Crash du MH370 : l’homme qui veut faire éclater la vérité

Il était dans l’avion Paris-Pékin quand la catastrophe s’est produite. A destination, il était attendu par le consul de France. C’était pour lui annoncer que sa femme, Laurence, et deux de ses enfants, Hadrien, 17 ans, et Ambre, 13 ans, étaient dans le Boeing MH370 de la Malaysia Airlines porté disparu le jour même - le 8 mars, au large de l’océan Indien. De l’aéroport de Kuala Lumpur, sa fille avait chatté avec une copine : "Je suis contente de rentrer à Pékin, je vais voir mon papa."

Parmi les 239 passagers, il y avait aussi Yan, la petite amie de l’aîné resté à Paris, une étudiante franco-suisse d’origine chinoise de 18 ans. Ghyslain Wattrelos, 50 ans, patron de la stratégie mondiale du groupe de matériaux de construction Lafarge, s’est claquemuré chez lui et a passé trois jours à ressasser et, surtout, à essayer de comprendre.

A présent, cinq mois se sont écoulés. Aucun impact de l’appareil n’a été détecté. Les autorités malaisiennes ont indiqué que les recherches, plusieurs fois interrompues, devaient reprendre. Une information sujette à caution, vu que depuis des semaines c’est silence radio. En France, même indifférence.
Je me sens abandonné par mon pays", déplore Ghyslain Wattrelos, d’un calme et d’une maîtrise qui forcent le respect.

Il voudrait savoir pourquoi, dès le lendemain du crash en Ukraine d’un autre avion de ligne de la Malaysia Airlines, le MH17 (298 passagers), abattu en vol par un missile tiré par des rebelles pro-russes, François Hollande a exigé une enquête internationale, alors que pour le MH370 il n’a pas eu la moindre parole réconfortante. Et quand il lui a écrit le 15 juin, c’est le chef de cabinet du président de la République qui, lapidaire, lui a répondu qu’il ne savait rien. Le Premier ministre Manuel Valls n’a pas davantage bougé.
J’en veux beaucoup au gouvernement. Je sais bien que la Malaisie est un bon client en matière d’armement, mais la France pourrait faire pression", observe-t-il.

Un sentiment que partage sa soeur, Anne-Sophie Gillet, qui, le 20 juin, a créé un comité de soutien pour sensibiliser l’opinion et relayer l’action engagée par les familles américaines afin de récolter des fonds et financer une enquête parallèle. Le site du comité a enregistré près de 18.000 visiteurs, et une pétition, destinée au chef de l’Etat, a reçu plus de 10.000 signatures.

"Nous ne fermons pas la porte"

Au début, le ministère des Affaires étrangères s’est démené. Une cellule de crise a été mise en place. Le Quai-d’Orsay a offert un soutien psychologique, lequel n’a servi à rien.
On est réceptif ou on ne l’est pas", commente Ghyslain Wattrelos.

A Paris, une rencontre a été organisée avec des experts du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses pour la Sécurité de l’Aviation civile. Deux d’entre eux avaient été dépêchés sur place pour faire part de leur expérience dans le crash de l’AF447 Rio-Paris, abîmé dans l’océan Atlantique en juin 2009 et dont l’épave a été repêchée deux ans plus tard. Lors d’une autre réunion, à la mi-mars, Laurent Fabius a assuré que la France ferait tout son possible pour que les investigations avancent "dans la plus grande transparence".

Qu’en a-t-il été ? "Une enquête a été ouverte, note Jacques de Noray adjoint au porte-parole du Quai-d’Orsay. Nous ne fermons pas la porte." Une information judiciaire a été confiée au juge Dandoy, le 9 mai, pour "homicide involontaire". Le parquet ne pouvait guère faire autrement, puisque, quatre jours plus tôt, Ghyslain Wattrelos avait déposé une plainte avec constitution de partie civile pour "acte de terrorisme". L’incrimination n’a pas été retenue.

