Un an de chape de plomb sur l’accident de Yemenia aux Comores

Dans la nuit du 29 au 30 juin 2009, l’Airbus A310 de la compagnie Yemenia reliant Paris-Sanaa-Moroni s’abîmait au large des Comores, faisant 152 victimes, la majorité de nationalité française, souvent résidents en région parisienne ou à Marseille. Seule une adolescente avait survécu. Un an plus tard, l’enquête est toujours au point mort.

Fin août, les enregistreurs de vol avaient été repêchés puis analysés, contrairement à l’accident de l’AF 447 survenu au large du Brésil un mois plus tôt et dont on recherche encore les boîtes noires. Concernant l’AF 447, on ne sait rien (ou presque) et on dit tout (et n’importe quoi), alors que pour le crash des Comores, on sait tout sur les circonstances mais on ne dit rien. En fait, la pression politique entrave gravement le déroulement des enquêtes technique et judiciaire, et surtout interdit la publication officielle des résultats.

La lecture des enregistreurs de vol effectuée par le BEA au Bourget avait montré que l’Airbus A310 n’avait pas rencontré de problème technique, ni d’explosion ou d’incendie, ce qui sous-entend clairement que la cause de l’accident est liée à une perte de contrôle de l’appareil par l’équipage. La trajectoire de l’avion le prouve, reconstituée à partir des paramètres enregistrés sur le FDR (flight data recorder), confirmée par des alarmes sonores restituées par l’enregistreur vocal (CVR) entre deux jurons en arabe. Ces conclusions avaient été rejetées par le gouvernement des Comores qui a limogé son enquêteur technique Ali Abdou Mohamed.

Un rapport montre la défaillance des pilotes

Yemenia et le gouvernement du Yémen, après avoir menacé de résilier une commande d’Airbus, se sont efforcés de faire accréditer une thèse de tir de missile effectué par erreur par un navire militaire français. Or, le jour de l’accident, le plus proche bâtiment français était à deux jours de mer et, de plus, non armé de missiles. Puis, Yemenia a demandé que les enregistrements des boîtes noires soient à nouveau lus par un autre bureau d’enquêtes et d’analyses. Obéissant aux voeux de la compagnie yéménite qui a statut de transporteur national aux Comores, le ministre des Transports de Moroni a sollicité le NTSB (National Transportation Safety Board), l’équivalent américain du BEA, pour reprendre l’enquête et relire les enregistreurs de vol. Celui-ci a refusé. Conformément aux règles internationales, les Comores vont donc être obligées de publier le rapport d’accident qui montre les défaillances des pilotes. Au Bourget, le BEA se refuse à tout commentaire mais précise seulement que la lecture et l’analyse des enregistreurs de vol de l’Airbus avaient été faites par ses services en présence des autorités comoriennes, yéménites et du NTSB.

À noter que lors d’une réunion préparatoire à l’assemblée générale de l’Organisation de l’aviation civile internationale qui se tient cet automne à Montréal, le cas des Comores et des pays qui ne respectent pas les règles de sécurité a été évoqué. Des sanctions de cet organisme onusien sont possibles. À Paris, la Direction générale de l’aviation civile n’exclut pas la possibilité de demander à l’Europe d’inscrire Yemenia sur la liste noire.

La compagnie joue la montre mais perd devant les tribunaux

Les familles des victimes du crash de l’Airbus A310 ont été très déçues après une audience le mois dernier du tribunal d’Aix-en-Provence. Devant les juges provençaux, les avocats de la compagnie aérienne et de ses assureurs avaient plaidé le report de l’affaire devant les tribunaux de Paris, de Bobigny ou même de Moroni. "L’association AFVCA (Association des familles des victimes de la catastrophe aérienne du Yemenia Airways du 29 juin 2009) est particulièrement choquée par le fait que la compagnie cherche encore à retarder le paiement des premières indemnités prévues pourtant par les conventions internationales tout en proclamant, par ailleurs, sa volonté de secourir les victimes", ont souligné leurs avocats devant le tribunal d’Aix. Le ministère public avait également demandé aux juges de grande instance de rejeter la demande de renvoi de l’affaire.

La décision qui vient d’être rendue donne raison aux familles et leur permet de recevoir une provision à valoir sur les dommages et intérêts. Cette décision concerne cinquante ayants droit qui recevront chacun un dédommagement provisionnel pour le préjudice moral pouvant atteindre 20.000 euros. Certains toucheront également un acompte pour préjudice économique allant jusqu’à 200.000 euros. Le tribunal a également accordé 1.000 euros à chaque plaignant pour faire face aux procédures en cours. "C’est sans doute la première fois qu’une juridiction accorde une provision ad litem dans le cadre d’une catastrophe collective", note Maître Gérard Montigny, un des avocats des familles de victimes.

Thierry Le Vigoureux
Le Point / 29 juin 2010


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