TRAIN PARIS MUNICH : COMPTE RENDU DU PROCÈS

Neuf ans après les faits, le procès des responsables présumés de l’incendie du train Paris-Munich se tient du 14 au 26 mars devant le tribunal correctionnel de Nancy. Douze personnes ont trouvé la mort.

Outre le steward du train, M. Volker Janz, la Deutsch Bahn et la SNCF en tant que personnes morales sont renvoyées devant le tribunal pour homicides involontaires

Parce que le procès pénal a pour vertu essentielle de permettre un débat public sur la sécurité en pleine transparence et de façon contradictoire, la FENVAC, comme elle l’avait fait pour le procès du crash du Concorde, a décidé de rendre compte quotidiennement et exhaustivement des débats.

Ces comptes rendus sont rédigés par une professionnelle du droit, n’appartenant pas à notre Fédération qui est partie civile dans cette procédure. Ils se veulent donc factuels autant que possible.

L’avocat de la FENVAC est maître Gérard CHEMLA du barreau de Reims, et ces comptes rendus sont également diffusés sur le blog du cabinet ACG.


AUDIENCE DU 25 MARS

Plaidoirie de Me QUENTIN (SNCF)

Après avoir fait par aux familles des victimes de la profonde compassion de la SNCF, maître QUENTIN tient à préciser que la SNCF n’est pas dans le déni et qu’elle assume sa part de responsabilité au plan civil, elle a même donné droit aux demandes d’indemnités des victimes. Mais il s’agit ici de parler de responsabilité pénale.

La SNCF considère que les conditions dans lesquelles elle a été mise en examen posent des questions car elle repose sur une seule pièce : le rapport du BEA-TT.
La DB European Rail Service (employeur de M. JANZ) était mise en examen et n’a pas été renvoyée, elle, regrette l’avocat. « Si nous avions voulu que tous les acteurs de ce drame soient là, elle aurait dû être présente aussi ».
De même, le manque de communication n’est pas dans la prévention de la DB, ce n’est pas cohérent.
La responsabilité pénale de la personne morale ne peut être engagée que du fait d’un organe ou représentant qui agit pour son compte répète-il. Nous n’avons ici pas de certitude sur cette personne. Il est fait référence dans l’ordonnance de renvoi au « chef de train », aux « agents SNCF », etc…
La présomption de la chambre criminelle ne peut pas opérer en toute matière. Elle a trait à des actes qui par nature appartiennent à un organe ou représentant : hygiène et sécurité au travail par ex. Cette jurisprudence ne peut donc pas être retenue ici selon lui.

En ce qui concerne la faute. Dans un secteur qui est aussi règlementé que celui des transports, lorsque la sécurité est respectée en termes d’obligations, se pose la question de savoir quel espace en termes l’imprudence peut être reproché. Il estime que la prévention ne vise pas d’obligation de sécurité méconnue.

Il précise que les conclusions du rapport de 2004 du BEA-TT insistait sur le fait que ne peuvent pas être critiqué les moyens de communication au regard des normes UIC. De plus, l’ordonnance de renvoi n’est selon lui pas claire sur ce point. Elle vise les téléphone portables ou encore le talkie walkie mais pas le briefing de sécurité par exemple dont l’absence n’est pas ailleurs pas fautive.

Il revient sur la critique de « sécurité à plusieurs vitesses », il précise que les avions et les bus aussi sont utilisés pendant plusieurs années. Ne pas avoir du matériel « au top de la modernité » ne peut pas être reproché.

Au regard de ce qu’a pu préciser le magistrat instructeur dans son ordonnance il tient à dire que Le téléphone portable n’est pas un outil de sécurité. La communication existait dans ce train : c’était le signal d’alarme.

Quant à la question d’avoir laissé rouer un wagon non conforme, elle ne se pose que si le wagon n’était pas conforme. C’est à la DB de s’expliquer sur ce point estime-t-il. La voiture 120 était estampillée « RIC » et avait été remise dans le cadre de cet accord. Il n’y avait donc aucune vérification à faire de la part de la SNCF.

