INTERVIEW - West Caribbean : "le travail du juge est incomplet"


Daniel Hierso est responsable pour la métropole de l’Association des victimes de la catastrophe aérienne du 16 août 2005 (Avca).

Les autorités vénézuéliennes ont publié leur enquête technique. Etes-vous satisfait ?

Ce rapport arrive très tard. Il a été présenté en catastrophe à la délégation de notre association au Venezuela afin d’échapper à la pression médiatique, liée au cinquième anniversaire de l’accident. Ceci dit, c’est un soulagement car nous nous battions depuis longtemps pour que les recommandations de sécurité liées à cet accident soient publiées, afin qu’un tel drame ne se reproduise plus. Le rapport recommande, entre autres, une réévaluation du calage des alarmes de décrochage de l’avion par le constructeur, ce qui a joué un rôle dans la réaction inappropriée des pilotes. Le fait que les pilotes du monde entier soient désormais au courant va contribuer à renforcer la sécurité. Notre travail d’observateur, mené en collaboration avec le BEA français, n’aura pas été vain.

Où en est l’enquête judiciaire ?

Les enquêteurs français concluent à la faute exclusive des pilotes. Le juge se dirige donc vers un non-lieu, ce qui signifie qu’il n’y aura pas de procès. Cela va être vécu par les familles comme une immense injustice. Nous ne contestons pas la faute des pilotes. Mais plusieurs autres facteurs ont contribué à l’accident en amont, à commencer par la West Caribbean. Il est profondément choquant que le rapport judiciaire la décrive comme une entreprise, certes en difficulté, mais sans problème particulier, alors que la commission d’enquête sénatoriale colombienne pointe du doigt de graves lacunes.

Que pensez-vous du travail du juge ?

Nous sommes conscients qu’il s’agit d’une enquête internationale très difficile, dans un contexte colombien tendu, marqué par des menaces de mort. Ceci dit, le travail du juge est incomplet et marqué par un manque de volonté d’éclairer les zones d’ombre du dossier. Il a refusé toutes les demandes d’enquêtes complémentaires des parties civiles. Les auditions des quelques personnes qu’il a réussi à convoquer étaient peu approfondies. Son audition du broker [l’affréteur du vol, ndlr] tient sur trois pages, alors que celle réalisée par le juge civil américain en compte plus de vingt.

Que retenez-vous de ces cinq ans de procédure ?

Le point le plus choquant, qui ressort de manière constante, c’est qu’en 2005, il était visiblement parfaitement possible qu’une compagnie dont l’exploitation démontrait une absence de culture de la sécurité soit affrétée par un broker peu regardant et soit autorisée à voler sur le territoire français sans vérification approfondie. Autrement dit, aucune leçon n’a été tirée du crash de Charm-el-Cheikh (148 victimes en 2004) et du rapport parlementaire sur la sécurité aérienne de la députée Odile Saugues. A défaut de justice, espérons que les autorités sauront tirer les leçons de cet accident au profit de l’ensemble des passagers.

Interview réalisée par Yann Philippin pour Libération, le 16 août 2010.


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