Crash du vol d’Air Algérie : "Les proches ont besoin d’aller sur place"

Une douzaine de familles de victimes de l’accident du vol AH 5017 se sont réunies en association. Pour échanger, et être mieux informées.

"On s’est souvent, jusqu’ici, sentis très seuls", souffle Sandrine Tricot, 42 ans. Lors du crash du vol AH 5017 d’Air Algérie, jeudi 24 juillet dans le nord-est du Mali, l’infirmière, cadre de santé à Vendôme, a perdu son mari Frédéric. Avec un ami, ils figurent parmi les 54 Français qui ont perdu la vie, sur les 118 victimes de l’accident. D’où son "vrai besoin", avec d’autres proches de victimes, de "se rencontrer." Pour échanger et se soutenir. Leur première rencontre, qui a réuni une douzaine de familles -depuis rejointes par trois autres-, s’est tenue mercredi 20 août à Paris. Dans les bureaux de la Fenvac (Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs), un petit mois après le drame, ces familles ont créé -un mois après la mise en place d’une première association de proches de victimes au Burkina Faso- l’association "AH 5017 - Ensemble".

"Le vocable ’Ensemble’ traduit bien notre volonté commune de nous rassembler et d’agir collectivement pour que toute la vérité soit faite sur les causes de ce crash et pour défendre au mieux nos droits" écrit dans un premier communiqué Sandrine Tricot, qui a pris la tête de l’association. "Chacun réagit et vit différemment son deuil. Certains ont peut-être besoin de plus de temps. Je suis hyperactive, j’ai besoin d’être dans l’action" s’excuse-t-elle presque. "Nous veillerons à ce que chaque acteur concerné par ce drame assume ses responsabilités, et en premier lieu en nous informant en temps réel. Il est également indispensable pour nous d’avoir la certitude que des leçons pour la sécurité seront tirées" poursuit le communiqué.

"Les familles se comprennent d’un regard"

"Les familles ont besoin d’être entre elles. Pas pour pleurer ensemble comme l’imaginent certains, mais parce qu’elles se comprennent d’un regard" rappelle à son tour le président de la Fenvac Stéphane Gicquel. Elles espèrent également obtenir ainsi davantage d’informations des autorités et de la compagnie aérienne. "Actuellement, c’est difficile, elles sont dans une période d’attente". L’association, composée d’une grande majorité de familles françaises, est "ouverte à tous, à toutes les nationalités" tient à préciser sa présidente. La vice-présidente Léa Joly, dont les parents sont décédés dans le crash, regrette aussi, comme d’autres, "les insuffisances du soutien psychologique mis en place par les autorités".

Interrogée sur ce point, Sandrine Tricot répond en rapportant "son histoire", le moment où elle a pris connaissance du crash. Puis les heures qui l’ont suivi.
"Je suis au travail quand, à 14h30, je passe par hasard devant un poste de télévision et constate le crash. Je rentre aussitôt chez moi, j’appelle la cellule de crise.

On me dit ’On vous rappelle.’ Une heure passe, deux. Je rappelle. ’On ne peut rien confirmer’. Pendant ce temps, à la télévision, on entend les mots ’crash’, ’détournement’, ’disparition’. On parle d’un lieu, d’un autre, d’un troisième. Je rappelle le Quai d’Orsay. ’On ne peut rien confirmer’. A 18h30-19h, on m’appelle enfin. Pour me demander le numéro de passeport de mon mari. Je ne connais même pas le mien ! Le lendemain matin, pour la 7e ou 8e fois, je rappelle pour qu’enfin quelqu’un me confirme qu’il y a bien eu un crash. Mais on n’est toujours pas en capacité de me dire s’il y a ou non des survivants. Il a fallu attendre la déclaration de François Hollande, pour apprendre comme tous les Français, vendredi après-midi, qu’il n’y en avait pas".

"La recherche de la vérité sera un combat"

"Ce n’est pas ce que j’appelle de l’accompagnement" résume Sandrine Tricot dans un soupir. "A quoi sert une cellule de crise ?" questionne-t-elle, assurant que cette déception a été partagée par d’autres. Après une première réunion d’informations au Quai d’Orsay samedi 26 juillet, deux coordinateurs ont été nommés pour assurer le lien entre les autorités et les familles. Celles-ci les ont rencontrés de visu pour la première fois mercredi. Et en espèrent beaucoup. "Ça a été très difficile jusque-là. Nous ne sommes pas dupes, nous savons que compte tenu du lieu du crash, de la complexité géopolitique, la recherche de la vérité va constituer un véritable combat, qui va durer" lâche encore la présidente de l’association.

Déterminée, elle insiste sur une des priorités du collectif : pouvoir se rendre sur les lieux du crash.
"La promesse faite par le président de la République de pouvoir, pour ceux qui le souhaitent, se rendre sur place, doit être respectée".

Si selon Sandrine Tricot ce n’est "absolument pas possible" pour certaines familles, elles sont minoritaires. "La demande est forte. Nous n’avons pas de corps, nous n’avons pas pu voir le lieu. Je sais que cela sera difficile et que je n’aurai pas de corps, mais j’en ai besoin, comme d’autres, car il nous est difficile de matérialiser cette catastrophe. Pour que nous puissions, aussi et surtout, entamer un processus de deuil".

Un CD avec des images des lieux du crash

"Les proches ont besoin d’aller sur place" poursuit Stéphane Gicquel. "Pour, à défaut de retrouver les corps, pouvoir ramener quelque chose. Des petites pierres, du sable, quelque chose qui leur permettra d’incarner la réalité du drame." En attendant, les familles doivent se voir remettre dans les prochains jours un CD contenant des images des lieux du drame. Dubitative, Sandrine Tricot n’en démord pas : "ça ne remplacera pas un déplacement." Mi-septembre, le BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses) doit remettre un rapport d’étape. A cette date, les familles doivent à nouveau rencontrer François Hollande.

Céline Rastello - Le Nouvel Observateur - 21.08.2014

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