Crash du Rio-Paris : un nouveau rapport charge les pilotes

Le contre-rapport d’expertise demandé par Airbus, remis à la juge Zimmermann, insiste sur la responsabilité de l’équipage. Et minimise les facteurs structurels de l’accident, pointés par les précédents rapports du BEA et des experts.

Rebondissement dans l’enquête judiciaire sur le crash du vol Rio-Paris, qui avait fait 228 morts en 2009. Comme l’a révélé mardi l’AFP, la juge Sylvia Zimmermann, en charge de l’instruction sur l’accident de l’Airbus A330 d’Air France, a communiqué hier aux parties le rapport de contre-expertise qu’avait réclamé Airbus. Les conclusions du document, que Libération a également pu consulter, ont fait très plaisir à l’avionneur, mis en examen, ainsi qu’Air France, pour « homicides involontaires ». Les contre-experts estiment en effet que les pilotes sont de loin les premiers responsables du crash, même s’ils citent aussi les autres facteurs.
Les dernières pages du rapport ont des allures de réquisitoire. « L’accident est dû à la perte de contrôle de l’avion suite à la réaction inappropriée de l’équipage après la perte momentanée des indications de vitesse », écrivent les contre-experts. Les investigations ont « clairement établi la prédominance des facteurs humains dans les causes de l’accident. [...] Nous avons aussi déterminé que l’accident aurait pu être évité, et ceci par quelques actions appropriées de l’équipage », ajoutent-ils. Dans la liste des causes établie par les contre-experts, les trois plus importantes concernent les pilotes.

Ce document contredit le diagnostic des précédents rapports, réalisés à l’été 2012 par le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA, qui dépend du ministère des Transports) et par les premiers experts judiciaires. Ces documents concluaient tous deux, avec des nuances, au fait que la responsabilité du crash était partagée entre les pilotes d’une part ; Airbus, Air France et les autorités aériennes d’autre part. Pour mémoire, la séquence de l’accident a commencé par le givrage des sondes qui mesurent la vitesse, ce qui a perturbé le pilotage et désactivé les systèmes électroniques qui protègent l’avion. Les pilotes ont ensuite, par une manœuvre inappropriée, fait « décrocher » l’avion (il est tombé en chute libre), puis ont été incapables de comprendre ce qui leur arrivait. Et ils n’ont pas appliqué les procédures prévues. « Il y a deux éléments [de causalité] essentiels : le givrage des sondes et la non-reconnaissance du décrochage », résumait en juillet 2012 le directeur du BEA, Jean-Paul Troadec.

UN RAPPORT « BIDONNÉ ET CAVIARDÉ »
Depuis, la bataille judiciaire fait rage pour tirer les responsabilités dans un sens ou dans l’autre. Airbus insiste sur les fautes de l’équipage du Rio-Paris. Tandis que les syndicats de pilotes, Air France et les familles des victimes mettent au contraire l’accent sur les nombreux dysfonctionnements pointés dans les précédents rapports. Les sondes n’ont pas été changées, alors que leurs défauts étaient connus depuis longtemps et que de nombreux incidents similaires de givrage se sont produits avant le crash. Les procédures à respecter par l’équipage en cas de givrage des sondes n’étaient pas adaptées (ce que conteste la contre-expertise) et ont été modifiées après l’accident. Les pilotes n’étaient pas suffisamment formés à affronter cette situation. Et ils ont pu être induits en erreur par certains systèmes de l’Airbus A330. Le rapport d’expertise judiciaire de 2012 insistait davantage sur ces facteurs structurels, tout en pointant les facteurs humains. La contre-expertise fait l’appréciation exactement inverse.

Joint par Libération, un proche d’Airbus assure ne pas avoir eu le rapport entre les mains, et se refuse donc à tout commentaire. De son côté, « Air France est peinée par ces fuites qui semblent révéler une lecture simpliste des causes de cet accident », indique-t-on au siège. La compagnie insiste sur le fait que une le crash est une « combinaison de plusieurs facteurs - techniques et humains », et estime que « cette contre-expertise n’apporte guère d’éléments nouveaux par rapport à l’expertise judiciaire initiale et aux conclusions du rapport définitif du BEA. »

Ce nouveau rapport a provoqué de vives réactions des parties civiles. « Il est bidonné et caviardé en faveur d’Airbus. Les contre-experts ont décidé de faire porter le chapeau aux pilotes sans creuser les causes amont. Ces conclusions portent en germe la prochaine catastrophe », dénonce Gérard Arnoux, ancien pilote d’Air France et porte-parole des victimes brésiliennes. « Le fait que les facteurs humains ont contribué à l’accident n’est pas une découverte. Mais les éléments reprochés à Air France et à Airbus y ont également contribué. Cette contre-expertise ne clôt pas du tout le débat judiciaire sur les responsabilités des deux entreprises », estime Stéphane Gicquel, président de la Fédération nationale des victimes d’accidents collectifs (Fenvac).

La contre-expertise est l’un des derniers éléments de l’enquête judiciaire. L’instruction approche donc de sa fin , même si les parties à l’enquête ont un délai pour faire des observations sur le rapport, et peuvent par la suite lancer des recours de procédure. Reste à savoir si la juge Zimmermann décidera, au finale, de renvoyer Airbus et Air France devant un tribunal. En attendant, elle recevra les parties civiles le 2 juillet en présence des contre-experts.

Libération, le 13/05/2014, Yann Philippin


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