On lui "cache quelque chose"

Lui qui se désole de "ne pas avoir de réponses à ses questions" est persuadé qu’on lui "cache quelque chose". En raison des incohérences de l’enquête et des déclarations contradictoires des autorités qui en sont chargées, dans cette région stratégique du globe ultramilitarisée. Et truffée de satellites espions.
Des militaires savent parfaitement ce qui s’est passé, mais, n’étant pas censés couvrir cette zone, ils ne diront rien, affirme Ghyslain Wattrelos. Je ne crois pas que l’avion soit tombé là où on nous l’a indiqué. Il y a quelque chose d’illogique à cela."

Construction sans fondement d’un homme meurtri ou hypothèse plausible ? Pour lui et les siens, comme pour les familles des autres victimes - chinoises, malaisiennes, américaines, néo-zélandaises -, rien n’est pire que d’être confronté à un mur de silence. Des recherches ont été menées. Dans les airs, en mer, jusqu’au fond des océans. Des enquêteurs - malaisiens, australiens, chinois, américains, britanniques - se sont déployés. Ils se sont contredits avec constance. Ajoutant à la confusion, au doute, à la suspicion.

Thèses conspirationnistes

Ils ont déclaré que quelque 300 débris de l’appareil avaient été repérés par satellite. Le Quai-d’Orsay a même assuré le 23 mars à Ghyslain Wattrelos que la France allait, elle aussi, explorer la zone.
Nous allons pointer un satellite. Normalement, avec ce type d’engin, on peut voir un scooter place de la Concorde", lui a-t-on certifié.

Il n’en est ressorti que des images brouillées. Ils ont dit que des traces de carburant avaient été relevées au large de Perth, en Australie, et puis plus un mot. Ils ont dit aussi que deux bateaux, un chinois et un australien, à 600 kilomètres de distance l’un de l’autre, avaient localisé les boîtes noires enregistrant les paramètres de navigation et les conversations dans le cockpit. Les signaux acoustiques provenaient en fait "probablement d’un bateau", s’est ravisée la marine américaine.

De quoi en perdre le sommeil et se livrer aux spéculations les plus hasardeuses. Une piste apparaît crédible, celle du terrorisme, avancée par le Premier ministre malaisien Najib Razak, après qu’il a été découvert que deux passagers iraniens étaient munis de passeports volés. Mais les autorités finissent par en conclure qu’il s’agit de simples migrants.

Au vu des relevés émis par les contrôleurs aériens malaisiens, la thèse du détournement semble plausible. Ghyslain Wattrelos en veut pour preuve la trajectoire et la position de l’appareil pointées par les radars avant qu’il ne disparaisse des écrans. C’est à ce moment-là que les systèmes de communication à bord ont été coupés. Volontairement ou pas ?

Texto de la Malaysia Airlines

En l’absence de réponse, les interprétations prospèrent. "Il faut se méfier des experts autoproclamés et des thèses conspirationnistes", affirme le directeur adjoint de la sécurité chez Airbus Industries, Michel Guérard, un ancien pilote de ligne. Mais, tempère-t-il, "depuis les attentats du 11 septembre 2001, nos schémas classiques sont souvent battus en brèche par la réalité des choses".

Le 20 mars, un peu plus de deux semaines après la disparition de l’avion, Inmarsat, compagnie britannique privée de télécommunications, déduit, à partir de calculs sur la vitesse et l’altitude présumées de l’appareil, que, devenu incontrôlable, il aurait emprunté en piqué la voie sud jusqu’à sa chute dans l’océan, faute de carburant.

Quatre jours plus tard, alors qu’il est en réunion de travail, Ghyslain Wattrelos reçoit un texto en anglais sur son téléphone portable de la Malaysia Airlines. Elle dit profondément regretter d’"avoir à déduire au-delà de tout doute raisonnable que le MH370 est perdu corps et biens et qu’aucun de ses passagers n’a survécu".

Denis Demonpion – Le Nouvel Observateur - le 17.08.2014

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