Kenya : les Chabab, une milice divisée au pouvoir de nuisance durable

Ils ont perdu du terrain ces deux dernières années, mais conservent un réel pouvoir de nuisance dans la Corne de l’Afrique. Milice née en 2006 dans le sillage des Tribunaux islamiques, les Chabab ont contrôlé les deux tiers de la Somalie de 2008 à 2011 avant d’être évincés par l’armée gouvernementale et les troupes de l’Union africaine. Ce sont eux qui ont revendiqué l’attaque du 21 septembre contre le centre commercial Westgate de Nairobi, au Kenya.

Qui sont ces combattants rattachés à Al-Qaida ? De quelle influence disposent-ils depuis qu’ils ont été chassés de la capitale somalienne en 2011 ?

◾ Une milice des Tribunaux islamiques

L’ascension du groupe armé Harakat Al-Chabab Al-Moudjahidin, plus connu sous le nom de Chabab ("la jeunesse", en arabe) est d’abord celle d’un homme : Aden Hashi Farah "Ayro", combattant somalien formé au milieu des années 1990 dans les camps d’entraînement afghans de Ben Laden. Proche de Cheikh Hassan Dahir Aweys, figure tutélaire du mouvement fondamentaliste armé dans le pays, l’homme s’est fait connaître en dirigeant l’une des milices des Tribunaux islamiques de Mogadiscio.

Créés à l’origine pour rendre une justice citoyenne, à dimension clanique et religieuse, ces tribunaux gagnent en importance dans les années 2000. Assistés de leur milice, ils parviennent, avec la bénédiction des milieux d’affaires somaliens, à rétablir un semblant d’ordre dans une capitale somalienne en proie à la violence depuis l’effondrement de l’Etat en 1991.

A la tête de la milice d’Ifka Halane, Aden Hashi Farah "Ayro" devient l’un des piliers de cette "vague verte" qui portera les islamistes au pouvoir en juin 2006. Le jeune combattant se distingue surtout par sa brutalité : il est notamment soupçonné d’avoir commandité l’assassinat de quatre Occidentaux travaillant pour des organisations non gouvernementales et d’une douzaine de Somaliens accusés de coopérer avec des services de renseignement étrangers.

◾ La "résistance" anti-éthiopienne

L’acte de naissance des Chabab remonte donc à 2006. Cheikh Hassan Dahir Aweys, porté à la tête des Tribunaux islamiques, appelle à la "guerre sainte" contre l’Ethiopie en juillet. Le pays voisin soutient alors le "gouvernement fédéral de transition" du président Abdullahi Yusuf Ahmed, défait militairement par les milices religieuses un mois plus tôt. Malgré un accord signé en septembre, le chef d’Etat, considéré comme "l’homme des Ethiopiens", est victime d’une tentative d’assassinat à Baidoa. Addis-Abeba, dont les troupes sont déjà présentes dans la région, annonce son entrée en guerre avec l’appui des Etats-Unis et bombarde, le 25 décembre, l’aéroport de Mogadiscio. En moins d’une semaine, ses soldats prennent le contrôle de la capitale somalienne. Les hommes de l’Union des tribunaux islamiques, qui ont quitté les lieux sans combattre, se tournent vers la guérilla.

C’est dans cette lutte contre les forces éthiopiennes que les Chabab s’imposent. Recrutant massivement sur fond de ferveur nationaliste, la milice d’Aden Hashi Farah "Ayro" finit par incarner à elle-seule la "résistance" contre l’armée étrangère. Addis Abbeba retire finalement ses troupes du pays à la fin de l’année 2008, laissant la force de paix de l’Union africaine (UA) en première ligne face à l’insurrection islamiste. "Ayro", lui, est tué par un tir américain le 1er mai à Dusa Mareb.

