L’enquête est relancée sur le naufrage du Bugaled-Breizh

CHRONOLOGIE - La chambre d’instruction de la cour d’appel de Rennes a annoncé vendredi sa décision de relancer l’enquête pour "identifier le sous-marin en cause dans le naufrage du Bugaled Breizh", survenu le 15 janvier 2004 au large des côtes anglaises, dans des circonstances encore non-élucidées.

Le 15 janvier 2004, vers 13h, alors que la météo est excellente, le chalutier Bugaled-Breizh coule en quelques minutes, emportant avec lui cinq marins. Immatriculé au Guilvinec en Bretagne, il fait naufrage au large du cap Lizard, au sud-ouest de l’Angleterre, dans une zone où se déroulaient des exercices impliquant notamment des sous-marins, appartenant à des pays membres de l’Otan (la Grande-Bretagne et les Pays-Bas). Plusieurs hypothèses vont alors être avancées pour tenter d’expliquer ce qui a pu se passer.

L’hypothèse du navire de commerce

Dès le 19 janvier 2004, le procureur de Quimper désigne un responsable : le chalutier aurait été coulé par un navire de commerce, un bâtiment de type « porte-conteneurs ». Une information judiciaire est ouverte pour « homicide involontaire par manquement délibéré à une obligation de prudence ou de sécurité ». Les soupçons portent assez rapidement sur un cargo philippin, le Seattle Trader. S’en suit une traque en haute mer à la poursuite du cargo. Le 14 mars, des gendarmes français peuvent examiner le navire et notamment prélever de la peinture. Ces analyses innocentent le Seattle Trader.

La piste de la collision écartée

Le 6 juillet 2004, l’épave du Bugaled-Breizh est remorquée à Falmouth, en Grande-Bretagne, avant d’être ramenée à Brest. Les experts inspectent l’épave pendant plus d’un mois : « aucune trace de contact » susceptible de confirmer une collision avec un autre navire n’a été trouvée.

Un accident provoqué par un sous-marin ?

Dès le début, les familles des victimes soulèvent l’hypothèse d’un accident provoqué par l’un des sous-marins présents dans la zone. La mise hors de cause d’une collision avec un autre navire remet donc cette thèse en avant. Le 24 mars 2005, une expertise privée, commanditée par les familles, avance l’hypothèse « très vraisemblable » d’une « croche » avec un sous-marin. Leur raisonnement est le suivant : la météo était bonne, il ne s’agit pas d’une collision, le bateau n’était pas en surcharge. Il ne peut non plus s’agir, selon eux, d’une voie d’eau ou d’un défaut de structure puisqu’« on ne sombre pas dans ce cas en moins de deux minutes ». Les familles s’intéressent à deux sous-marins : le néerlandais Dolfjin, repéré par des pêcheurs qui ont porté secours au Bugaled, et le britannique Turbulent. Une enquête du magazine Le Point et de France 3, diffusée en avril 2005, rapporte que le Turbulent pourrait être responsable. Le ministère de la Défense britannique dément.

Le 22 mars 2005, l’avocat des familles, Me Christian Bergot, demande officiellement aux juges d’instruction d’entendre le préfet maritime de Brest ainsi que le chef d’état-major de la Marine nationale. L’avocat, se fondant notamment sur le reportage de « Pièces à conviction » estime qu’« on ment par omission. (...) La marine française ne pouvait pas ignorer la présence de sous-marins britanniques le 15 janvier dans la zone du naufrage ».

Le 7 juillet 2005, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense, se déclare prête, si la justice en exprime le besoin, à « déclassifier » tous les documents d’activités maritimes dans la zone du naufrage du Bugaled-Breizh. Le lendemain, les juges d’instruction évoquent devant les familles l’intervention d’une « force exogène », donc extérieure au bateau, qui aurait agi sur le câble du chalut et l’aurait entraîné vers le fond. La thèse du sous-marin est relancée, même si le parquet continue à évoquer la possibilité d’une voie d’eau, donc d’un accident de pêche.

En décembre 2005, une partie des informations militaires est effectivement déclassifiée par le ministère, mais cela ne concerne que la marine française et donc pas les bâtiments britanniques ou néerlandais.

L’instruction relance la thèse du sous-marin...

