Sur la piste des commanditaires de l’attentat manqué de Villejuif

L’enquête a débuté comme un gag. Au bout du fil, un apprenti terroriste un peu maladroit vient de se tirer une balle dans la jambe :

« Le SAMU de Paris, bonjour !
– Oui, bonjour, au secours…
– Vous êtes sur la voie publique, Monsieur ?
– Oui, sur la voie publique… Ahhh ! (…) J’suis dehors là. Ils ont tiré dans mon pied…
– Tiré dans vos pieds ! Avec.. avec une arme, monsieur ? »

Quelques minutes plus tard, la police découvre le blessé gisant sur le trottoir au pied de sa résidence étudiante, dans le 13e arrondissement de Paris : Sid Ahmed Ghlam, un étudiant algérien de 24 ans. Tandis qu’il est emmené à l’hôpital, les policiers remontent une trace de sang jusqu’à sa voiture. A l’intérieur, une kalachnikov, deux armes de poing, un gilet pare-balles et des documents manuscrits sur un projet d’attentat. Dans sa chambre, ils mettent la main sur trois autres kalachnikov et trois gilets pare-balles. L’analyse du matériel informatique confirme leurs inquiétudes : le jeune homme envisageait, comme il l’a reconnu par la suite, d’attaquer une église de Villejuif, dans le Val-de-Marne, le matin même, le dimanche 19 avril.

L’attentat n’a jamais eu lieu. Dans des circonstances qui restent à éclaircir, une jeune femme, Aurélie Chatelain, a été tuée dans sa voiture garée à quelques centaines de mètres de l’église Sainte-Thérèse de Villejuif. Sid Ahmed Ghlam attribue ce meurtre à un complice, mais l’ADN de la victime a été retrouvé sur sa manche et l’expertise balistique a établi que la même arme avait tué Aurélie Chatelain et transpercé sa jambe. Toujours est-il que ce meurtre, apparemment non prémédité, a fait dérailler un scénario écrit depuis plusieurs semaines.

Téléguidé depuis l’étranger

La maladresse du jeune Algérien est un coup de chance inédit dans les annales de l’antiterrorisme, et va permettre aux enquêteurs de mettre au jour un projet d’attentat orchestré depuis la Syrie par des djihadistes français, que les services de renseignement pensent avoir identifiés. Sur leur principale hypothèse de travail plane un spectre, connu des services depuis plus de dix ans : Fabien Clain, un proche de Mohamed Merah, considéré comme un des principaux animateurs de la filière dite d’Artigat, en Ariège, au début des années 2000.

Le dossier d’instruction dresse, par le jeu des relations de ses protagonistes, un tableau vivant de la galaxie djihadiste de ces quinze dernières années. Cette enquête à tiroirs commence par le décryptage de dizaines de fragments de correspondance retrouvés dans le matériel informatique de Sid Ahmed Ghlam. En moins de trois jours, les hommes de la Sous-direction antiterroriste (SDAT) et de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) restaurent les fichiers effacés. Leurs auteurs n’apparaissent pas, mais le contenu est explicite : l’étudiant a visiblement été téléguidé depuis l’étranger.

L’aspect le plus intéressant de ces échanges réside dans la précision des instructions qui lui sont envoyées. Une de ces missives lui indique comment récupérer des armes dans une voiture volée sur un parking d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis :

« Tu vas trouver sur cette rue une sandwicherie qui est dans un angle, ça s’appelle L’Atmosphère. (…) Tu regardes parmi les voitures garées là, et tu cherches une Renault Mégane. (…) Tu regardes sur la roue avant droite, tu vas trouver les clés posées dessus. (…) Tu ouvres, tu récupères le sac et tu vas le ranger dans ta voiture. (…) Une fois que c’est fait tu vas garer ta voiture plus loin et tu la laisses, tu reviendras la récupérer demain matin. (…) Tu rentres en transport à la maison. (…) Met des gants quand tu touches la voiture. (…) Le paquet, c’est ce que tu as besoin pour travailler. Quand tu as récupéré le sac, envoie-moi un message. »

Mais c’est une autre instruction qui va permettre aux enquêteurs de remonter jusqu’aux possibles commanditaires. Son auteur suggère à l’étudiant de se rendre dans un garage de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), pour récupérer une deuxième voiture afin d’y cacher son arsenal : « Quand tu arrives là-bas, tu demandes à parler à Rabi. Dès que tu le vois tu lui dis : “Je viens de la part de Vega et Thomas pour récupérer la BMW 318”. »

Les acteurs de l’opération ont pris soin de crypter toutes leurs conversations. Mais ils ont commis un impair : ils ont livré aux enquêteurs un surnom et un prénom.

