Mali : deux journalistes français tués après leur enlèvement à Kidal

Les deux envoyés spéciaux français de Radio France Internationale (RFI) enlevés samedi 2 novembre à Kidal, dans le Nord du Mali, ont été tués, a confirmé le Quai d’Orsay.

L’annonce de leur mort a plongé la rédaction de RFI dans la tristesse et suscité une vague d’émotion en France. Le président français François Hollande a exprimé son "indignation à l’égard de cet acte odieux". Il a annoncé qu’il réunira dimanche matin les ministres concernés "pour établir précisément les conditions de ces assassinats". M. Hollande et son homologue malien Ibrahim Boubacar Keita ont affirmé leur détermination "à poursuivre et à remporter" le "combat commun contre le terrorisme", selon un communiqué de la présidence française.

ENLEVÉS APRÈS UNE INTERVIEW

Selon RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été enlevés par des hommes armés à 13 heures (14 heures à Paris) devant le domicile d’Ambéry Ag Rhissa, un représentant du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) qu’ils venaient d’interviewer. Selon son témoignage, cité par RFI, M. Ag Rhissa a vu les ravisseurs, qui étaient "enturbannés et parlaient tamachek", la langue des Touareg. RFI a précisé les circonstances du rapt sur son site Internet.

"Ambéry Ag Rissa a entendu un bruit suspect dans la rue, des coups de crosse portés contre le véhicule de nos reporters. Il a alors entrouvert sa porte et a vu les ravisseurs embarquer nos deux journalistes dans un véhicule 4 x 4 beige. Les ravisseurs l’ont menacé de leurs armes et l’ont sommé de rentrer chez lui."

Alertée sur l’enlèvement des deux journalistes, la force Serval a immédiatement envoyé une patrouille et deux hélicoptères prendre en chasse les ravisseurs, qui avaient mis le cap vers Tin-Essako. "Quelques minutes après le début de la poursuite des ravisseurs des deux Français, on nous a informés que leurs corps ont été retrouvés criblés de balles à l’extérieur de la ville", selon Paul-Marie Sidibé, préfet de la localité de Tinzawaten.

"Les corps sans vie des deux journalistes ont été retrouvés par la patrouille au sol vers 14 h 55 locales [15 h 55, heure de Paris]. Nos forces n’ont eu aucun contact visuel ou physique avec un véhicule en fuite. Les corps ont été retrouvés à une douzaine de kilomètres à l’est de Kidal par la patrouille au sol à proximité d’un véhicule à l’arrêt", a précisé le porte-parole de l’état-major de l’armée française.

Les deux journalistes se trouvaient en reportage à Kidal pour une émission spéciale de RFI au Mali prévue jeudi prochain. C’était leur deuxième mission dans cette ville, fief touareg en partie contrôlé par les rebelles. Ils s’étaient déjà rendus à Kidal en juillet pour couvrir le premier tour de l’élection présidentielle. Tous deux avaient quitté Bamako pour Kidal mardi. Ce reportage s’inscrivait dans le cadre d’une opération spéciale de délocalisation des émissions de RFI prévues le 7 novembre à Bamako "et pour laquelle toutes les précautions en matière de sécurité avaient été prises", précise RFI.

Selon une source gouvernementale française, "il y a quelques jours, les deux journalistes avaient demandé à être transportés à Kidal par la force ’Serval’, ce qu’elle avait refusé, comme elle le fait depuis un an, en raison de l’insécurité dans cette zone". Mais, selon cette source, "ils ont profité d’un transport de la Minusma, qui continue à accepter des journalistes".

DEUX COLLABORATEURS CHEVRONNÉS

Dans un communiqué, la direction de RFI indique que toutes ses équipes "sont sous le choc, profondément tristes, indignées et en colère" et adresse ses pensées "aux familles et aux proches de leurs collègues et amis". Ghislaine Dupont, 51 ans, était une journaliste "passionnée par son métier et par le continent africain, qu’elle couvrait depuis son entrée à RFI en 1986". Claude Verlon, 58 ans, technicien de reportage à RFI depuis 1982, "était un homme de terrain chevronné, habitué des terrains difficiles dans le monde entier", conclut le communiqué.

Ces décès interviennent peu après la libération, après trois ans de captivité au Sahel, des quatre ex-otages français du Niger en début de semaine. Un otage français est toujours détenu au Mali. Le parquet de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire pour des faits d’enlèvement et séquestration suivis de meurtres en lien avec une entreprise terroriste.

"LE PRIX PAYÉ PAR CERTAINS POUR QUE LE PUBLIC SOIT INFORMÉ"

Le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), un groupe de notables touareg de Kidal, a condamné "avec la dernière énergie l’assassinat de deux journalistes de RFI perpétré ce samedi à Kidal", dans un communiqué. Le MNLA a dit, pour sa part, "mettre tout en œuvre pour identifier les coupables" et a condamné ces crimes "avec toute la rigueur" possible.

La chef de la diplomatie de l’Union européenne, Catherine Ashton, a exprimé "sa profonde tristesse" devant "cet assassinat odieux", selon un porte-parole. L’UE poursuivra "avec détermination son appui aux autorités maliennes dans leur lutte contre le terrorisme", a dit Mme Ashton.

Le Conseil de sécurité des Nations unies a aussi réagi. Dans un communiqué diffusé samedi en fin de journée, les membres du Conseil de sécurité ont "exprimé leurs condoléances aux familles des victimes" ainsi qu’au gouvernement français. "En accord avec le droit international humanitaire, les journalistes, professionnels des médias et personnes associées engagées dans des missions professionnelles dangereuses dans des zones de conflit armé sont généralement considérés comme des civils et doivent être respectés et protégés en tant que tels", a souligné le communiqué, demandant à "toutes les parties" impliquées dans un conflit de respecter ces obligations. Le Conseil de sécurité a également demandé au Mali d’enquêter "rapidement" sur cette affaire et de "traduire les responsables devant la justice".

Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a dénoncé dimanche sur Radio France Internationale (RFI) la mort des deux envoyés spéciaux. "C’est un assassinat barbare, nous avons reçu la nouvelle avec tristesse et indignation", a-t-il déclaré. Il a rendu hommage au travail de RFI qui fait "un grand effort pour couvrir la réalité dans les zones de conflit, notamment l’Afrique, qui est si proche de nous. (...) L’Union européenne est aux côtés de la France, de la communauté internationale et des autorités maliennes pour rétablir l’ordre et la sécurité dans le Mali. (...) Ce genre d’assassinats nous rappelle notre devoir : tout faire pour lutter contre le terrorisme", a-t-il déclaré.

L’association Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé "un acte innommable et révoltant". De son côté, le Syndicat national des journalistes (SNJ) insiste dans son hommage sur "le prix payé par certains pour que le public soit informé au plus près des événements, sans se contenter des communiqués officiels des uns et des autres..."

lemonde.fr - 2 novembre 2013


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