« On nous reproche d’avoir pris des mesures postérieures à l’accident qui montrent notre faute. C’est une mauvaise rhétorique. Après un accident il y a le retour d’expérience. S’est posée à ce moment la question de la conformité du wagon 120. Mais avant cet accident aucun élément ne permettait de mettre en cause ce véhicule. » Conclut-il.

Plaidoirie de Me ROBINET (SNCF)

Pour que soit engagée la responsabilité pénale de la SNCF il faut établir un lien de causalité certain entre la faute et le dommage. Ce n’est pas si facile. C’est un « triangle des Bermudes » pour les juges. « Pour vous je vais tenter de naviguer avec le tribunal sur ces eaux incertaines » annonce-t-il.

Me ROBINET intervient en effet pour démontrer que si par extraordinaire le tribunal et ce malgré l’intervention préalable de Me QUENTIN trouvait une faute à reprocher à la SNCF, il ne pourra retenir un quelconque lien de causalité.

Pour lui, c’est la rapide propagation du feu, des fumées et des gaz qui empêche que soit caractérisé ce lien de façon certaine (il accentue à chaque fois le mot). Peut être que certaines personnes étaient encore en vie à 2h11 mais elles sont décédées très rapidement.
De plus :
- Le signal d’alarme est un moyen de communication.
- La voiture 120 n’était pas équipée de hauts parleurs ou d’interphone, la sonorisation n’aurait donc servi à rien.
- M. JANZ était dans un tel état de panique que même un briefing ne lui aurait pas apporté une meilleure maitrise de lui-même.
- Son téléphone portable était resté dans la cuisine
- Les crochets ont certes empêché les secours d’intervenir mais les personnes étaient déjà décédées lors de leur intervention.
- Nous ne sommes pas certains que les victimes retrouvées derrière les portes ont essayé de les ouvrir.
- L’absence de visibilité des marteaux : elle n’est pas la cause du décès mais la cause d’une perte de chance de survie. Il n’y a donc pas de lien certain entre ce fait et les décès.

« Se tournant vers la justice, La SNCF vous demande de soumettre votre analyse rationnelle aux exigences juridiques et sollicite sa relaxe. »

Plaidoirie de Me ASSELINEAU (DB Autozug)

Me ASSELINEAU tient à introduire son propos en affirmant que le retour de la voiture témoin de la DB en Allemagne au cours de l’instruction n’avait pas pour but de procéder à des « maquillages ». Il s’agissait d’une erreur. Si elle a subit des modifications, ce n’est par ailleurs pas une reconnaissance de responsabilité.

Il continue en abordant ce que l’on appellera désormais le « cas KLENIEWSKI » : « Voilà un expert qui a oublié son métier. Il invente. Il est incapable de répondre précisément. Il ne prépare pas l’audience. Il n’a aucune logique expertale. » Dit-il.
M. le procureur, malgré ce qu’il a pu critiquer a lui-même fait « ses emplettes » au sein des expertises pour l’avocat. Me ASSELINEAU se propose donc d’en rester au socle commun des expertises afin de développer son propos.
Il tient aussi à justifier le recours à un expert privé (M. HEYN) par le fait que le juge d’instruction n’a pas fait droit à toutes leurs demandes de contre expertises alors « qu’il était aisé de voir pendant l’instruction que M. KLENIEWSKI n’était pas à la hauteur »

Il précise aussi qu’il tient à ce que les intérêts civils soient renvoyés à une audience ultérieure pour ne pas que ce sujet soit traité « par-dessus la jambe », il ajoute, à l’intention des associations, qui, contrairement aux victimes ne souhaitent pas ce renvoi : « Je ne conçois pas que les associations aient un traitement différent que les victimes. Ce serait indécent. »

Pour aborder le fond de sa défense il commence par affirmer que la DB n’est pas « autorisée » au sens de la loi 30 décembre 1982 à faire circuler des voitures sur le réseau français. Seule la SNCF l’est. Le tribunal qui est tenu par l’ordonnance de renvoi devrait donc le constater.
De plus, c’est la SNCF qui a fait des visites et ronde de sécurité avant le départ. C’est elle qui a décidé de faire circuler ce wagon en l’état.

