La disparition du vol MH370 intrigue la planète

Dix jours après la disparition du vol MH370 entre Kuala Lumpur et Pékin, et des 239 personnes qui se trouvaient à bord, le mystère reste entier en dépit des moyens considérables déployés et des multiples pistes explorées par les autorités malaisiennes. Aucune trace et aucun témoin n’ont pu apporter, à ce jour, le moindre indice probant sur ce qui a pu se passer dans la nuit du 7 au 8 mars, à bord du Boeing 777, moins d’une heure après son décollage.

Ces derniers jours, des sources américaines, notamment, avaient aiguillé les enquêteurs vers les personnalités de Zaharie Ahmad Shah et de Fariq Abdul Hamid, les deux hommes aux commandes de l’appareil. Le New York Times a ainsi évoqué, lundi 17 mars, la thèse d’un changement de cap effectué via un code informatique programmé par une personne dans le cockpit grâce au système de gestion de vol (FMS), logiciel utilisé par les pilotes. « Il s’est passé quelque chose avec le pilote », a assuré, de Washington, le président de la commission de la sécurité intérieure à la Chambre des représentants, Michael McCaul, s’appuyant sur des rapports « de la sécurité intérieure, du contre-terrorisme et du renseignement ». Il a ajouté que l’avion a pu être détourné et caché pour servir plus tard de « missile de croisière ».

Les perquisitions conduites à leur domicile et les investigations menées sur leur passé et leurs relations n’ont rien donné, selon les autorités malaisiennes. Lundi, la Malaysia Airlines a révélé que la dernière communication radio enregistrée depuis le poste de pilotage à l’intention du contrôle aérien, « All right, good night » (« Eh bien, bonne nuit »), avait été prononcée par le copilote en réponse aux contrôleurs annonçant que l’avion s’apprêtait à quitter l’espace aérien malaisien.

En dépit de cette clarification, le directeur de la Malaysia Airlines, Ahmad Jauhari Yahya, a ajouté, mardi, à la confusion en contredisant des informations fournies la veille. Les enquêteurs avaient donné une chronologie de la désactivation des systèmes de communication de l’avion. Le président a semé le doute en disant qu’ils ont pu « être désactivés avant, ou après, les mots du copilote ».

Seul élément tangible, le signal satellitaire du Boeing renvoie à un arc septentrional allant du nord de la Thaïlande à l’Asie centrale, ou le long d’un arc méridional, de l’Indonésie au sud de l’Océan indien. La Malaisie déploie ses forces aériennes et navales dans le corridor sud, qui semble être privilégié. Le corridor nord étant couvert par plusieurs pays dotés d’une forte couverture radar, l’avion aurait eu peu de chances de leur échapper.

Le Boeing 777, comme tous les appareils commerciaux de cette classe, est équipé de boîtes noires qui ont la faculté d’émettre pendant au moins un mois des signaux ultrasonores pouvant être détectés par des systèmes d’écoutes submersibles de type sonar. Encore faut-il se trouver suffisamment près de leur lieu d’émission (deux kilomètres environ) pour pouvoir les capter.

Lors du crash du vol AF-447 Rio-Paris, des navires civils et militaires, y compris des sous-marins, avaient été rapidement dépêchés dans la zone supposée de la chute de l’appareil dans l’espoir de capter de tels signaux. Cela n’avait finalement pas été possible durant la période théorique d’émission.

En l’absence de tels indices, les recherches sous-marines s’appuient sur des techniques utilisées aussi bien pour localiser des épaves antiques que des appareils contemporains, explique Michel L’Hour, directeur du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm, ministère de la culture) : « on emploie des sondeurs multifaisceaux disposés sur les navires de surface, ou des drones sous-marins. »

Les sondeurs multifaisceaux servent en temps normal à évaluer la hauteur d’eau et peuvent donner une image du relief et de la nature des fonds sous-marins. Ces images en trois dimensions permettent d’observer des « anomalies, des ombres qui apparaissent sur les trains d’ondes réfléchis par le fond », explique Michel L’Hour.

