Moines de Tibéhirine : les familles envisagent de solliciter à nouveau François Hollande

INTERVIEW - Après le report de la visite du juge Trévidic en Algérie, Me Patrick Baudouin, défenseur des familles des religieux retrouvés assassinés, dénonce un « camouflet » asséné à la justice française.

LE FIGARO - Comment expliquez-vous le report par les autorités algériennes de la venue pourtant programmée du juge Trévidic et de son équipe d’experts ?

Me Patrick BAUDOUIN - C’est assez incompréhensible. La raison officiellement invoquée par le magistrat de liaison algérien à Paris est que ses collègues n’étaient « pas prêts », sans fournir de plus amples explications. Est-ce lié à un problème logistique ? Cette explication ne me semble pas sérieuse. À l’évidence, c’est juste un alibi, un écran de fumée pour enliser une fois de plus la procédure. À nouveau, nous retrouvons une crispation liée cette fois à la prochaine élection présidentielle du 17 avril prochain, marquée par la candidature très contestée d’Abdelaziz Bouteflika et des querelles intestines au sein du clan des militaires. Plus largement, force est de constater que ce report s’inscrit dans la lignée des obstacles constamment rencontrés depuis 18 ans pour entraver le cours de la justice.

Quelle est la réaction des familles des religieux assassinés ?

Hélas, les familles ne sont pas vraiment surprises. Elles ont connu tant de déconvenues que c’en est une supplémentaire. En revanche, leur déception est immense car, pour la première fois, il y avait la perspective d’une ouverture qui vient de se refermer. Il subsiste cependant un mince espoir car les autorités algériennes indiquent qu’il s’agit d’un report et non pas de l’annulation définitive, en avançant la date de fin mai, début juin, pour l’organisation d’une nouvelle visite du juge à Tibéhirine. Pour l’heure, nous demeurons sceptiques car nous n’avons aucune assurance, ni reçu aucune autre invitation officielle. Si le dossier s’enlise, les familles en appelleront à nouveau au président François Hollande qui les avait assurées qu’il veillerait personnellement au respect des engagements pris…

Côté français, cette mission d’expertise était-elle bien préparée ?

Plus que jamais ! Tout avait été huilé et pensé depuis des semaines jusque dans les moindres détails. Le déplacement devait concerner douze personnes : outre le juge Marc Trévidic, la mission française devait emmener un magistrat du parquet antiterroriste de Paris, des experts de la police judiciaire et de la protection rapprochée ainsi qu’un collège d’experts parmi lesquels figuraient notamment un médecin légiste et des spécialistes de la police technique et scientifique. Tous les billets d’avion avaient été pris, du 2 au 6 mars prochain. Les familles des moines avaient même accepté de se livrer à des prélèvements d’échantillons ADN afin de procéder à des comparaisons génétiques permettant de confirmer l’identité des moines ensevelis. S’il n’y a guère de doute, nous nous méfions de tout et avons besoin de certitudes pour avancer.

Que peut-on attendre, près de vingt ans après les faits, des expertises que l’on pourrait pratiquer sur les corps ?

Elles pourraient nous livrer de précieux indices sur les conditions d’exécution des moines, notamment sur la présence éventuelle de lésions suspectes, d’impacts de balles. On pourrait aussi savoir si les décapitations sont post ou ante mortem. La thèse officielle, qu’on nous assène depuis des années, est celle d’un enlèvement, d’une détention et d’une exécution des moines par un groupe armé islamiste sanguinaire. Mais cette piste n’est plus crédible car l’instruction en cours a permis de rassembler suffisamment de présomptions sur l’implication des services et des militaires algériens dans cette tragédie.

Reuters, 26.02.2014, lefigaro.fr


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