Il revient sur le caractère obligatoire ou non des normes UIC en fonction de la date de mise en circulation des voitures. Pour lui ce n’est pas critiquable : les voitures sont une durée de vie de 40 à 45 ans, il faut le temps de la mise à niveau. La DB est selon lui très attentive à l’amélioration de la sécurité.

L’absence d’extincteur ne peut être l’effet que d’un vol ou du manque de vigilance d’une personne physique. La DB n’a rien à se reprocher affirme-t-il pour justifier ce point.

Les crochets sont conformes aux normes, en échange de ces crochets il y a un steward. « Si ces crochets n’avaient pas été là et que des personnes avaient été agressées on aurait reproché à la DB de ne pas avoir suivi les fiches UIC sur ce point. » estime-t-il.

Il réaffirme que la norme n’impose qu’un marteau par couloir (M. MAESTRINI aurait mal compris les questions qu’on lui a posées). On ne peut donc reprocher d’avoir mis des marteaux dans les placards, d’autant, ajoute-t-il, qu’il est assez logique quand on découvre un nouvel endroit de « tout ouvrir » pour se familiariser avec les lieux.

Sur le lien de causalité, comme les conseils de la SNCF, il affirme qu’il ne peut être établi du fait de la mort trop rapide des victimes. M. HOLTERBACH a d’ailleurs certainement vu les dernières victimes en train de mourir, de « glisser » sur les fenêtres. « Je sais que ces détails sont douloureux pour tout le monde. » se sent-il obligé d’ajouter.

Il conclut à la relaxe.

Dr De GRAF (DB Autozug)

Avant la suspension d’audience, l’avocat allemand de la DB souhaite adresser quelques mots au tribunal. Il s’exprime en français :

« Au nom de mon client je vous remercie de la manière avec laquelle vous avez mené l’audience. Nous regrettons cet accident mais nous sommes persuadés que la DB Autozug n’est pas coupable. Je n’ai rien à ajouter aux déclarations de mon confrère ASSELINEAU. »

Plaidoirie de Me LAFARGE

Me LAFARGE a l’après-midi entier pour défendre M. JANZ

Il introduit son propos en rappelant que M. JANZ n’est pas poursuivi pour avoir mis le feu à plaque. Il n’est pas poursuivi pour les incendies de la voiture 120 et de la 118. Il a bénéficié d’un non lieu. « Cela signifie qu’il en est innocent » conclut-il.
M. JANZ n’est pas non plus poursuivi pour alcoolémie ajoute-t-il. Aucune expertise ni aucun témoignage n’ont pu mettre en exergue ce point. M. JANZ a avoué de lui-même avoir bu dans la journée : « Sur un point aussi potentiellement dangereux, celui qui dit la vérité, dit probablement la vérité sur beaucoup d’autres choses. ».

Reprenant les termes de l’article 121-3 du Code pénal Me LAFARGE annonce qu’il va aborder « les missions, les fonctions, les compétences, le pouvoir et les moyens » dont disposait M. JANZ mais aussi « les missions, les fonctions, les compétences, le pouvoir et les moyens » dont il ne disposait pas.

Pour se faire, il fait une comparaison entre le wagon 120 de la DB et son couloir d’hôtel pour affirmer qu’en fait, M. JANZ n’était ici que le réceptionniste d’une « couloir d’hôtel qui roule » et que c’est donc à bon droit qu’il s’est lui-même comparé à un « garçon de café » mais aussi que M. BERVILLE l’a qualifié de « chef d’hôtel » et que M. KOENIG a dit qu’il avait un « rôle essentiellement hôtelier ». Il n’avait donc pas d’autre pouvoir que celui-ci.

De plus, M. JANZ n’est pas cheminot, il n’est pas « de la famille » ce qui explique que personne ne se soit présenté à lui en l’absence de procédure prévue à cet effet comme cela se fait par exemple avant le décollage d’un avion.

En ce qui concerne la dénomination de chef de train, il s’agit d’une différence sémantique qui s’explique par le côté « poétique », « latin » de la langue française alors que les Allemands ont une certaine discipline mais en réalité « zugfuhrer » et « agent titulaire « A » » c’est la même chose. Ce soir là c’était M. BOESCH.