Quand la profondeur est trop importante pour disposer d’images précises, il est nécessaire d’avoir recours à des drones sous-marins autonomes. Ce sont ces derniers qui avaient permis de localiser précisément les débris du vol Rio-Paris : l’Institut océanographique de Woods Hole (Massachusetts, Etats-Unis) avait mobilisé plusieurs Remus 6000, des appareils capables de patrouiller pendant 20 heures en immersion, jusqu’à 6000 mètres de profondeur, et dotés de sonars qui livrent des images portant sur une bande de 600 mètres de chaque côté de leur axe de déplacement.

« Ces appareils sont indépendants, sans câble, indique Michel L’Hour, il suffit de leur donner un point de départ et ils effectueront un balayage de la zone en suivant leur propre calculateur de trajectoire, avant de remonter à un point désigné à l’avance. » Les données recueillies ne peuvent être reçues en direct, il faut les visionner après coup, ce qui ralentit le rythme des recherches. Autre élément à prendre en compte : le relief de la zone à explorer. « Dans les zones planes, vaseuses, une épave est beaucoup plus facile à localiser que dans des Alpes sous-marines », souligne Michel L’Hour.

Mis en cause par la Chine ou le Vietnam ainsi que par les médias internationaux pour sa gestion jugée « calamiteuse » de l’enquête sur la disparition, la Malaisie argue qu’il s’agit d’une affaire « complexe ». Il a fallu néanmoins attendre le dimanche 16 mars pour que les autorités malaisiennes et la compagnie Malaysia Airlines admettent leur impuissance et fassent appel à l’aide internationale.

Au-delà du problème posé par l’immensité du périmètre des recherches, dès lors que l’avion aurait volé près de sept heures après avoir disparu des radars civils, d’autres considérations ont compliqué la tâche de la Malaisie.

En cas de catastrophe aérienne, des enjeux industriels et sécuritaires perturbent parfois les recherches. Les avions émettent des données techniques vers des centres de collecte au sol ou par satellite. Ces éléments techniques, sur les moteurs ou la structure de l’appareil, ne sont qu’ensuite redirigés vers les clients, notamment les compagnies aériennes.

Pour des raisons commerciales évidentes, les constructeurs entendent analyser, en premier, la nature d’un problème afin de savoir si sa responsabilité est en cause ou s’il existe un danger pour l’ensemble d’une flotte. Les Etats-Unis ont le monopole sur ces informations, distillées à leur guise.

La question de la détection du vol MH370 lève, par ailleurs, le voile sur l’influence des systèmes de surveillance déployés de manière plus ou moins officielle par les puissances disposant de la technologie adéquate. Aux côtés des radars civils qui gèrent le trafic aérien existent en effet d’autres moyens, plus performants mais aussi plus secrets.

Les satellites américains, en particulier, utilisés par les services de renseignement ou les militaires, s’intéressent à cette région du monde située au sud de la Chine. Or, faire état de manière directe de ce qu’ils ont pu repérer à propos du Boeing 777 reviendrait à révéler aux autres puissances régionales ce que les Etats-Unis sont en mesure de savoir à leur insu. Il s’agit pour les Etats disposant de ces moyens de composer entre l’aide apportée aux recherches et la protection d’intérêts stratégiques. Cela peut aussi retarder la délivrance d’informations.

Il n’en reste pas moins que l’accumulation de déclarations contradictoires et imprécises de la part des autorités malaisiennes à propos de la disparition du Boeing 777 de la Malaysia Airlines a mis en évidence le vrai visage de ce pays plutôt prospère d’Asie du Sud-Est.

Depuis son indépendance en 1957, après la fin de la colonisation britannique, la Malaisie est au plan politique un mélange de démocratie formelle et de gouvernance quasi autoritaire, ce dernier aspect pouvant expliquer en partie la façon dont les informations sont distillées au public et aux médias.

La coalition du Barisan nasional (« front national »), au pouvoir sans interruption depuis l’indépendance, a en outre instauré un système de discrimination positive qui a toujours favorisé la majorité malaise au détriment des minorités chinoises et indiennes. Résultat, l’appartenance ethnique a presque toujours pris le pas sur le mérite et les compétences dans tous les rouages de l’Etat.