Des vieilles connaissances de l’antiterrorisme

Il faudra quelques jours seulement à la DGSI pour exploiter cet indice : Vega s’appelle en réalité Macreme A., comme l’a confirmé le gérant du garage, et son acolyte Thomas M. Les deux hommes, originaires de Seine-Saint-Denis, sont partis en Syrie début 2015 et apparaissent dans la même procédure de filière djihadiste que Fabien Clain. Présenté comme leur « comparse », ce Toulousain de 36 ans d’origine réunionnaise aurait joué un rôle majeur dans leur endoctrinement depuis la Syrie.
Selon une note des services de renseignement, Fabien Clain apparaît dès 2001 dans le radar de l’antiterrorisme. Son frère Michel et lui ont fondé un groupuscule salafiste et épousé deux converties qui portent la burqa – ce que leur vaut le surnom de « clan des Belphégor » dans le quartier du Mirail. Leur groupuscule fusionne fin 2004 avec une autre communauté, structurée autour d’un Français d’origine syrienne, Olivier Corel, dit « l’Emir blanc ».

A l’occasion des réunions organisées dans la ferme de l’émir à Artigat, les frères Clain rencontrent Abdelkader Merah et Sabri Essid, les frère et beau-frère de Mohamed Merah. Considérée comme un des noyaux historiques du djihadisme français, la cellule d’Artigat apparaît dans plusieurs dossiers de terrorisme, dont celui de Merah. En 2009, Fabien Clain a été condamné à cinq ans de prison pour avoir animé une filière d’acheminement vers l’Irak. Parti rejoindre les rangs de l’Etat islamique après sa libération, il n’a pu être entendu par les enquêteurs.

Le volet français de l’enquête a en revanche permis la mise en examen de trois personnes elles aussi connectées – de façon plus ou moins directe – à d’anciennes cellules djihadistes. Parmi elles figure une autre vieille connaissance de l’antiterrorisme : Rabah B., dit le « Kabyle », soupçonné d’avoir organisé la livraison des armes cachées dans la Mégane à l’attention de Sid Ahmed Ghlam. Il avait été interpellé puis relâché faute de preuves lors du démantèlement en 2005 du réseau Chérifi, dont onze membres ont été condamnés en 2011 pour un projet d’attentat contre la DST, la Direction de la surveillance du territoire, l’ancêtre de la DGSI. Le « Kabyle » a continué à en fréquenter plusieurs après leur sortie de prison.
Les deux autres mis en examen, également soupçonnés d’avoir participé à la livraison des armes, n’ont jamais été impliqués dans des affaires de terrorisme. Mais leur cercle relationnel illustre là encore le microcosme de la nébuleuse djihadiste et sa porosité avec le milieu du banditisme. Le premier est un proche de Moussa Coulibaly, qui avait agressé trois militaires au couteau à Nice le 3 février. Quant au second, il fréquente un ancien membre du Groupe islamique combattant marocain, suspecté d’avoir commandité les attentats de Casablanca et de Madrid au début des années 2000.

Un autre homme, Pascal K., a été interpellé après l’identification de son ADN sur une brosse à cheveux retrouvée chez Ghlam. Il a finalement été relâché, mais les enquêteurs ont découvert que son frère Franck, un déserteur de l’armée française ayant participé à une opération extérieure au Liban, avait été l’élève de Farid Benyettou – l’ancien mentor de Chérif Kouachi, l’un des auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo. Autant de connexions qui retracent l’historique de la famille du djihadisme français. Les anciens réseaux des années 2000 ont planté leurs graines. Sid Ahmed Ghlam était leur dernière jeune pousse. Jusqu’à ce qu’il se tire une balle dans le pied.

Crédit photos : Source : Le Monde.fr Auteur : Soren Seelow Date : 03/08/2015

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