L’indépendance du procureur en France remise en cause

La Cour européenne des droits de l’Homme a épinglé mardi la France pour l’absence d’indépendance de son parquet à l’égard du pouvoir exécutif. Un arrêt qui pourrait mettre à mal le projet actuel de réforme de la justice.

Le statut du procureur à la française est à nouveau mis en cause par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Celle-ci a épinglé mardi la France pour l’absence d’indépendance de son parquet - au sein duquel officie le procureur - à l’égard du pouvoir exécutif. En 2008, les juges de Strasbourg avaient déjà condamné la France pour le même motif.

Cet arrêt conclut l’examen par la CEDH du cas de France Moulin, une avocate qui contestait son placement en maison d’arrêt par le procureur adjoint du tribunal de Toulouse, dans une affaire de blanchiment d’argent. L’avocate s’était tournée vers les juges de Strasbourg, estimant qu’à l’issue de sa garde à vue elle n’avait pas - comme le prévoit pourtant la Convention européenne des droits de l’Homme - été « aussitôt traduite » devant « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». Selon elle en effet, le procureur ne représentait pas cette autorité.

« Le procureur (…) ne remplissait pas les garanties d’indépendance »
La Cour européenne lui a donné raison. « Le procureur adjoint de Toulouse, membre du ministère public, ne remplissait pas les garanties d’indépendance pour être qualifié, au sens de cette disposition, de ‘juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires’ », concluent à l’unanimité les juges. Ils rappellent que, en France, les membres du parquet « dépendent tous d’un supérieur hiérarchique commun, le garde des Sceaux, ministre de la Justice qui est membre du gouvernement et donc du pouvoir exécutif ». En clair, le procureur français ne devrait pas décider des suites à donner à une garde à vue parce qu’il n’est pas indépendant du pouvoir exécutif et ne peut donc exercer une fonction judiciaire.

« Cette décision consacre l’absence d’indépendance du parquet tant à l’égard des pouvoirs publics que des parties », a commenté Me Patrice Spinosi, avocat de France Moulin, qui a obtenu 5000 euros pour dommage moral. Pour l’Union syndicale des magistrats (syndicat majoritaire), elle confirme que « le statut des magistrats du parquet français doit impérativement évoluer ». Dans un communiqué, l’USM appelle le président de la République à « engager en urgence une nouvelle réforme constitutionnelle permettant à la justice française de satisfaire aux standards européens d’une justice indépendante et impartiale ».

La réforme de la justice en jeu

L’arrêt de la CEDH intervient en pleine polémique sur le rôle du parquet de Nanterre dans l’affaire Woerth-Bettencourt : fin octobre, le procureur Philippe Courroye a été forcé d’abandonner les enquêtes qu’il conduisait dans ce dossier, en partie parce qu’il était critiqué pour sa proximité avec le pouvoir. Ce n’est pas la première fois que la CEDH prend une telle position. En 2008, alors que le débat sur la suppression du juge d’instruction faisait rage, les juges de Strasbourg avaient déjà condamné la France pour manquement au principe d’indépendance du ministère public. En appel deux ans plus tard, la Cour avait toutefois fait marche arrière, en réaffirmant le principe de l’indépendance du parquet au niveau européen, mais sans viser spécifiquement la France.

« Nous ne partageons ni le raisonnement ni l’analyse de la Cour », a réagi mardi le ministère de la Justice français, qui a annoncé que la France allait faire appel devant une formation de deuxième instance de la Cour de Strasbourg. S’il est confirmé en appel, ce nouvel arrêt pourrait porter le coup de grâce à la réforme lancée par Nicolas Sarkozy en 2009 - aujourd’hui ajournée - qui prévoit de supprimer les juges d’instruction pour confier toutes les enquêtes pénales aux procureurs, sans modifier leur statut.

Le Figaro - Thomas Vampouille - 23 novembre 2010


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