◾ Une filiale d’Al-Qaida

Aux yeux du gouvernement fédéral de transition, l’ancien chef des Chabab était le représentant d’Al-Qaida en Somalie, mais c’est son successeur, Mohammed Abdi Godane, alias Abou Zubaïr, qui lie définitivement la milice et la nébuleuse islamiste. En 2009, le chef somalien apparaît dans une vidéo dans laquelle il prête explicitement allégeance à l’organisation d’Oussama Ben Laden. Cette internationalisation du mouvement va de pair avec la formation d’une garde prétorienne composée de 700 à 800 combattants islamistes étrangers, venus notamment des pays arabes, du Pakistan et des Etats-Unis.

Les islamistes, qui ont absorbé quantité de petites milices locales, contrôlent alors les deux tiers du territoire somalien. La souveraineté du "gouvernement fédéral de transition" se limite à quelques quartiers de Mogadiscio. Mais l’Amisom (African Union Mission In Somalia), la force de paix de l’Union africaine composée essentiellement d’Ougandais et de Burundais, parvient au fil des mois à reprendre la main. Elle profite notamment des divisions qui se font jour au sein des Chabab entre les partisans du "djihad universel", promu par Godane et incarné par les combattants étrangers, et les "nationalistes", comme le vieux Cheikh Hassan Dahir Aweys.

◾ La chute

Le 11 juillet 2010, des attentats ensanglantent la capitale ougandaise, Kampala : 74 personnes sont tuées dans l’explosion de trois bombes cachées dans deux restaurants bondés de la ville. Les Chabab somaliens revendiquent le carnage. C’est la première fois que le mouvement mène une opération de cette nature hors de ses frontières.

Dans les semaines qui suivent l’attentat, les chefs d’Etat africains décident d’envoyer 2 000 soldats en renfort à l’Amisom, essentiellement des Ougandais. La force internationale reprend la capitale somalienne aux islamistes en août 2011. Bastion des Chabab, la ville centrale de Baidoa tombe en août 2012 sans combat. Un mois plus tard, c’est le port de Kismayo, poumon économique de la rébellion dans le sud du pays, qui est libéré par les soldats kényans.

Considérablement affaiblis, les Chabab contrôlent toutefois encore de vastes zones rurales. Ils compteraient aujourd’hui 5 000 membres, divisés en plusieurs factions rivales, sur des lignes de fracture claniques et idéologiques.

◾ Divisions internes

Toujours actifs, les insurgés ont annoncé en janvier avoir exécuté leur otage français, Denis Allex, donné pour mort par la France après un raid infructueux de commandos français visant à le libérer. En avril, un raid suicide d’islamistes contre le principal tribunal de Mogadiscio et un attentat à la voiture piégée tuent 34 civils et les 9 membres du commando. Début septembre, le président somalien Hassan Cheikh Mohamoud sort indemne d’un attentat dirigé contre lui.

Mais le mouvement souffre de ses divisions. Deux de ses chefs historiques, Ibrahim Haji Jama Mead, plus connu sous le nom d’Al-Afghani, et Abul Hamid Hashi Olhayi, sont tués par leur propres compagnons en juin. Le premier s’opposait à Ahmed Abdi Godane qui avait ordonné, courant juin, son arrestation, ainsi que celle d’autres chefs.

Pour l’historien Gérard Prunier, l’attaque du centre commercial Westgate de Nairobi "est une action menée par les partisans de Godane". A l’appui de cette réflexion, le chercheur souligne que de nombreux membres du commando seraient des combattants étrangers.

Une information qu’ont démentie les Chabab sur Twitter, de même que celle selon laquelle une femme britannique, veuve d’un kamikaze qui s’était fait exploser lors des attentats du 7 juillet 2005 à Londres, ferait partie du groupe. "Nous ne demandons pas à nos sœurs de mener des attaques militaires de ce type. Ce sont simplement des rumeurs infondées", a assuré à la BBC un homme présenté comme un commandant des islamistes somaliens.

Elisabeth Barthet, Lemonde.fr - 23 septembre 2013


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