La colère de la famille des disparus français du vol MH370

Treize semaines après la disparition du Boeing 777 de la Malaysia Airlines, Ghislain Wattrelos et sa belle-sœur se confient au Figaro. L’enquête n’a abouti à rien et le mystère reste entier. Cet homme qui a perdu deux de ses enfants et son épouse dans le drame est persuadé qu’il s’agit bien d’un détournement.

Il y a trois jours, les amis de Ghyslain Wattrelos ont reçu un message de lui. Sobre, comme d’habitude, allant droit au but et au cœur. « Après 13 semaines, y écrit-il, l’enquête officielle ne donne rien, les États ne fournissent pas leurs données militaires, les informations publiées sont contradictoires, imprécises, partielles et même invraisemblables ! » Cette enquête, c’est celle sur la disparition du vol MH370 de la Malaysia Airlines, le 8 mars dernier. Dans cette tragédie, Ghyslain Wattrelos a perdu son épouse, Laurence, et deux de ses trois enfants, Ambre 13 ans et Hadrien 17 ans.
Treize semaines, et rien. Pas un indice fiable, pas le début d’une preuve de quoi que ce soit. Treize semaines à passer de la douleur absolue au désarroi et à la colère. Mais pas au renoncement. Ghyslain sait que l’on peut savoir. Il le faut. Pour lui et les siens, « car sans savoir ce qui s’est passé, se reconstruire est impossible », confie-t-il. Pour tous, « pour chaque personne qui prend l’avion aujourd’hui », car personne ne peut accepter l’idée qu’un avion se volatilise avec 239 personnes à bord. « Nous pensons qu’il est possible de savoir ce qui est arrivé à Ambre, Hadrien et Laurence », écrit Ghyslain dans son e-mail. Pour cela, « il faut que les personnes qui savent se mettent à parler ».

La plupart des familles des passagers du vol MH370 sont comme Ghyslain persuadées que des faits et des données n’ont pas encore été exposés à la lumière. C’est pourquoi elles ont lancé une campagne de levée de fonds sur Internet. Par l’intermédiaire d’un site de financement participatif (crowdfunding), elles espèrent réunir quelque 5 millions de dollars, pour inciter « ceux qui ne peuvent parler aujourd’hui » à donner des informations (*). Quels peuvent être ces témoins détenant des éléments jusqu’ici occultés ? « Des contrôleurs aériens, des militaires, des opérateurs radars, des experts… »

« Une action humaine »

Alors qu’il a été si longtemps discret et silencieux, pourquoi Ghyslain a-t-il décidé de parler ? « Au début, il y a l’immense douleur, et nous considérions que nous n’avions pas à la partager, que c’est un moment intime à surmonter en famille, explique Ghyslain auFigaro, qu’avions-nous à dire, à part que nous étions dévastés ? » Mais aujourd’hui, il se cogne à un mur, et la morsure de l’absurde s’ajoute à la brûlure de l’arrachement. « Il est évident que l’on nous a menti, à de multiples reprises, et que l’on nous cache des choses », poursuit-il. Pascale Derrien, la sœur de son épouse, est aux côtés de Ghyslain. « Nous sentons bien ce à quoi on nous prépare, dit-elle, dans deux ans, peut-être avant, on nous dira : “On ne trouvera rien”. L’affaire sera rangée sur les rayons des disparitions mystérieuses. Pour nous, ce n’est pas acceptable. »
« Il est évident que l’on nous a menti, à de multiples reprises, et que l’on nous cache des choses. »

Ghyslain et Pascale en sont persuadés : il s’agit bel et bien d’un détournement. « Il n’y a pas de doute, cela a été analysé et affirmé, il y a eu action humaine, explique Ghyslain, un ou des hommes ont coupé les différents émetteurs de l’avion et lui ont fait changer de cap. » Quelles qu’en soient les motivations, quels qu’en soient les auteurs, ce détournement de trajectoire a bien eu lieu. « Alors, dans ce cas, pourquoi traiter cette affaire comme un accident ? » se demande Pascale. La France a ouvert une information judiciaire pour « homicide involontaire ». Mais pour la sœur de la disparue, avocate de métier, cette qualification ne tient pas. « Même les plus grands spécialistes du BEA (Bureau enquêtes accidents) nous ont dit qu’ils ne croyaient pas un instant à la thèse de l’accident. » Dès le 14 mars, la famille Wattrelos avait déposé une plainte pour « acte de terrorisme », mais aucun juge d’instruction n’a été désigné.
La colère de Ghyslain devant le vide béant de l’enquête frappe d’autant plus qu’elle éclate sur fond d’une force tranquille, celle dont il a témoigné depuis ces trois mois où sa vie a basculé. Avec son physique de rugbyman, transmis à des fils jouant tous deux au ballon ovale, il a toujours incarné cette force presque rocheuse, et en même temps si bienveillante. À Pékin, lui et sa famille irriguaient la communauté expatriée de leur joie de vivre. Aujourd’hui, Ghyslain impressionne par sa solidité, malgré le sol qui lâche. Il se bat pour lui et les siens. Il tient pour et par son fils aîné, jeune polytechnicien. Cet homme pudique ne veut pas qu’on le plaigne. Surtout pas, ce n’est pas sa manière de vivre. Il préfère qu’on le soutienne, qu’on l’aide. Discrètement, efficacement. C’est ce qu’a fait le Groupe Lafarge, pour lequel il travaille depuis longtemps. C’est ce que font beaucoup de ses amis. Mais estime-t-il aujourd’hui, ce n’est pas tout à fait ce qu’a fait son pays.

