Reims-Thillois : Trente mois avec sursis pour le chauffeur

L’accident tragique était survenu le 14 juin 2007 à hauteur de Reims-Thillois. Le chauffeur qui emmenait 34 enfants en excursion à Paris a percuté un véhicule de la Sanef occupé à des travaux de fauchage. Il ne faisait pas attention à la route. Cette imprudence lui a valu, hier, devant le tribunal correctionnel de Reims, une condamnation de 30 mois avec sursis et 200 euros d’amende.

De notre envoyée spéciale Geneviève Montaigu

Ce procès a pour nous une importance particulière », a entamé hier la substitut du procureur de Reims, Marie Truchet, qui a livré un réquisitoire d’une grande justesse, salué par la défense du prévenu, Fernando, 53 ans aujourd’hui. Poursuivi pour homicides et blessures involontaires, il encourt 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, comme le rappelle la substitut. « Il faut que je prouve qu’il a commis une faute à l’origine de trois décès, celui d’Alain, Liz et Kelly. »
La tâche n’est pas des plus ardues pour le parquet qui dispose des aveux complets du prévenu. Depuis le début, il a reconnu sa faute, il a dit n’avoir pas fait attention à la route pendant quelques secondes.
« Les proches ont attendu ce procès longtemps mais nous avons voulu tout savoir », explique le parquet qui a résumé les différents devoirs exécutés pendant l’instruction pour rechercher toutes les causes possibles de l’accident.
Mais il n’y avait rien d’autre à rechercher. Le seul responsable de cet accident tragique est le chauffeur, Fernando. On aurait pu penser à un chahut dans le bus, mais non. Il fallait à tout prix, et ce depuis le départ du Luxembourg, faire fonctionner cette foutue vidéo. Nous savons que c’était plutôt calme dans le bus, car les accompagnateurs vaquaient à des occupations de lecture ou d’écriture et ne remettaient nullement de l’ordre dans le car.
Si le parquet insiste sur ce fait, c’est parce que le chauffeur a déclaré qu’il fallait absolument faire fonctionner cette vidéo car les enfants la réclamaient. Non, c’est surtout l’instituteur, décédé dans l’accident, qui a insisté pour que le chauffeur fasse fonctionner le système.
Depuis le début, ce voyage avait été chaotique. Le chauffeur était arrivé en retard, il s’était trompé de route en partant. Un accompagnateur a témoigné dans le dossier disant que plusieurs fois il avait eu peur car le bus zigzaguait... Car depuis le passage de la frontière, le chauffeur essayait de faire fonctionner le lecteur DVD. Il n’avait jamais conduit ce bus.

« C’est humain »

« Entre le 2 mai et le 14 juin 2007, le prévenu a conduit 15 cars différents. Une semaine avant l’accident, il sait qu’il va prendre ce bus-là. Quand je regarde ses horaires de travail, je constate qu’il avait le temps de s’y intéresser », a déclaré la substitut d’un ton posé.
Pour le parquet, il n’y a rien à dire sur la signalétique. « Le dispositif était visible à 550 m. Tous les témoins affirment avoir vu la signalétique. Le prévenu dit qu’il a vu les travaux à 200 ou 300 m mais c’est à ce moment qu’il s’intéresse encore à ce problème de DVD », rappelle le parquet.
L’employeur du chauffeur, la firme Ecker, a parlé d’erreur humaine, point. « C’est humain, c’est difficile à entendre mais c’est humain », constate calmement le parquet. La substitut revient sur le rôle joué par l’instituteur décédé dans l’accident, celui qui a insisté auprès du chauffeur, allant jusqu’à se pencher sur ses genoux pour atteindre un bouton de commande.
« Le chauffeur tenait le volant d’une seule main et, de l’autre, il faisait toujours autre chose, il tenait un téléphone ou trifouillait les boutons. Il n’était pas dans sa conduite », dit le parquet. La loi impose à tout conducteur de véhicule de garder constamment la maîtrise de son véhicule. Il aurait dû laisser râler l’instituteur et se concentrer sur sa conduite, estime encore en substance le parquet.
« Il n’est pas un assassin d’enfants, il a commis un homicide involontaire. Il roulait à 100 km/h c’était la limite, il aurait dû se concentrer sur la route. Il n’a jamais été condamné, il a pleinement conscience de sa responsabilité, ce ne sont pas des larmes de crocodile qu’il a versées à l’audience mais il faut fixer une peine », rappelle le parquet en requérant une peine de 3 ans de prison avec sursis et 750 euros d’amende.
Le tribunal de première instance de Reims le condamnera finalement à 30 mois avec sursis et 200 euros d’amende.

Kilomètre 132, le drame

Le bus transportant deux classes de 6e année du primaire qui devaient se rendre en excursion à Paris avait quitté Steinsel vers 7h le 14 juin 2007. Le drame est survenu vers 8h45 au kilomètre 132, sur l’autoroute A4, peu après Reims. L’instituteur et une élève de 11 ans sont décédés sur le coup. Une deuxième petite fille est décédée cinq jours plus tard des suites de ses graves blessures. Onze autres personnes, élèves et accompagnants, plus légèrement atteints, avaient pu quitter l’hôpital le jour même.