Le 11 août 2006, le juge d’instruction de Quimper écrit aux familles. Pour la première fois, la justice emploie le terme de « bâtiment sous-marin ». Dans son courrier, le magistrat annonce également des investigations supplémentaires en direction du Dolfjin, le sous-marin néerlandais qui était le plus proche du Bugaled le jour du naufrage. La thèse du sous-marin est appuyée quelques temps plus tard par la découverte de titane sur les câbles du chalutier par les experts du laboratoire national d’essais de Trappes. Le parquet s’empresse une nouvelle fois de modérer les propos du juge d’instruction. Pour la procureure, le sous-marin n’est qu’une « hypothèse secondaire ». Le second scénario retenu est celui d’une « carène liquide », le chavirement brutal du navire provoqué par un brusque envahissement d’eau dans les cales.

... écartée par l’enquête administrative

Le 27 novembre 2006, c’est la consternation dans les rangs des parties civiles. Alors qu’elles soutiennent la thèse du sous-marin, le directeur du Bureau d’enquêtes sur les événements de mer (BEA mer) leur présente les conclusions de son rapport. selon les experts missionnés par le ministère des Transports, le Bugaled-Breizh a coulé à la suite d’un phénomène d’ensouillage, c’est-à-dire un enfouissement du chalut dans le sable, peut-être dû à l’état de la mer ce jour-là (alors que la météo a toujours été écartée), suivi de l’embarquement d’eau sur la plage arrière et dans le poste d’équipage entraînant un phénomène de carène liquide. Les familles hurlent alors au mensonge d’Etat : « On balaye la thèse du sous-marin, mais on n’explique pas pourquoi », s’insurge Me Bergot.

... relancée par l’enquête judiciaire

Six mois après les résultats de l’enquête administrative, en juin 2007, le magistrat instructeur, Richard Folzer, décide de s’appuyer sur les rapports de ses propres experts et déclare que l’hypothèse du sous-marin est « plausible ». Sans toutefois pouvoir désigner de coupable. L’un de ses experts a dédouané le Dolfjin et le Turbulent. Il est alors évoqué l’hypothèse d’un sous-marin « espion ». « Ça fait une liste de 120 bâtiments d’une dizaine de marines susceptibles de faire de l’espionnite, identifier le coupable, c’est mission quasi impossible », déclare alors l’avocat des familles. En mars 2008, les familles écrivent à Nicolas Sarkozy pour se plaindre du manque de coopération judiciaire internationale.

De « plausible », l’hypothèse devient en février 2008 « la plus sérieuse », selon la conclusion provisoire d’une note de synthèse rédigée par les deux magistrats instructeurs remise lors d’une réunion à La Haye dans les bureaux d’Eurojust (l’agence européenne de coopération judiciaire), où les juges se sont adressés à trois responsables de la Royal Navy afin d’obtenir l’aide des Britanniques. Mais le parquet continue de privilégier l’accident de pêche.

Fin juillet 2008, alors que les deux juges s’apprêtent à quitter le tribunal de Quimper et à clore leur instruction, ils persistent dans leur conviction : l’implication d’un sous-marin nucléaire d’attaque est « une hypothèse hautement probable », selon le rapport remis à la justice le 15 juillet. Pour l’expert Dominique Salles, officier sous-marinier à la retraite, la « rapidité du naufrage » implique un SNA dont le safran aurait croché le train de pêche du chalutier.

A la suite de ces déclarations, les familles décident de demander de poursuivre l’enquête pour vérifier la position de tous les sous-marins nucléaires d’attaque français et étrangers le jour du drame. Ce 27 novembre 2009, la cour d’appel de Rennes ordonne un complément d’enquête. La cour confie cette mission à l’expert Dominique Salles qui devra rendre son rapport au 31 mars 2010.

Le 2 juillet 2010, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Rennes annonce sa décision de relancer l’enquête : selon le rapport de l’expert, il "existe une probabilité pour qu’un sous-marin nucléaire d’attaque américain soit impliqué dans le naufrage". Toujours selon le rapport, le sous-marin nucléaire se serait trouvé dans la zone du naufrage lors d’une mission d’observation discrète d’un transport de résidus nucléaire vitrifiés au départ du port de Cherbourg.

Le Figaro.fr, 2 juillet 2010


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