La France renforce son arsenal contre le djihadisme

Un projet de loi antiterroriste, débattu à partir de ce lundi, prévoit de frapper les candidats au départ d’interdiction de sortie du territoire et d’accentuer la traque sur Internet.

Alors que la menace d’un attentat affole tous les compteurs et que l’État islamique vient d’orchestrer une troisième décapitation d’otage européen, il ne se passe plus une semaine sans que le spectre du djihadisme ne secoue l’Hexagone. Mercredi dernier encore, Mourad Fares, un sergent recruteur dépeint comme « particulièrement dangereux » et « proche des mouvements terroristes djihadistes Daech et Jabhat al-Nosra », a été cueilli à Roissy par les policiers spécialisés de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Originaire de Thonon-les-Bains, ce ressortissant français de 29 ans est soupçonné d’avoir enrôlé de jeunes Français dans les régions de Toulouse et de Strasbourg pour les précipiter dans le chaos syrien. Quelques jours auparavant, une famille entière abandonnait sans prévenir son domicile de l’Isère pour filer, avec deux fillettes de trois et cinq ans, vers les zones de combat via la Turquie.

Affichant sa « totale détermination à lutter contre la radicalisation violente, les filières de recrutement qui conduisent de jeunes Français à partir à l’étranger et basculer dans les actions terroristes », le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, entend muscler l’arsenal répressif français au travers d’un projet de loi qui sera débattu à partir de lundi à l’Assemblée nationale. Le texte s’inscrit dans le droit fil du plan antidjihad qui, selon nos informations, a permis de recueillir 346 signalements sur un numéro vert depuis le 29 avril dernier. Taillé sur mesure pour endiguer l’hémorragie djihadiste, il prévoit une batterie de mesures fortes au premier rang desquelles figure une interdiction de sortie de territoire, assortie de la confiscation du passeport ou de la carte d’identité, pour tout ressortissant français donnant de « raisons sérieuses de penser » qu’il projette de quitter le pays pour se livrer à des « activités terroristes, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité ». Ou encore qu’il veuille se rendre « sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français ». La nouveauté est que la simple intention de combattre compte, dès lors qu’elle est caractérisée par exemple par l’achat de billets, la consultation répétée de sites diffusant des messages de haine et des appels au djihad. L’interdiction est alors prononcée par le ministre de l’Intérieur pour une durée maximale de six mois renouvelable. Inscrit de façon préventive au Fichier des personnes recherchées et au Système d’information Schengen donnant l’alerte aux aéroports, le candidat au djihad encourra en théorie trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende en cas de violation de la mesure.

Selon un dernier bilan porté à la connaissance du Figaro, pas moins de 221 apprentis combattants français manifestaient mi-août dernier des velléités de départ et 154 étaient déjà en route, sachant que 946 compatriotes ou résidents français sont concernés par les filières, soit une explosion dépassant les 60 % en six mois ! Outre un renforcement des conditions d’isolement des fondamentalistes assignés à résidence, le projet de loi envisage d’alourdir de façon singulière les peines pour apologie et provocation au terrorisme. Inscrite dans le cadre ancien de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, cette incrimination pourrait désormais faire l’objet d’une peine de sept ans d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende s’ils sont véhiculés via le Web.

En écho aux vœux de nombreux experts, dont le juge antiterroriste Marc Trévidic, le texte crée la nouvelle qualification « d’entreprise individuelle terroriste ». Punie de dix ans et 150.000 euros d’amendes, elle met en cause tout islamiste autoradicalisé, dès lors qu’il cherchera ou fabriquera des engins de destruction et qu’il essaiera de se renseigner sur un lieu ou une personne, s’entraînera au maniement des armes et des explosifs ou recevra une « formation au pilotage d’aéronef ». De fait, aucun service n’écarte plus le scénario catastrophe d’un 11 Septembre à la française.

Comme cela avait été évoqué en Conseil des ministres en juillet dernier, le projet de loi permettra en outre de traquer les cyberdjihadistes avec des « techniques spéciales d’enquête », jusqu’alors réservées au terrorisme et à la criminalité organisée. Les officiers de police judiciaires pourront ainsi perquisitionner à distance les clouds, espaces de stockage des données, et mener des patrouilles virtuelles sous pseudos comme cela se pratique pour débusquer les pédophiles. Grâce à des logiciels espions de type « keylogger », ils pourront lire et enregistrer, de façon indétectable et en temps réel, ce que les illuminés frappent sur leurs claviers. La durée de conservation de ces interceptions de sécurité sera prolongée à trente jours. Hébergeurs et éditeurs de contenus frauduleux seront appelés à faire le ménage dans les 24 heures, au-delà desquelles l’administration emploiera tous les moyens pour procéder au blocage du site.

À la mi-août, pas moins 349 de nos compatriotes étaient en Syrie.

Alors qu’une coalition internationale prépare la guerre dans la région irako-syrienne pour anéantir l’État islamique, le député socialiste Sébastien Pietrasanta, rapporteur du projet de loi, rappelle que les « volontaires partant de France constituent le plus fort contingent ». À la mi-août, pas moins 349 de nos compatriotes étaient en Syrie. « Les enquêtes des services de renseignement, ainsi que les témoignages et images adressés par ces djihadistes sur les réseaux sociaux confirment leur implication dans des actes particulièrement violents et barbares », écrit Sébastien Pietrasanta qui parle d’« exécutions sommaires, d’actes de torture, de viols » ou encore de « traitements dégradants sur cadavres, prenant la forme de décapitations, de crucifixions ou de corps traînés par des véhicules ». Sans détour, le rapporteur conclut que « la désinhibition à la violence et les traumatismes induits, qui peuvent conduire à des comportements ultraradicaux, contribuent à l’aggravation de la menace émanant de ces personnes à leur retour en Europe ». Le mois dernier, 184 djihadistes revenus en France étaient surveillés à la loupe, comme autant de possibles bombes à retardement, par la DGSI. Ses équipes spécialisées ont été saisies de 64 procédures placées sous le sceau du secret, impliquant 325 personnes et ayant déjà débouché sur un bilan total de 106 interpellations. « La menace d’attentat est bien réelle », écrit le rapporteur du projet de loi avant de révéler que « plusieurs projets d’attentats émanant de djihadistes revenus de Syrie sur notre territoire ont été empêchés ces derniers mois grâce à l’intervention des services ». La glaçante trajectoire de Mehdi Nemmouche, geôlier d’otages occidentaux en Syrie et tueur au Musée juif de Bruxelles, nourrit aujourd’hui toutes les inquiétudes.

lefigaro.fr - Christophe Cornevin - le 14.09.2014

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