« Ils étaient mes enfants »

Fernando, le chauffeur du bus, raconte au tribunal ce qui restera, pour lui aussi, le drame de sa vie.

Plus de trois ans après le tragique accident de Reims, le chauffeur de la compagnie Ecker reste lourdement affecté par l’accident dont il a été reconnu seul coupable. Hier, à la barre du tribunal correctionnel de Reims, tout en reconnaissant sa responsabilité dans le drame, il n’a pu retenir ses larmes.

C’est un homme effondré qui se présente à la barre du tribunal. Les enfants qu’il emmenait en voyage à Paris, il les connaissait bien, car depuis neuf ans, c’est lui qui était en charge du transport scolaire dans la localité de Steinsel. C’est Alain, l’instituteur décédé, qui a insisté auprès de Fernando pour qu’il emmène les élèves à Paris. « Pourquoi ? », interroge la présidente. Le prévenu fond en larmes, incapable de répondre.
« Des larmes sincères », relèvera la substitut du procureur. Fernando se souvient de ce jour comme si c’était hier. Il raconte les appels téléphoniques à son employeur pour tenter de faire fonctionner le lecteur DVD. Mais rien n’y faisait. Décidément, le voyage était mal parti. Quand le chauffeur marque un arrêt dans une station-service, les CRS lui indiquent qu’un de ses pneus est dégonflé. Il remet de l’air avec le conseil de s’arrêter à la prochaine station pour vérifier l’état du pneumatique.

Aucune trace de freinage

À cette occasion, il aurait pu prendre le temps de faire fonctionner le lecteur DVD alors qu’il était à l’arrêt. Mais le bus avait déjà pris du retard pour la première visite prévue à Paris et Alain voulait rouler. « On a tout essayé pendant deux heures pour le faire marcher. »
« Ce que je ne comprends pas bien, c’est que normalement, on ne doit pas parler aux chauffeurs et pendant deux heures on vous embête pour faire fonctionner une vidéo », observe la présidente du tribunal. Fernando en avait bien conscience, mais il n’a pas osé s’opposer aux desiderata de l’instituteur, « pour ne pas perdre mon travail », dira-t-il pour se justifier.
Mais il reconnaît son erreur, sa faute grave, celle d’avoir baissé les yeux pendant de longues secondes pour chercher les boutons. La route est rectiligne, la chaussée est sèche, le trafic est fluide et les travaux bien signalés.
Aucune trace de freinage relevée, le choc fut immédiat. Quand Fernando relève les yeux, il est trop tard, il s’encastre dans le camion de la Sanef. « J’ai cru que j’étais mort pendant quelques secondes et quand j’ai ouvert les yeux, j’ai vu du sang partout », raconte-t-il tant bien que mal entre deux sanglots. Le récit est dur pour lui. Il revoit des scènes d’horreur, il entend les enfants crier.

Enfants d’assassin !

Dans la salle d’audience, les parents pleurent avec lui. Ils resteront dignes. Représentant quelques parties civiles, Me Joë Lemmer, du barreau de Luxembourg, émet une autre hypothèse qui pourrait expliquer son manque d’attention : « Certains témoins ont déclaré que vous étiez en train de chercher un téléphone tombé à terre », avance-t-il. « C’est faux », répond le chauffeur.
L’homme ne cherche pas d’excuses. Il reconnaît les faits, avoue sa souffrance. Il a dû déménager de Steinsel, car il ne supportait plus le regard des autres. Ses propres enfants étaient qualifiés d’enfants d’assassin et ce n’était plus supportable. Aujourd’hui, concierge dans un lycée de Luxembourg, il est suivi psychologiquement, il souffre de dépression sévère et d’un vif sentiment de culpabilité.
« Cette audience est dramatique. Ce procès, le prévenu l’a attendu aussi. Il a espéré qu’il pouvait venir causer et répondre, et surtout, dire des choses très simples. C’est un accident de la circulation et on le considère comme un paria. C’est un prévenu qui est en deuil », a plaidé Me Boh-Petit pour la défense de Fernando. Avant elle,Me Rosario Grasso, du barreau de Luxembourg, avait demandé la clémence du tribunal pour un homme déjà meurtri. « Je n’oublierai jamais ce drame, ces enfants, c’étaient mes enfants », a déclaré le prévenu en larmes.

L’ambassadeur au procès

L’ambassadeur du Luxembourg en France, Georges Santer, était présent hier à l’audience. Il a eu des réunions préparatoires avec le parquet afin d’organiser au mieux cette audience. « En tant qu’ambassadeur, c’est mon premier procès. Nous ne nous déplaçons pas à chaque fois qu’un ressortissant luxembourgeois a un problème avec la justice française. Mais dans ce cas présent, il s’agit d’un accident très grave et le procureur nous a contactés en novembre dernier déjà pour organiser le procès », déclare le diplomate, qui s’est dit bouleversé par les débats. Tout en reconnaissant le sérieux avec lequel l’affaire avait été traitée.

http://www.lequotidien.lu publié le 9 février 2011


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