Journalistes assassinés au Mali : où en est l’enquête ?

Il était 13h15 environ quand, sortant d’un entretien avec un cadre du MNLA, Ambery ag Rhissa, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, journalistes pour RFI, sont embarqués par quatre hommes armés. Les cris et tentatives de résistance n’y feront rien, pas plus que l’alerte, donnée presque immédiatement. Le pick-up quitte le domicile d’Ambery, situé à deux pas du QG du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA), où des hommes montent la garde, et à moins de 5 minutes de la sortie de la ville. Ensuite : le désert.

Le véhicule est retrouvé, abandonné et fermé à clés, à douze kilomètres au nord-est de la ville. A 80 mètres, les corps sans vie des deux journalistes, tués par des balles de kalachnikov. L’armée française assure n’avoir pu établir aucun "contact visuel" avec les assaillants. Rapidement, des hélicoptères survolent la ville, à la recherche des suspects. La chasse a commencé. Elle se concentre sur les campements nomades situés en périphérie de la ville. Serval, qui n’a pas mandat pour interpeller des suspects, se fait accompagner de gendarmes maliens. Le même jour, le parquet de Paris ouvre une enquête pour "enlèvement suivis de mort en relation avec une entreprise terroriste". L’enquête est confiée à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et à la sous-direction anti-terroriste (Sdat). Le gouvernement malien, après une réunion de crise, annonce lui aussi l’ouverture d’une enquête.

La tribu d’Iyad ag Ghaly

Dimanche soir, cinq premiers suspects sont arrêtés dans deux campements nomades, au nord-est de la ville. Deux ont passé la cinquantaine, trois ont la trentaine. Ce sont des habitants de la région, touaregs, de la tribu des Ifoghas. Cette tribu, bête noire de l’armée malienne, est celle de l’amenokal -chef coutumier- de Kidal, comme du chef d’Ansar Eddine, Iyad ag Ghaly, dont l’ombre plane encore sur la ville. Lundi, ce sont quarante personnes qui sont arrêtées. Toutes maliennes. Dans la nuit, 150 militaires français arrivent à Kidal, depuis Gao et Bamako.

Lundi, le nom d’AbdelKarim al-Targui -un nom de guerre- commence à se faire entendre. Targui, qui était derrière l’enlèvement, en 2011 à Hombori, des Français Philippe Verdon et Serge Lazarevic -le premier a été abattu par Aqmi, le second est toujours détenu dans le désert. Targui, de la même famille qu’Iyad ag Ghali, chef du groupe djihadiste Ansar Eddine, et personnage incontournable dans les négociations pour la libération des otages. Targui, qui dirige une katiba proche d’Aqmi, et un des proches d’Abou Zeïd, tué fin février dernier lors d’une frappe franco-tchadienne.

Qu’est-ce qui a motivé l’enlèvement des deux journalistes ? Les hypothèses sont nombreuses. Une chose est sûre : le paiement d’une rançon pour la libération des otages d’Arlit- dont la France assure qu’elle provient des caisses d’Areva-, en début de semaine, a aiguisé les appétits.

"Bandits armés"

C’est un dénommé Baye ag Bakabo qui prend l’initiative de l’enlèvement des deux journalistes, auquel Targui donne le feu vert. Visiblement, au pied levé. Il avertit Targui de la présence à Kidal de deux journalistes. A 12 kilomètres de Kidal, la voiture tombe en panne de direction. Baye exécute Ghislaine Dupont et Claude et Verlon avant de prendre la fuite avec ses complices.

Baye ag Bakabo est un de ces "bandits armés" qui naviguent allègrement entre vols de voitures, trafics divers, et groupes armés. Connu des services de police, comme les autres suspects, il aurait déjà séjourné en prison. Si leur identité apparaît rapidement, c’est parce que les enquêteurs ont retrouvé, dans le véhicule abandonné, une série de noms et de numéros...

Dans cette zone, les liens familiaux rendent la tâche difficile aux enquêteurs. Les assassins sont toujours en fuite. Une équipe de police, dirigée par le commandant Ingrid Caillot, a sollicité l’aide de deux gendarmes des forces maliennes. Dans le camp 2, où stationnent les militaires français, des civils touaregs sont entendus orienter les enquêteurs.

L’armée malienne tenue à l’écart

L’armée malienne déplore, en coulisses, d’être systématiquement tenue à l’écart, alors que des combats l’opposent à des "bandits armés" dans la région : pas une semaine ne passe sans attentat à la voiture piégée, jet d’obus, ou attaque. Vendredi, le MNLA condamne l’assassinat de trois de ses membres par l’armée malienne. Alors même que les différents groupes armés concernés par les accords préliminaires de paix -les groupes MNLA, MAA, HCUA-, tentent d’aboutir à une solution politique et annoncent leur fusion à Ouagadougou, à Kidal, le MNLA avoue son impuissance à assurer la sécurité de la ville. Devant une banque, en plein centre-ville, un convoi de Serval est accueilli par un jet de grenade. On commence à craindre la reprise de la zone du Tigharghar par Aqmi.

A Bamako, à Gao, les critiques fusent. Pourquoi cette confiance aveugle de la France envers les groupes armés ? La France, qui se montre incapable de distinguer les combattants repentis du MNLA des jihadistes d’Aqmi et d’Ansar Eddine... Chaque nouveau drame est désormais interprété sous ce prisme : sans le laxisme français à l’égard des groupes armés à Kidal, de nombreuses morts auraient pu être évitées.

Dorothée Thiénot, Lexpress.fr - 11 novembre 2013


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