Incendie de Roubaix : le procès de l’insalubrité

Le 20 août 2006, au petit matin, l’incendie d’un ancien café transformé en meublés avait fait six morts dans un quartier populaire de Roubaix. Aujourd’hui, le propriétaire comparaît devant la justice pour « homicide involontaire suite à des manquements aux règles de sécurité ». Mais en toile de fond, aussi, le logement indécent. S’ouvre le procès de l’insalubrité.

Au moins un expert a retenu l’origine électrique, mais l’enquête a fini par conclure à l’origine humaine de cet incendie dramatique, peut-être un mégot jeté dans une poussette. L’auteur de ce geste fatal n’a jamais été retrouvé : trop de va-et-vient dans cet immeuble indigne. Son propriétaire n’en est pas moins jugé aujourd’hui pour « homicide involontaire suite aux manquements aux règles de sécurité », de même qu’un électricien pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

C’est donc un procès de la négligence qui démarre aujourd’hui au tribunal correctionnel de Lille. Il a toutes les chances de se poursuivre demain, car de nombreux témoins et experts vont se succéder à la barre. Sur le banc des parties civiles, les familles et les proches des victimes décédées - une mère algérienne et ses deux filles de trois et 17 ans, une Guinéenne et deux hommes -, ainsi que les locataires blessés ou brûlés, sept au total.

Absence d’extincteurs...

Le propriétaire, Christian Derache, un Français résidant à Mouscron, comparaît aussi pour « mise en danger de la vie d’autrui, blessures involontaires et hébergement de personnes dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine ». On lui reproche notamment l’absence d’extincteurs, d’escalier de secours, de système de détection d’incendie... dans cet immeuble qu’il avait fait découper en une douzaine de chambres, de 9 à 20 m².

Un immeuble qui avait déjà été le théâtre d’un incendie, en mars 2006. En s’échappant, un locataire avait été blessé au bras. L’enquête avait alors établi que le feu était parti de l’armoire électrique. Aussitôt, la ville de Roubaix avait exigé de Christian Derache qu’il mette l’installation électrique aux normes.

Frédéric Braem, l’électricien auquel le propriétaire a fait appel, aurait apporté quelques améliorations, mais aurait laissé en l’état l’installation inappropriée aux besoins, et surtout attesté qu’elle était conforme en produisant un faux. Il devra s’en expliquer aujour-d’hui devant une salle où prendront place aussi des représentants de la ville de Roubaix. La municipalité a déposé plainte au civil contre le propriétaire après les deux incendies.

Au cours de l’enquête, une instruction avait été menée pour déterminer la responsabilité de ses services, faisant du maire et de son premier adjoint des témoins assistés. Une ordonnance de non-lieu avait été prononcée.

Fenêtre bloquée

En tout cas, les familles qui ont perdu un proche attendent avec impatience ce procès, renvoyé en novembre faute de temps et d’interprète. M.

Sansoko, par exemple. Cette terrible nuit, il a perdu son épouse et sa jeune fille, alors âgée de neuf mois, garde des séquelles d’avoir été grièvement brûlée. « Il dit que sa femme n’aurait pas dû mourir. Elle était au rez-de-chaussée, mais elle n’a pas pu s’enfuir car sa fenêtre ne s’ouvrait pas. C’était un châssis fermé », rapporte son avocate, Me Hélène Fontaine.

« La vie de mon client s’est arrêtée ce jour-là, indique pour sa part Me Thierry Vandermeeren, le conseil du propriétaire.

Humainement c’est difficile, car il a beaucoup de considération pour les victimes. Mais il ne se fait pas d’illusion, il sait qu’il faut un responsable... et puis des délits sont constitués. » En attendant, certaines victimes doivent passer tous les jours devant l’immeuble sinistré et désaffecté, dont le propriétaire négocie toujours... le prix de la vente avec la communauté urbaine de Lille.

LES CLÉS
• 1. Les faits

Le 20 août 2006, six personnes décèdent dans le terrible incendie d’un immeuble vétuste et surpeuplé du boulevard Beaurepaire à Roubaix.

Aujourd’hui, au tribunal correctionnel de Lille, comparaissent le propriétaire pour « homicide involontaire » et un électricien pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

• 2. Le procès

Si la question des manquements aux règles de sécurité sera au coeur des débats, le procès devrait être, au-delà, celui de l’insalubrité. Le propriétaire est aussi jugé pour « hébergement de personnes dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine ».

• 3. L’insalubrité

Depuis le drame, la ville de Roubaix a pris des mesures. Mais le problème de l’insalubrité est endémique et touche toute la région. Sachant qu’en raison du manque de logements sociaux, des personnes sont contraintes de vivre dans des hébergements privés indignes.

ZOOM
• 156 000 logements potentiellement indignes dans la région

Cette estimation du ministère du Logement relève d’un croisement complexe de données fiscales et cadastrales. Forte concentration dans la métropole lilloise (60 000), suivi des agglomérations Lens - Liévin (9 500), l’Artois - Béthune - Bruay (9 100), Valenciennes (7 400), la porte du Hainaut - Saint-Amand-les-Eaux (6 400), Dunkerque (4 500), Douai (4 400), Hénin-Carvin et Calais (3 800 chacun), Boulogne (3 200), Maubeuge (2 900), Saint-Omer (2 000), Arras (1 000) et quelque 42 000 dans le secteur rural. « Cela touche autant les locataires, mais aussi des propriétaires », précise Stéphanie Lamarche-Palmier, responsable régionale de la Fondation Abbé-Pierre.

• 125 000 demandes de logements sociaux

« Cela peut représenter jusqu’à quatre ans d’attente pour les demandeurs, déplore Mme Lamarche-Palmier.

Il manque 90 000 logements sociaux dans notre région. Un logement social coûte 36 000 euros et le nouveau dispositif Scellier permet aux plus favorisés d’investir dans de l’immobilier neuf avec des réductions d’impôt allant jusqu’à 111 000 euros sur onze ans. Il faut savoir ce qu’on veut ! » Et de poursuivre : « C’est le parc privé qui accueille les gens exclus du parc social. Ceux-ci ne peuvent pas débourser beaucoup, parfois pas assez pour permettre à des propriétaires, même de bonne foi, de faire des travaux. Et je ne parle pas des marchands de sommeil pour qui c’est une aubaine. »

• Arsenal efficace contre les marchands de sommeil ?

« L’arsenal juridique est satisfaisant », selon Mme Lamarche-Palmier. « Mais les procédures judiciaires sont longues, on s’épuise, reprend Philippe Deltombe, de Droit au logement (DAL). Et puis dès que les locataires sont relogés ailleurs, ils abandonnent. Mais il existe une pression des collectivités, souvent attentives à cela. Récemment, deux marchands de sommeil ont fini à la prison de Loos. De manière générale, ils se méfient un peu plus. »

Virginie BOULET et Laurent DECOTTE La Voix du Nord

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