Bastia : L’explosion de la rue Droite en attente de jugement cinq ans après

Les parties civiles constituées après l’explosion de la rue Droite devront encore patienter pour obtenir un jugement.
Le 19 mars sonnera les cinq ans de ce drame qui a coûté la vie à un jeune homme, Abdelhaman Aïssa, et a blessé sérieusement cinq autres. Ce jour-là, un immeuble de trois étages s’effondre après une explosion provoquée par une fuite de gaz.

Après soixante mois d’instruction, confiée aux juges Egron-Reverseau puis Ramette, aucune date de procès n’est fixée.

Et pour cause, les avocats des parties civiles souhaitent renvoyer Gaz de France devant une juridiction pénale pour plusieurs chefs de mises en examen.

L’affaire du tuyau de gaz qui disparaît

Mais sur réquisition du procureur, le juge a rendu une ordonnance de non-lieu partiel disant qu’il n’y a pas lieu de poursuivre GDF des chefs de « destruction involontaire » et « modification d’état des lieux. »

Une ordonnance frappée d’appel par les parties civiles et dont le délibéré est attendu le 24 mars. L’entreprise reste toutefois poursuivie pour homicide et blessures involontaires.

La vraie question finalement demeure : comment la fuite de gaz a-t-elle provoqué l’explosion ? Au plan pénal, il y a eu une expertise pour rechercher les causes, au plan civil pour connaître également les préjudices. Mais au bout de deux ans et plusieurs dizaines de milliers d’euros dépensés en expertises, rien de définitif sur l’origine du sinistre si ce n’est que la fonte grise, des canalisations du centre ancien, casse.

Il ne faut pas oublier non plus que la conduite de gaz montant sur la façade de l’immeuble a mystérieusement disparu. Dès le lendemain de l’explosion, des employés de GDF (passés depuis par la case garde à vue) ont déblayé le terrain, emportant au passage le tuyau qui aurait permis de mieux situé la fuite.

L’immeuble n’avait aucun abonné au gaz mais le directeur de GDF évoquait à l’époque « un branchement sauvage ». Le parquet poursuivait, en mars 2008, l’entreprise pour ne pas avoir changé le réseau vétuste mais aussi pour avoir « laissé toutes les vannes ouvertes alors qu’il n’y avait plus d’abonnés. »

Le tribunal administratif pour les indemnités

Sauf que GDF a dégainé un texte de procédure pénal (art. 322, tiré 5, al.1) la protégeant et indiquant qu’il « faut qu’il y ait un manquement de sécurité ou de prudence imposé par la loi ou le règlement. ». En clair, rien ne force à fermer ces fameux robinets d’arrivée extérieurs. « Mais Gaz de France apparaît de toute façon clairement dans le dossier, prévient maître Marc Taddei, avocat pour quatre co-propriétaires. »

Au parquet, Jean-Jacques Fagni, procureur de la République, récapitule : « On ne pouvait poursuivre pour destruction involontaire car la jurisprudence ne nous y autorisait pas, l’infraction n’étant pas caractérisée. Sur la dissimulation de preuves, la chambre de l’instruction a, en 2008, demandé un supplément d’enquête et M. Bertier, directeur de la subdivision de Bastia d’EDF-GDF, a été mais le juge n’a pas pu révéler d’éléments intentionnels. M. Bertier dit que ses agents ont agi au vu et au su de tout le monde. Donc impossible de poursuivre pour ce chef. »

Désormais, il faudra attendre le 24 mars concernant l’appel sur le non-lieu partiel, puis, logiquement, l’ordonnance de renvoi définitif, avant de connaître la date pour la partie pénale de ce dossier.

Pour ce qui est du tribunal administratif, les mémoires sont actuellement préparés par les nombreux avocats. Ils devraient être déposés avant deux mois et l’audience fixée dans les douze mois qui suivent. Ce n’est pas en 2010 que les victimes seront fixées...

Oualid Badi : une jeunesse fracassée

Le samedi 19 mars 2005, Oualid Badi, 17 ans, se lève vers 8 heures. Au deuxième étage du 30 rue Droite, il décide de rejoindre son père place du Marché et se rend à la salle de bains. Il ouvre les volets. Et là...

« Je ne me souviens plus de rien. Juste que j’avais la tête qui dépassait des gravats. Il y avait ma mère et ma soeur dans l’appartement... Depuis trois jours, nous sentions une odeur de gaz, je me souviens très bien de ma mère en train de me dire que ça sentait très fort. »

Oualid s’exprime doucement, compte ses mots. Mal à l’aise avec ce souvenir bien inscrit dans sa chair. Il a eu un poumon déplacé, rempli de sang qu’il a fallu drainé pendant trois mois, plusieurs côtes brisées et la jambe gauche broyée sous le genou, avec le nerf sciatique arraché sur 15 centimètres. Six mois d’hôpital. « J’allais à l’athlétisme tous les soirs au stade de l’AJB, j’étais même assez bon au javelot, confie-t-il sous sa casquette. Côté professionnel, je devais signer un contrat d’apprentissage pour faire boulanger. » Fini l’athlétisme. Fini le contrat d’apprentissage. Oualid ne sait plus trop ce qu’il doit faire. Il passe ses journées avec des copains. Le week end lorsqu’ils sortent ensemble, il les regarde danser : « Mon pied gauche est raide, je ne le sens pas. Les docteurs m’ont dit que le nerf sciatique devait repousser... »Ce jeune homme se voit octroyer 600 euros de pension par mois. Du futur procès il attend des explications bien sûr. Des indemnisations aussi, pour tout ce qu’il n’a pas pu faire, tout ce qu’il ne peut plus faire. Il attend, enfin, de retrouver aussi un peu de sérénité.

Un syndic d’immeubles au coeur de la bataille juridique

Le syndic Le Kallisté a confié la défense du 28, du 30 rue Chanoine Letteront (ex-rue Droite) et du 4 bis du boulevard Gaudin à Me Retali, du barreau de Bastia. Soit 21 propriétaires. L’enjeu est d’obtenir des indemnisations pour les parties communes de ces immeubles, les parties privatives relevant de la responsabilité de chaque copropriétaire.

« Nous nous basons sur le rapport d’expertise, explique Jean-Antoine Degiovanni, responsable du service contentieux au Kallisté. Les indemnisations sont chiffrées et nous poursuivons tant au tribunal administratif qu’au tribunal pénal ». Directeur du syndic, Alain Mamelli, poursuit : « la difficulté est que ces trois immeubles n’étaient pas organisés en copropriétés, donc pas de syndic au moment de l’explosion et pas d’assurances. À la différence du N°4 où nous sommes syndic et où l’assurance a payé 300 000 euros de travaux de consolidation. Aujourd’hui, outre les indemnisations réclamées à GDF, les copropriétaires souhaitent faire reconstruire leurs immeubles. Il y a eu un arrêté d’expropriation de la Ville mais nous nous y sommes opposés. Il faut attendre la décision du juge des expropriations maintenant. Il faut comprendre qu’un emplacement pareil dans Bastia, les copropriétaires y tiennent. On pourrait reconstruire en respectant les règles d’urbanisme, le plan d’occupation des sols... »

C. LAURENT Corse Matin


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