Concorde : un procès au long cours

Un procès-fleuve pour un avion mythe. Après quatre mois d’audience, le procès du crash du Concorde, 113 morts en juillet 2000 après son décollage de Roissy, s’est fini vendredi avec les dernières plaidoiries de la défense. Et deux coupables désignés par le procureur dans ses réquisitions : la compagnie aérienne Continental et Henri Perrier, ancien directeur du programme Concorde. Retour sur les enseignements du procès avant le jugement, attendu en fin d’année.

QUI EST RESPONSABLE ?

Le procureur Bernard Farret arrive aux mêmes conclusions que l’enquête judiciaire : c’est bien une lamelle de 43,5 cm tombée d’un avion de Continental qui a fait éclater un pneu du Concorde. Des débris ont perforé le réservoir placé sous l’aile, provoquant une fuite de carburant, qui s’est enflammé.

Bernard Farret a fustigé le « laxisme général » et la « maintenance défectueuse » de Continental. Il a demandé 175 000 euros d’amende contre la compagnie américaine et dix-huit mois avec sursis pour deux de ses salariés. Si cette réquisition était suivie, la facture serait lourde : Air France demande 15 millions d’euros de dommages et intérêts. Et ses assureurs réclameraient le remboursement des 100 millions versés aux familles des victimes.

« Ce procès n’a servi à rien », déplore l’avocat de Continental, Olivier Metzner, qui dénonce « l’incompétence » des experts. Il a recensé 28 témoins qui ont vu l’avion s’enflammer avant de rouler sur la lamelle. L’avocat a tenté de convaincre que le pneu a éclaté à cause de la surcharge de l’avion et de l’absence d’une pièce du train d’atterrissage, que les ouvriers d’Air France ont oublié de remonter. La compagnie française s’en sort bien. Cette grossière erreur de maintenance n’a pas été retenue comme cause de l’accident. Ce qui lui a valu de siéger à l’audience comme partie civile, du côté des victimes.

L’ACCIDENT AURAIT-IL PU ETRE EVITE ?

Rarement un tribunal s’était à ce point plongé dans les coulisses de la sécurité aérienne. Et questionné la manière dont les autorités et le constructeur ont traité les incidents. Le Concorde en a connu en rafale : 67 éclatements de pneus, dont 7 avec perforation du réservoir. Le plus grave s’est produit à Washington dès 1979. Mais le carburant n’a pas pris feu. Le crash est évité « par miracle », écrit l’enquêteur du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA). Des mesures sont prises pour protéger les pneus. Mais le projet de renforcer le réservoir est abandonné (il sera mis en œuvre après le crash de 2000). Et les incidents continuent. « Le suivi du Concorde était défaillant à tous les niveaux et ses problèmes connus. Mais personne n’a osé clouer au sol ce symbole de la France »,indique Roland Rappaport, l’avocat du commandant de bord. D’où les deux ans de prison avec sursis requis contre Henri Perrier, responsable du programme Concorde chez Aérospatiale. « Il est celui qui avait la conscience des risques. Il aurait pu empêcher l’accident », a asséné le procureur. Il a toutefois épargné le successeur de Perrier, Jacques Hérubel.

« Requérir une telle peine contre un homme qui s’est défoncé toute sa vie pour que cet avion vole, c’est inique », s’indigne l’avocat d’Henri Perrier, Thierry Dalmasso. Pour la défense, l’accident de Gonesse était techniquement différent des autres, donc « totalement imprévisible ». Il est injuste de « juger les hommes et les faits d’hier avec les hommes et les faits d’aujourd’hui », a plaidé Daniel Soulez-Larivière, avocat de Claude Frantzen, un cadre de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) pour lequel la relaxe a été requise.

En protégeant les auteurs de délits non intentionnels, la loi Fauchon de 2000 « organise l’impunité », regrette Stéphane Gicquel, président de la Fédération nationale des victimes d’accidents collectifs (Fenvac). L’Etat et ses administrations (BEA, DGAC) ne peuvent pas être poursuivis, tandis qu’Aérospatiale a échappé au procès grâce à sa disparition au sein d’EADS. D’où le sentiment que le chapeau porté par les prévenus était trop grand pour eux. Deux lanceurs d’alertes, au BEA et à Air France, ont d’ailleurs déclaré avoir subi des « pressions ». « Ce n’est que foutaise, ces histoires de complot », s’est indigné Me Soulez-Larivière.

LA SECURITE EN SORTIRA-T-ELLE RENFORCEE ?

Le procès a fait apparaître une fracture béante. D’un côté, l’ensemble des acteurs de l’aéronautique, persuadés de leur professionnalisme,invoquant « la fatalité » du drame et le fait que, malgré tous leurs efforts, le risque zéro n’existe pas. De l’autre, des parties civiles qui dénoncent la suffisance d’un milieu « consanguin ». « Malgré l’échec du Concorde, je n’ai vu aucune remise en cause. Pour moi, parler de fatalité, c’est déjà du renoncement à la sécurité », affirme Stéphane Gicquel.
Les récentes critiques des familles de victimes sur l’enquête du crash Rio-Paris montrent, dix ans après celui du Concorde, que la crise de confiance reste entière.

Yann PHILIPIN
Libération
29 mai 2010


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