Au procès de l’incendie de Paris-Opéra, le couple à l’origine du drame

C’est un mur de silence qui s’est dressé jeudi devant le tribunal correctionnel de Paris au premier jour du procès de l’incendie de l’hôtel Paris-Opéra. Fatima Tahrour est poursuivi pour homicides et blessures involontaires pour avoir, la nuit du 15 avril 2005, jeté des vêtements sur des bougies au premier étage, provoquant la destruction de l’immeuble et la mort de 24 personnes, dont onze enfants.

La principale prévenue reste un mystère. Les deux heures d’interrogatoire n’auront pas permis d’en apprendre davantage sur la personnalité de Fatima Tahrour. « Sadomasochiste » adepte de la « fessée » pour son ancien compagnon Nabil Dekali, veilleur de nuit de l’hôtel Paris-Opéra ou femme battue selon ses propres dires, « Fifi » s’est montré incapable de s’expliquer, exaspérant le président du tribunal, le ministère public et les avocats des parties civiles. Oui, elle reconnait avoir jeté les vêtements de Nabil Dekali sur le sol, où elle avait, quelque temps auparavant, allumé une dizaine de bougies. Par « colère » contre cet homme dont elle était amoureuse alors que lui jouait au « playboy ». Mais sur le reste, elle « ne sait plus » et, face à la précision des questions du président du tribunal, soupire : « Huit ans après, ça me semble difficile de me souvenir de ces détails ». « Ce ne sont pas des faits anodins, la reprend le président. Comment pouvez-vous jeter des vêtements sur une bougie sans penser qu’ils vont prendre feu ? » Et de ressasser : « J’étais en colère, je n’ai pas réfléchi ».

Des doutes subsistent sur sa présence dans l’hôtel au déclenchement de l’incendie. A-t-elle sciemment quitté les lieux alors que l’alarme résonnait ? « Vous retirez de l’argent à 2h17 dans un distributeur à 3 minutes de l’hôtel, vous avez donc quitté les lieux à 2h14, calcule le président. Donc après le déclenchement de l’alarme ». Elle : « non je ne l’ai pas entendue, si j’avais su, je ne serais pas partie ». Mais son agenda, cette nuit-là, est rempli de « trous » : entre 2h17 et 2h27, puis de 2h48 a 3h57, elle ne « se souvient pas » de ce qu’elle a fait. A 2h38, elle appelle une amie à qui elle aurait dit « l’hôtel a brûlé ». Faux, réplique la prévenue, qui assure qu’elle n’a fait le rapprochement que le lendemain en écoutant la radio. « Moi aussi la chronologie me gêne, renchérit la procureur. Cette soirée a changé votre vie, ça fait huit ans que vous vivez avec ça ! Des gens attendent des réponses, ne dites pas ‘je ne sais pas’ ».

Plus elle est pressée de questions, plus Fatima Tahrour s’enfonce dans le silence. Un avocat des familles : « Les parties civiles ne comprennent pas, vous ne pouvez pas ne pas vous souvenir. On a besoin de connaître la vérité Madame ». Silence. Même son avocat tente de la faire parler, en vain : « Il y a un moment où il faut sortir la chose, Fatima, je vous le demande ». Seul moment d’émotion dans la voix de la prévenue, lorsqu’elle s’adresse aux parties civiles : « Je suis maman d’un petit garçon de six mois, je comprends votre douleur ».

Vendredi, les familles des victimes n’auront pas davantage de réponses lors de l’interrogatoire du veilleur de nuit, par ailleurs fils des gérants. Colosse d’1m90 pour 110 kgs, Nabil Dekali réfute en bloc la responsabilité de ses actes. « J’ai fait le job ce jour là, répète t-il. Je suis que veilleur de nuit et je suis sur le banc des accusés. C’est une injustice ! Je suis l’arabe du service (sic), j’ai bon dos ». Ou encore : « Je suis un bon samaritain, j’ai voulu faire le bien ». L’instruction a montré au contraire qu’ivre, drogué, Nabil Dekali courait partout « les yeux injectés de sang », qu’il n’a pas prévenu les pompiers ni su utiliser l’extincteur. Des gestes qui auraient pu sauver de nombreuses vies.

Tombé du sixième étage en essayant de sauver sa belle-sœur, il restera deux mois dans le coma et subira 26 opérations chirurgicales. « Se dire qu’à cause de moi 24 personnes sont mortes, c’est dur à porter Monsieur le président, je me dis que si j’étais monté la rejoindre… C’est le feu de l’amour ». Et lorsque le président tente des questions plus précises : « Vous me parlez de faits qui datent de 3080 jours, monsieur le président, je sais même pas ce que j’ai mangé hier soir ! ». De sa gouaille imagée, Nabil Dekali décrit sa consommation d’alcool et de stupéfiant : la coke pour se réveiller de la stupeur du whisky, le shit pour dormir. Cette nuit là ? « J’avais pris 3 ou 4 verres de whisky et une ligne de cocaïne. J’étais invincible, opérationnel, comme le GIGN avant de passer à l’acte. » Henri Leclerc, avocat de l’association des victimes : « Vous auriez conduit une voiture ? ». « Non, boire ou conduire, il faut choisir ». « Je constate monsieur que vous n’auriez pas conduit une voiture alors que vous étiez veilleur de nuit, responsable de la sécurité de 80 personnes ! ».

Sur les bancs des parties civiles, les familles, très dignes, assistent à ces échanges surréalistes. Elles attendent impatiemment la semaine prochaine où le vrai enjeu du débat devrait enfin être abordé : mardi, les responsables de la préfecture, chargée du contrôle de l’hôtel, et le Samu social, qui y avait placé les familles, témoigneront.

humanite.fr - 17 novembre 2013


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