Certains observateurs attribuent ainsi en partie la confusion qui prévaut dans la gestion de la crise par le gouvernement aux limites induites par un tel système. « Le leadership de Malaisie n’est pas habitué à rendre des comptes pour quoi que ce soit, estime Michael Barr, un spécialiste de l’Asie à l’université australienne de Flinders. Il est plus habitué à contrôler la presse et à museler les critiques à son égard. » Pour Ben Suffian, du Merdeka Center, un institut de sondage malaisien, « il existe une culture du secret en ce qui concerne la manière de fonctionner du gouvernement ».

La catastrophe s’est, de plus, produite dans un contexte politique chargé. A la veille de la disparition du vol 370, le chef de l’opposition Anwar Ibrahim a été condamné une nouvelle fois pour « sodomie » et il est passible de cinq ans de prison.

Le fait que le commandant de bord du Boeing disparu soit membre du parti de M. Ibrahim, le Keadilan Rakyat (« parti de la justice du peuple ») a conduit par ailleurs, à Kuala Lumpur, à des spéculations sur d’éventuelles intentions « terroristes » du capitaine, soupçonné de revanche politique contre la coalition au pouvoir après la nouvelle condamnation d’Anwar Ibrahim. « Pour moi, a-t-il indiqué mardi, c’est une manière de faire oublier l’incompétence du gouvernement. La disparition mystérieuse du MH370 reflète non seulement l’incompétence du régime mais aussi celle d’un gouvernement irresponsable. »

La durée inédite de cette disparition pose la question d’éventuelles conséquences pour Boeing, le constructeur du B777. « Il n’y a pas de raison car l’avion n’est pas en cause », se défendent en chœur Airbus et Boeing. Jusqu’à preuve du contraire, il semble que l’appareil « n’a pas été victime d’un problème technique », pointent les deux avionneurs rivaux. Boeing devrait donc s’en tirer sans dommage, explique un analyste spécialiste du transport aérien, car « il n’y a jusqu’ici rien qui incrimine le constructeur ».

En pratique, Boeing a confirmé l’existence d’un dispositif lui permettant d’être informé « en temps réel » de l’état de sa flotte. Baptisé Airplane Health Management (AHM), il envoie aux compagnies aériennes qui y ont souscrit des données sur chaque avion, comme la consommation de carburant, et signale d’éventuels incidents. Selon Boeing, 65 compagnies se sont déjà abonnées au système AHM, mais pas la Malaysia. Le procédé est loin d’être unique : l’équipementier Safran a développé un dispositif similaire. Baptisé Remote Diagnostic, il lui permet d’être informé des performances de ses moteurs, notamment le CFM56 qui motorise les A320 d’Airbus ou les 737 de Boeing.

Si la réputation de Boeing ne devrait pas être entachée par cette inquiétante disparition, il n’en va pas de même, en revanche, de celle des compagnies aériennes. « Le côté feuilleton de ce genre d’événement n’est jamais bon pour le transport aérien. Et cela risque de durer », se désole une compagnie concurrente de Malaysia Airlines. Selon elle, un incident de ce type installe une atmosphère « anxiogène pour les gens qui doivent prendre l’avion ». La compagnie malaisienne pourrait en subir le contre coup.

Toutefois, signale une concurrente, « les compagnies de la région n’ont pas bénéficié de reports de passagers de la Malaysia Airlines ». Il n’en reste pas moins « qu’un crash ne fait jamais de bien à une compagnie aérienne, même si beaucoup s’en relèvent », note un analyste financier. Il ajoute : « Malaysia Airlines a encore une très bonne réputation mais quand une compagnie est fragilisée, un incident comme celui-là n’aide pas ».

Justement, la Malaysia n’est pas au mieux. Depuis 2010, année de son dernier exercice bénéficiaire, elle accumule les pertes. En 2013, Malaysia Airlines, malgré d’importants efforts de restructuration, a encore perdu 257 millions d’euros. Au sein de la concurrence, on la dit minée par des « luttes d’influences internes ». Surtout, elle doit subir la concurrence de compagnies à bas coûts et principalement celle d’Air Asia, une autre compagnie malaisienne.

Reuters, 18.03.2014, Guy Dutheil, Jacques Follorou, Hervé Morin et Bruno Philip (Bangkok, correspondant régional) pour Le Monde


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