Un an après Brétigny, "il y a un manque de transparence sur l’indemnisation"

Le 12 juillet 2013, le TER reliant Paris à Austerlitz déraillait en gare de Brétigny-sur-Orge, faisant sept morts et 32 blessés. 246 dossiers d’indemnisation ont été reçus par la SNCF. 32 personnes ont déjà accepté l’offre d’indemnisation

"Je crois qu’il n’y a pas un jour depuis le 12 juillet dernier où je n’y ai pas pensé, où je ne me suis pas demandé si le drame aurait pu être évité, où je n’ai pas essayé de comprendre ce qu’il s’était passé." Un an après le drame de Brétigny-sur-Orge, Thierry Gomez, le président de l’association des victimes du déraillement semble toujours aussi affecté. Ce jour-là, à 17h11, le TER reliant Paris-Austerlitz à Limoges a fauché ses parents sur le quai de cette gare de l’Essonne. Cinq autres personnes sont décédées et 32 ont été blessées, dont onze grièvement. "Sans compter les dizaines d’autres traumatisés qui n’osent plus prendre le train. Certaines ont même perdu leur travail à cause de cela, ont fait des dépressions", précise-t-il.

La faute, selon le rapport d’étape du BEATT - le bureau d’enquête des accidents de transports terrestres - à de "multiples négligences" de la SNCF et de la RFF (réseau ferré de France), co-responsable de l’entretien des voies. Les quatre boulons qui servaient à maintenir une éclisse - une sorte d’agrafe reliant deux rails - étaient défaillants. Trois d’entre eux s’étaient purement et simplement détachés et seule la tête du dernier a cassé. Au passage du train, l’éclisse s’est retournée. Ainsi posée sur les rails, elle a eu un "effet tremplin", faisant dérailler trois des sept wagons. Et ce, alors que le train roulait en deçà de la vitesse maximum autorisée :137 km/h contre 150.

"La procédure d’expertise avance rapidement"

Si l’enquête suit toujours son cours, le processus d’indemnisation des victimes est déjà bien entamé. Quelque 246 dossiers ont été déposés. "Comparés à d’autres catastrophes similaires, la procédure avance rapidement, explique Philippe Cèbe, le coordinateur du dispositif d’aide aux victimes. Concernant les préjudices matériels -comme la perte d’une valise ou l’endommagement d’un ordinateur - la procédure est même quasiment terminée puisque 92 personnes sur 127 ont été indemnisées."

L’évaluation des dommages physiques et psychologiques pour les 177 personnes ayant déposé un dossier s’annonce en revanche plus délicate. Les expertises sont en cours car certaines blessures ne sont toujours pas consolidées. Par ailleurs, des victimes continuent de déclarer de nouveaux troubles psychologiques. "Dans ce type d’accident, certaines victimes ne ressentent les conséquences que des mois après", assure l’expert. Pour l’heure, 145 personnes se sont vues proposer une offre, dont 92 définitives (pour les autres, il s’agit d’offres évolutives car les blessures ne sont pas stabilisées). Seuls 32 y ont répondu favorablement. Les autres sont en attente de réponse.

Une indemnisation tenue secrète

Quelle somme les victimes se sont-elles vu proposer ? Mystère. Les montants n’ont pas été communiqués au ministère, assure le coordinateur. Et ni la SNCF ni le cabinet d’assurance Diot, mandatée par la société de transports, ne souhaitent les divulger. "Il y a un véritable manque de transparence sur ce point, notamment en ce qui concerne le préjudice psychologique. Il est évalué sur une échelle de 1 à 7 mais on ne sait pas vraiment à quoi cela correspond", dénonce Stéphane Gicquel, secrétaire général de la Fenvac, la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs.

Il espère que seront pris en compte les circonstances exceptionnelles de cet accident. "En moyenne, les tribunaux accordent par exemple 35 000 euros pour la perte d’un enfant dans un accident de la route. Mais on espère que l’indemnisation sera largement supérieure étant donné les circonstances".

Quelle ne fut pas dès lors la déception de Louis, 27 ans, lorsqu’il a reçu l’offre de la SNCF. Dans Le Parisien, le jeune homme raconte qu’il s’est vu proposer 9400 euros malgré "des séquelles au dos qui ne vont jamais disparaître, des migraines régulières et le traumatisme psychologique". S’il refuse cette offre, la convention d’indemnisation prévoit malgré tout que la SNCF lui verse 80% de la somme proposée. Il a ensuite la possibilité de faire valoir sa cause devant un tribunal civil. "La SNCF a plutôt la réputation de proposer des offres assez hautes, relativise Philippe Cèbe. Notamment parce qu’elle ne veut pas de mauvaise publicité. Mais il ne faut pas que les victimes s’attendent à se voir proposer des sommes comparables à ce que verse la justice américaine."

Le procès pénal ne devrait pas avoir lieu avant fin 2016

L’an dernier, la SNCF avait déjà "offert" 50 000 euros aux proches des familles de personnes décédées et aux blessés restés à l’hôpital plus de deux nuits. Ceux qui étaient restés moins de 48 heures ont reçu 10 000 euros. Une aide de première ugence - notamment pour prendre en charge les dépenses immédiates - qui ne pourra être déduite dans l’indemnisation finale. "C’est inédit, c’est une sorte de don de la SNCF, explique Thierry Gomez. Les familles ont été touchées car c’est de la propre initiative de Guillaume Pépy."

Accepter l’indemnisation n’empêche pas les victimes de se porter partie civile au procès pénal. Celui-ci ne devrait pas se tenir avant fin 2016, assure des sources proches du dossier. "Les indemnisations sont évidemment importantes mais ce que nous souhaitons le plus aujourd’hui c’est savoir ce qu’il s’est passé", assure Thierry Gomez.

Caroline Politi - lexpress.fr - 12 juillet 2014

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