Le Son des épées, macabre apologie du djihad en ligne

L’offensive de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) dans le nord de l’Irak a été accompagnée d’une campagne de propagande inédite.

Destiné à frapper d’effroi ses adversaires autant qu’à recruter des volontaires, ce djihad médiatique a déferlé via Twitter et les réseaux sociaux simultanément à l’avancée des combattants de l’EIIL sur le terrain.

Au lieu des rares apparitions d’un Ben Laden, et de ses déclarations sentencieuses et statiques, ses héritiers ont adopté un langage et des codes de communication modernes. Les images et les films diffusés par l’EIIL sont une extraordinaire et terrible plongée dans le cœur de cette nouvelle entité installée aujourd’hui au cœur du Moyen-Orient.Un film en particulier mérite à lui seul un visionnage. Intitulé Le Son des épées , il a été réalisé pendant la prise de Mossoul et de Tikrit.

Esthétiquement, l’ensemble évoque un mélange de superproductions hollywoodiennes comme Zero Dark Thirty ou Jason Bourne, de jeux vidéo comme Grand Theft Auto, et de propagande hypnotique à la Leni Riefensthal, la cinéaste du régime nazi. L’horreur n’est jamais loin, filmée comme par un Tarantino islamiste, avec gros plans et ralentis. Comme au cinéma, le film commence par une plongée depuis une carte satellite du Moyen-Orient vers Faloudja, première ville à être tombée entre les mains des combattants de l’EIIL en janvier dernier. Une caméra montée sur un drone filme d’en haut des combattants en armes.

Des scènes rejouées au ralenti jusqu’à l’écœurement.

Tout bascule vite dans le « snuff movie ». Des djihadistes en voiture lancés à toute vitesse massacrent à la mitrailleuse comme des gangsters des automobilistes dont le véhicule va verser sur le bas-côté. La caméra s’attarde avec complaisance sur les corps ensanglantés des passagers. Un survivant qui s’enfuit à pied est poursuivi par les djihadistes qui l’assassinent malgré ses supplications contre une clôture. En surimpression apparaît la carte d’identité du malheureux, membre de la police irakienne recrutée par le régime chiite de Maliki. Les plans de coupe sont sonorisés par le bruit sinistre d’une épée que l’on sort de son fourreau. Les djihadistes filment à travers la lunette d’un tireur d’élite les soldats irakiens qu’ils abattent à distance. Ils déclenchent les explosifs placés sous la route au passage des véhicules blindés irakiens qui sont projetés en l’air. Les scènes sont rejouées au ralenti jusqu’à l’écœurement.

Le film est autant destiné à effrayer ses adversaires qu’à attirer des partisans. Les djihadistes qui attaquent des postes de l’armée irakienne tuent froidement les soldats chiites qui se rendent. Le film les désigne sous l’appellation de « Safavides », du nom de la dynastie perse qui se convertit au chiisme, et est considérée comme l’ennemi héréditaire par les salafistes sunnites. Mais ils se montrent pleins de mansuétude avec ceux qui se rallient à eux. Dans des mosquées, des combattants sunnites du Mouvement du réveil, ces milices tribales retournées par les Américains pour combattre al-Qaida, l’un des rares succès de la contre-guérilla du général Petraeus, rejoignent ainsi ostensiblement les djihadistes en jurant allégeance à l’État islamique.

Des djihadistes inspirés par l’armée américaine

Mais le plus frappant est le mimétisme évident des djihadistes inspirés par l’armée américaine. Une armée contre laquelle les insurgés sunnites ont combattu pendant l’occupation de l’Irak. Masqués et équipés comme des forces spéciales américaines, ils montent des barrages routiers volants. Les automobilistes sont sortis des véhicules. Leurs identités sont contrôlées par un djihadiste muni d’un ordinateur portable où sont enregistrées les listes des membres des forces de sécurités irakiennes. Ceux qui sont identifiés sont aussitôt tués d’une balle dans la tête.
L’EIIL adopte aussi certaines méthodes de l’ennemi américain à l’instar du Hezbollah libanais, qui avait formé ses combattants au contact de l’armée israélienne pendant l’occupation du Sud-Liban dans les années 1990. Comme la guerre contre la drogue a contribué à la création d’empires mafieux, la guerre contre le terrorisme a créé à son tour un monstre d’une nouvelle dimension. L’idéologie djihadiste d’al-Qaida s’est nourrie en Irak de la vieille rivalité entre chiites et sunnites. L’occupation américaine a servi à recruter les combattants, et à leur donner une école de guérilla ; comme dans un processus darwinien, ceux qui ont survécu sont les plus adaptés. La guerre civile syrienne a fourni une expérience supplémentaire à des milliers de djihadistes. La perte de contrôle de Damas sur l’est de son territoire a enfin fourni au mouvement la base territoriale qui lui a permis de se lancer à l’attaque du nord de l’Irak.

Pour contrer l’effet de cette vidéo, le gouvernement irakien a diffusé un clip montrant un djihadiste jouant avec un serpent apprivoisé qui disparaît dans des flammes à l’arrivée d’un soldat irakien.

Reuters, 26.06.2014, Adrien Jaulmes pour Lefigaro.fr


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