AF447 : un rapport d’experts met en cause Airbus et Air France

L’heure de vérité est proche dans l’affaire du crash meurtrier du vol AF447 Rio-Paris. Le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) va diffuser, vendredi après-midi, les premières informations issues des boîtes de l’appareil sur les circonstances de l’accident. Et un document, que Libération s’est procuré, va apporter un éclairage majeur à ces données. Il s’agit de la « note d’expertise » datée du 20 mars, sur laquelle la juge d’instruction Sylvie Zimmerman s’est appuyée pour mettre en examen Airbus et Air France pour « homicides involontaire ». Rédigé par les cinq experts judiciaires (qui n’avaient pas à l’époque les boites noires), ce rapport est très sévère pour les deux entreprises. Et devrait contribuer à dédouanner les pilotes, désignés comme coupables depuis une semaine par plusieurs articles de presse.

L’A330 qui reliait Rio à Paris a été victime le 1e juin 2009 du givrage, à haute altitude, des sondes Pitot de mesure de vitesse. Les experts ont analysé neuf incidents similaires survenus chez Air France dans les mois précédents, et interrogé tous les pilotes concernés. Verdict : « A l’époque […], les équipages n’étaient pas préparés à les affronter », faute d’ « information » et d’ « entraînement ». De plus, les procédures conçues par Airbus pour résoudre le problème étaient à la fois difficiles à « appliquer » par les pilotes et « pas spécifiquement adaptées » à la situation. Or, malgré les 25 incidents rapportés avant le crash, Airbus et Air France pas n’ont corrigé ces problèmes.

Le diagnostic des experts confirme les informations diffusées cet après-midi par France Info, qui dit avoir eu accès à des données issues des boîtes noires. « Je ne comprends rien », aurait lancé un pilote du Rio-Paris au moment de la perte de contrôle. Il aurait ensuite, selon la radio, appliqué la procédure standard, qui s’est révélée « inadaptée et inefficace ». En attendant la publication de la note du BEA, on ne peut exclure une faute des pilotes. Mais à supposer que ce soit le cas, les experts judiciaires démontrent que l’équipage avait, au minimum, des circonstances atténuantes.

Tout d’abord, les impacts de la panne sur les systèmes des Airbus sont « particulièrement déroutants », taclent les experts. Privé de l’information de vitesse, l’ordinateur devient incapable de réaliser de nombreux calculs, ce qui fait disjoncter le pilote automatique ainsi que les systèmes qui protègent l’avion contre le décrochage. Résultat, les pilotes sont « déstabilisés par des alarmes multiples », ce qui les a empêché de diagnostiquer précisément le problème et d’appliquer la procédure prévue par Airbus. Sur les neuf équipages d’Air France, deux seulement y sont parvenus.

Les experts critiquent également procédures prévues par Airbus pour résoudre le problème. « Il n’existait pas (et il n’existe toujours pas) de procédure spécifique « givrage des sondes anémométriques en croisière » », écrivent-t-ils. Il existait bien une manoeuvre à connaitre par coeur en cas de danger, mais elle n’était pas conçue pour la haute altitude. Pour calculer la bonne assiette et la bonne poussée à appliquer, les pilotes devaient dénicher un tableau dans la documentation papier. Bref, l’enquête « démontre les difficultés d’application de la procédure ».

Les experts judiciaires démontrent enfin les défaillances d’Air France en matière d’information. « Malgré un incident significatif le 14 juillet 2008 et cinq cas reportés ensuite », la compagnie n’a averti ses pilotes qu’en novembre, via une note qui ne mentionnait pas la procédure à appliquer. Alors même que trois autres compagnies françaises (Air Caraïbes, CorsairFly et XL Airways) avaient réagi vite et bien dès le mois de septembre. « La publication, avec retard sur les évènements, d’une note qui se limite à l’information aux équipages, et de plus sans référence à la procédure à appliquer en de telles circonstances, ne reflète pas la dangerosité de l’évènement. Au regard de l’obligation de son propre système de prévention, Air France a réagi avec une note tardive et inefficace », conclut le rapport.

Yann Philippin - Libération - 27 mai


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