Accident de Brétigny : une communication maîtrisée, qui agace

Rassurer l’opinion publique, mais aussi en interne, les personnels et les syndicats. C’est le numéro d’équilibriste auquel se livrent Guillaume Pepy, le PDG de la SNCF, et Jacques Rapoport, son homologue de Réseau ferré de France (RFF), depuis l’accident de Brétigny-sur-Orge (Essonne), le 12 juillet.

Dans les minutes qui ont suivi le déraillement du train Intercités, qui a fait sept morts, les deux patrons se sont donné pour conduite d’accepter la responsabilité du drame et d’être le plus transparent possible en présentant au public tous les éléments dont ils disposaient.

Depuis trois mois, les services de communication répondent à toutes les polémiques. A chaque rumeur sur un réseau social, une réponse est apportée. A chaque fuite, dans un média, sur l’instruction en cours, sur les raisons supposées de l’accident, l’entreprise publique convoque la presse. Elle précise, corrige les erreurs techniques d’interprétation. Et va même jusqu’à publier un rapport jusque-là couvert par le secret de l’instruction dont un extrait a été évoqué dans la presse.

Début octobre, la CGT-Cheminots met en cause les déclarations de la direction de l’entreprise sur le nombre d’événements de sécurité, elle réplique en publiant, mardi 8 octobre, le rapport sur la sécurité de la SNCF, pourtant confidentiel, pour montrer sa bonne foi. L’exercice est risqué, mais l’image est pour l’instant sauve.

Beaucoup cherchent à déstabiliser le groupe public. Quand il annonce, fin septembre, une aide d’urgence de plusieurs milliers d’euros pour les familles de victimes, la polémique enfle. La SNCF achèterait le silence des familles et voudrait éviter tout recours ultérieur contre elle. Certaines associations d’usagers s’en donnent à coeur joie. M. Pepy rappelle que s’il avait refusé toute aide d’urgence, la SNCF aurait essuyé des reproches inverses...

REPARTIR À L’OFFENSIVE

Auprès du grand public, cette politique de communication ultra-maîtrisée semble porter ses fruits. Mais cela en agace aussi beaucoup. La transparence nourrit souvent, et paradoxalement, le soupçon. Si l’entreprise dit cela, c’est qu’elle veut orienter l’opinion vers autre chose...

Reste qu’en annonçant un programme d’amélioration de la sécurité du réseau, baptisé "Vigirail", la SNCF et RFF jouent encore une autre partition. Aussi risquée. Il ne s’agit pas cette fois d’écarter les rumeurs, mais de repartir à l’offensive pour démontrer combien l’institution est sérieuse et solide. C’est encore un numéro d’équilibriste. Les deux entreprises veulent renforcer la maintenance alors qu’elles ont toujours clamé que l’accident n’était pas lié à des problèmes de... maintenance.

Pour le grand public, un effort supplémentaire de modernisation du réseau sera, bien sûr, apprécié, même s’il signifie de nouveaux travaux et donc des perturbations sur les circulations. L’accueil et l’interprétation des syndicats de cheminots devraient être plus intéressants. Depuis plusieurs semaines, ces derniers s’émeuvent des évolutions récentes du travail des agents de voies, de la hausse des périmètres de voie à contrôler, de la baisse des effectifs depuis dix ans. "Pour nos tournées, nous allons plus vite, indique un syndicaliste. Certains signalements ne sont pas rapportés, car nous ne sommes pas sûrs de pouvoir mobiliser ensuite les hommes pour réaliser une intervention. La conscience professionnelle se perd..."

Les syndicats critiquent également la perte de savoir-faire des équipes dont les chefs sont moins autonomes et d’avantage pris par des tâches administratives.

Avec le nouveau programme d’action, les agents de voie vont pouvoir échanger leurs carnets de notes avec une tablette numérique. Sans doute plus efficaces. Mais cela suffira-t-il à répondre à leurs attentes, faire évoluer leur métier et à assurer la sécurité du réseau ?

LeMonde.fr - 8 octobre 2013 avec Philippe JACQUE


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