités ou tout bonnement des mensonges de l’opérateur avant et après l’accident. Les autorités s’interrogent sur les causes de l’accident – attribué à une catastrophe naturelle qui en fut certes le déclencheur –, sans se poser de questions sur les responsabilités humaines de ce drame, alors que l’enquête d’une commission parlementaire a montré qu’il était prévisible ; ou, à tout le moins, que des mesures auraient pu être prises pour en limiter les effets. Le profit est la règle pour une entreprise, mais peut-être pas au prix d’une mise en danger de vies humaines comme l’a fait Tepco (et sans doute d’autres opérateurs qui n’ont pas eu la "malchance" de subir une catastrophe naturelle) : 150 000 personnes évacuées des zones contaminées vivent toujours dans des logements provisoires.

COUPABLE ABSENCE DE TRANSPARENCE

Tepco est confronté à des problèmes énormes et le dévouement sur le site de ses employés et de ceux des entreprises sous-traitantes qui prennent des risques considérables doit être salué. Mais la direction continue à chercher à traiter cette catastrophe "en interne", avec une coupable absence de transparence. Quel que soit le jugement que l’on porte sur les avantages ou non de l’énergie nucléaire et sur la sécurité ou non qu’elle offre, la catastrophe de Fukushima incite à s’interroger sur la gestion de cet outil, à tout le moins dangereux, par les opérateurs et les Etats. Avec Fukushima, le Japon est un cas tristement exemplaire. Mais il n’est pas le seul.

La collusion entre les opérateurs, les institutions étatiques, une partie du monde de la recherche et des grands médias (ce que l’on nomme, ici, le "village nucléaire") n’est pas le triste privilège du Japon.

Voilà deux semaines, les autorités taïwanaises ont révélé qu’une des centrales de l’île avait enregistré pendant trois ans des fuites d’eau contaminée, ouvrant un débat sur la sécurité du nucléaire. En Corée du Sud, l’opinion s’inquiète : le 21 août, un des six réacteurs de la centrale de Yeonggwang a cessé de fonctionner. A la suite d’un scandale de faux certificats de sécurité de pièces détachées, qui a éclaté en novembre 2012, trois réacteurs ont été arrêtés pour enquête sur les pots-de-vin qui ont accompagné ces falsifications. La Corée du Sud, qui dispose de 23 réacteurs, envisage d’en construire 16 autres d’ici à 2030, pour faire passer la part de l’électronucléaire de 30 % à 59 %. Mais le nombre de Coréens favorables à l’énergie nucléaire était tombé de 71 % à 35 % cette année.

Avivée par la catastrophe de Fukushima, la crise de confiance en l’énergie nucléaire – ou du moins en la manière dont elle est gérée – tend à s’étendre au-delà de l’Archipel.

LeMonde.fr - 26 aout 2013


Nous soutenir

C’est grâce à votre soutien que nous pouvons vous accompagner dans l’ensemble de vos démarches, faire évoluer la prise en charge des victimes par une mobilisation collective, et poursuivre nos actions de défense des droits des victimes de catastrophes et d’attentats.

Soutenir la FENVAC

Ils financent notre action au service des victimes