Reçu à son retour de Chine par Laurent Fabius, il voudrait aujourd’hui que la France pèse plus fortement sur ce dossier qu’elle ne l’a fait. « Quand un Français est enlevé au Sahel ou en Syrie, nos dirigeants parlent haut et fort, avance Ghyslain, Là, il y a quatre Français, victimes d’un détournement. » Les autorités françaises, elles, estiment faire ce qui est en leur pouvoir. Avec sans doute en toile de fond le sentiment que pour cet avion qui emportait une grande majorité de passagers chinois et qui se serait abîmé en océan Indien, les pays d’Asie-Pacifique sont en première ligne. « On me répond toujours que la Malaisie est officiellement chargée de l’enquête, poursuit-il, mais la France doit faire pression pour que les choses avancent. Il faut une vraie enquête indépendante, et il faut la reprendre depuis le début. » Et, redit encore Pascale, on doit traiter cette affaire comme un détournement, pas comme accident. Ce qui induit d’autres moyens d’investigation et un accès aux pièces du dossier.
Ce sentiment de brouillard et de vérité tronquée est nourri à la fois par une impression et une cascade de faits. L’intuition, c’est que dans le ciel d’une planète hyper-connectée, un avion bardé de technologies ne peut sortir ainsi du monde, happé par une nuit totale et absurde. Les faits, eux, relèvent de l’incroyable succession de détours, démentis, revirements qui ont émaillé l’enquête, à ses débuts surtout. À commencer par ces recherches que l’on a laissé effectuer pendant trois longs jours en mer de Chine, à l’est de la péninsule, alors que des radars militaires avaient bien repéré l’avion à l’ouest. Puis, les dénégations malaisiennes face aux premières informations émanant de la presse américaine, selon lesquelles l’avion avait été détourné de sa route et avait continué à voler sept heures. Avant de finalement reconnaître ce fait majeur.

Cet incroyable cafouillage a attisé la douleur des familles, les faisant passer par d’insupportables phases d’abattement et d’espoir. Rentré en France pour des raisons professionnelles avant sa famille, qui terminait l’année scolaire en Chine, Ghyslain Wattrelos était dans l’avion de Paris à Pékin pour la rejoindre au moment du drame. C’est le consul de France, venu l’accueillir à l’aéroport, qui lui a appris la nouvelle de la disparition du vol MH370. « À ce moment-là, la façon dont les choses étaient présentées ne laissait pas d’espoir », explique-t-il. C’est dans les jours qui suivent que les proches des disparus se raccrochent à des petits éléments distillés officiellement ou dans la presse. On ne trouve pas d’épave, d’abord, aucune trace de crash. Puis, on apprend que l’avion a continué à voler de longues heures. Il y a aussi ces entraînements du pilote sur son simulateur de vol personnel, pour se poser sur de courtes pistes. L’hypothèse d’un détournement terroriste vers un aéroport perdu dans une « zone grise » de la région prend inévitablement corps. Au passage, Ghyslain s’interroge aujourd’hui sur le silence autour de la mémoire de ce simulateur de vol, saisi par le FBI au bout de quelques jours. On a su que des données avaient été effacées, rien de plus. Quand il repart pour la France au bout d’une semaine, Ghyslain ne touche d’ailleurs rien à sa vie pékinoise. L’e-mail reçu de Malaysia Airlines le 24 mars est un coup de poignard. Le président de la compagnie informe les familles que, « selon toute vraisemblance », l’avion s’est abîmé dans l’océan Indien.

Un problème de sécurité mondial

Les semaines passent et l’information est pauvre. Chaque jour, vers 15 ou 16 heures, qu’il soit au bureau ou chez lui le week-end, Ghyslain a un coup au cœur en recevant l’e-mail venu de Malaisie pour informer sur les recherches. Aux yeux de familles épuisées, l’enquête paraît pavée d’errements, d’incohérences et de tâtonnements. Des dizaines de photos satellites sont censées montrer des dizaines de débris mais aucun n’est repêché. On apprend que les signaux acoustiques relevés par deux bateaux et susceptibles de provenir des boîtes noires pourraient en fait provenir des navires eux-mêmes ou de sondes hydrophones. Le rapport officiel publié le 1er mai est d’une grande indigence. Pourtant, quelque 100 millions de dollars auraient déjà été dépensés pour des recherches de grande ampleur. « On a vraiment l’impression que l’on ne cherche pas au bon endroit, dit Pascale Derrien, autant que nous le sachions, aucun État n’a donné ses données satellites militaires et les éléments Inmarsat fournis après de longues semaines ne sont que partiels. Et ainsi de suite… »
Depuis quelque temps, les SMS de la Malaysia Airlines se sont espacés, avec un rythme plutôt hebdomadaire. En échec, les recherches font une pause. L’Australie vient de signer un contrat avec une société privée chargée de cartographier les fonds marins là où les enquêteurs pensent que le Boeing 777 s’est abîmé. La mission d’un an devrait couvrir une zone de 60.000 kilomètres carrés.

Et après, si le voile ne se lève pas ? Après, c’est cette perspective terrifiante que rien ne soit jamais su. « Je mène ce combat pour ma fille Ambre, mon fils Hadrien et ma femme Laurence, mais aussi pour tout le monde. Je ne souhaite à personne de vivre ce cauchemar, confie encore Ghyslain, ce drame, c’est un problème de sécurité mondial, de contrôle des passeports, de suivi des avions et de coordination des États. » Ghyslain Wattrelos sait qu’il doit vivre avec sa douleur. Mais il se refuse à une chose, rester enfermé à perpétuité dans une prison du silence.

Reuters, 16.06.2014, Arnaud De la Grange pour LeFigaro.fr


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