Haïti : "répondre au drame de la pauvreté"

Six mois jour pour jour après le terrible séisme qui a ravagé Haïti, causant la mort d’au moins 300.000 personnes, les conditions de vie et de survie de la population restent très précaires. Jean-François Riffaud, porte-parole de la Croix-Rouge française, fait le point sur la situation à cette occasion pour leJDD.fr.

Il y a six mois, Haïti, meurtri, occupait le devant de la scène médiatique et un grand élan de générosité secouait le monde. Où en est-on aujourd’hui ?
Six mois après, un peu plus d’un million de personnes dans la ville de Port-au-Prince et dans les communes adjacentes vivent dans la très grande précarité. L’aide humanitaire est encore à pied d’œuvre pour accompagner ces personnes dans une survie que l’on essaie de rendre la moins difficile possible. En parallèle, les institutions internationales et l’Etat se réorganisent pour donner les perspectives de reconstruction et de développement. Cela ne va pas aussi vite que les victimes pourraient l’espérer, mais c’est révélateur des difficultés endémiques que connait le pays.

On parle d’un programme de 30.000 habitats de fortune.

Oui. Le projet du mouvement Croix-Rouge est de construire 30.000 logements transitionnels : des maisons en bois, avec un toit de tôle, entourées de bâches ou de bois, de 12 ou 18m² selon les situations, dans des zones mieux protégées et qui vont permettre aux personnes de pouvoir commencer à reprendre une vie "normale". Mais ce ne sont pas des abris qui vont permettre de reconstruire une ville à long terme. La difficulté pour nous aujourd’hui, c’est d’avoir accès à des terrains préalablement viabilisés.

Quelle est l’urgence première aujourd’hui au-delà de la réhabilitation des terrains ?

Après l’accès aux terrains et la réhabilitation des habitations, c’est la prévention. Préparer les populations à la catastrophe. On en a beaucoup parlé en France avec Xynthia et les inondations dans le Var. Le pays est-il bien organisé ? Savons-nous prévenir les catastrophes naturelles ? A la Croix-Rouge, c’est un sujet important depuis de nombreuses années.

Craignez-vous l’arrivée de la saison des cyclones ?

Si un cyclone passe demain, au mois d’août ou au mois de septembre sur Port-au-Prince, vu les conditions dans lesquelles vivent les gens, s’ils ont été formés à se protéger, à donner l’alerte, les conséquences humaines seront moins importantes. Mais les Haïtiens ne sont pas véritablement prêts, le pays surtout n’est pas prêt. Il y a dix jours, à Jacmel, au sud du pays, une petite pluie de fin d’après-midi a suffi pour qu’il y ait 1,50 mètre d’eau dans les rues et que des voitures soient emportées. Il faut saisir aussi cette occasion malheureusement qui s’est présentée avec le terrible séisme pour répondre au drame de la pauvreté qui préexistait.

Des Haïtiens dénoncent l’immobilisme du gouvernement et de certaines ONG.

Quand on voit les conditions de vie des populations sous les bâches par 41 degrés, la pluie qui tombe dès 17 heures… malgré l’action des ONG, il est normal que les victimes trouvent le temps long. La réalité, c’est que l’Etat avait déjà un genou à terre avant le séisme. Il est normal que les réprimandes et les angoisses se dirigent vers les ONG qui sont en contact direct avec les populations sinistrées.

On évoque aussi Haïti comme une zone franche, où chacun veut prendre des parts.

Ce que l’on entend en effet sur le terrain, c’est qu’il y a un énorme enjeu économique. Du côté des humanitaires, on s’attache à ne pas déstabiliser l’économie ou ce qu’il en reste. Je vais prendre un exemple très simple : le pays jusqu’alors vivait avec des vendeurs d’eau en sachets plastiques. Du fait du séisme, nous avons distribué jusqu’à 900.000 litres d’eau par jour. On ne peut pas reconstruire un pays comme ça, au risque de le déstabiliser complètement. On a décidé d’arrêter cette distribution gratuite d’eau potable mais on participe à la reconstruction de canalisations et on accompagne les petits vendeurs d’eau dans leur survie, pour qu’ils puissent continuer à travailler.

Y-a-t-il une concurrence sur le terrain entre les ONG, l’ONU et les diverses associations ?

Non, la concurrence entre les ONG a toujours été une fiction, une invention. Je ne l’ai jamais vue sur le terrain, bien au contraire. La préoccupation des ONG, depuis le 12 janvier jusqu’à aujourd’hui, c’est d’aider les personnes. Nous travaillons ensemble. Et c’est heureux. C’est le prix de l’efficacité. Je crois justement que le système est assez complémentaire entre les organismes de l’ONU et les ONG.

On parle souvent du climat très violent dans le pays. Avez-vous constaté une aggravation des tensions ?

Les consignes que nous avons reçues c’est qu’il était probable que la période de la Coupe du monde de football stabilise un peu tout ça et qu’il y ait une petite crainte à l’issue de la compétition. Ce que je peux vous dire, c’est que les premières nuits après le séisme ont été très mouvementées mais les échos que j’ai aujourd’hui c’est qu’il y a moins d’insécurité qu’avant car il y a plus d’humanitaires et que les choses sont peut-être mieux organisées.

N’avez-vous pas l’impression qu’après l’immense mobilisation médiatique au lendemain du séisme, Haïti est retombé dans l’oubli ?

C’est le drame d’Haïti et de tous les pays qui subissent une catastrophe humanitaire. Lorsque la catastrophe a lieu, et qu’en plus il y a des images, le public est sensibilisé et très vite on passe à autre chose. Au bout de trois, quatre semaines Haïti n’a plus fait la une des journaux. Et ça s’est ressenti en termes de dons. Les sociétés occidentales, riches et modernes, ont souvent la mémoire courte. Les anniversaires, comme aujourd’hui, sont des occasions pour reparler de cette catastrophe. Je crois qu’il faut garder cette vertu là, de ne pas oublier les populations qui souffrent.

Que manque-t-il aujourd’hui à Haïti ? Un Etat ?

Il y a une chose très frappante dans le pays, c’est l’espoir, la capacité des gens à vivre debout. Il manque certainement un Etat fort, organisé, appuyé sur une démocratie vivante et correctement aidé par la communauté internationale pour reprendre son destin en mains. Haïti mérite un Etat démocratique pour satisfaire l’espoir de la population.

Jérôme Guillas - leJDD.fr, le 12 juillet 2010.


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