On ne peut reprocher à M. JANZ de n’avoir connu ni la configuration du wagon ni les lieux qu’il traversait : cela faisait un an qu’il ne connaissait que son wagon.

Quant à sa formation, elle a fait de lui plus qu’un simple passager qui aurait eu pour réflexe premier de tirer le signal d’alarme et moins que le professionnel éclairé sachant faire immédiatement les bons choix. En une seconde, il a fait le choix d’alerter le chef de train, on ne peut lui reprocher. Pour pouvoir lui en demander plus, il aurait fallu « le recruter en conséquence, le former en conséquence et l’encadrer en conséquence ».

M. JANZ est donc seul. « Solo JANZ » comme il l’appelle est seul dans son wagon, il est même seul juridiquement, son civilement responsable étant absent. Au final comme l’a expliqué M. ANDRIES, « V. JANZ n’avait que ses jambes pour prévenir le chef de train ».

Me LAFARGE tient lui aussi à aborder le cas KLENIEWSKI. « Celui-ci a légué à l’expertise française 2 innovations : l’expertise au flair et l’expertise semi contradictoire » annonce-t-il avant de demander à ce que le parquet le raye de la liste des experts quitte à lui accorder des décorations de toutes les couleurs de l’arc en ciel puisqu’il semble ne rechercher que cela. « Il dessert la justice. » lance-t-il.

M. KOENIG, lui, a indiqué que l’option prise par M. JANZ était cohérente avec le souvenir qu’il avait de sa formation. Pour requérir la mise en examen de la SNCF, s’appuyant sur les conclusions de cette enquête, un membre du parquet a souligné que le comportement de M. JANZ était « logique » en l’absence d’autres possibilités. Il y a donc une incohérence selon l’avocat à invoquer la « logique » du comportement de M. JANZ pour mettre en cause une partie et à ne pas retenir cette conclusion quand il s’agit de mettre en cause M. JANZ lui-même.
A cet instant de sa plaidoirie, il tient à faire remarquer que dans son réquisitoire, Madame le Procureur n’a absolument pas fait état des blessures involontaires pour lesquelles M. JANZ est aussi renvoyé devant le tribunal. Ce qui selon lui illustre encore une fois le manque de sérieux dans l’approche de ce dossier par le Ministère Public.

De plus, pour lui, les 4 fautes qui sont reprochées à M. JANZ après le départ du feu sont des fautes qui constituent une abstention d’avoir porté secours. Ce délit est réprimé à part par l’article 223-6 mais dans le cadre de cet article il faut un double préalable :
- l’abstention doit être volontaire et
- ce secours devait être possible sans risque pour soit même ou les tiers.
Il estime donc qu’il y a une certaine facilité à se placer sur le terrain de l’homicide involontaire pour ne pas avoir à caractériser ce double préalable.

Rebondissant sur des paroles de Madame le Procureur, Me LAFARGE affirme que son client effectivement ne s’est pas comporté en héros, parce que les héros meurent. Et que au-delà du raisonnement juridique, froid, il faut prendre e compte ce qui fait un homme : ses courages mais aussi ses faiblesses. « Le droit c’est la vie. Le droit pénal c’est l’application de la loi à la vie. »

M. JANZ a du faire en quelques secondes un choix difficile et crucial sans avoir le temps de mesurer tous les paramètres. Le résultat : « C’est sa responsabilité d’homme. Je ne suis pas certain que c’est une responsabilité d’ordre pénal. » affirme son avocat.

Pour la faute antérieure au départ du feu, elle n’a pas été retenue pour l’incendie. Il n’est pas très juste de la retenir pour homicide involontaire quand on sait que les critères de cette infraction sont plus souples que pour l’incendie dit-il.

Il rappelle enfin la course effrénée de M. JANZ pendant laquelle il a désespéré de ne trouver personne, et ses gestes « dérisoires, pathétiques » quand il a jeté des cailloux avec Mme MERCIER sur les fenêtres, une fois sorti du train.

Il conclut en disant : « Volker JANZ je le connais un peu. J’ai diné avec lui tous les soirs ces 15 derniers jours. Nous avons parlé. Ne pas avoir pu faire plus pour sauver des vies, avoir pu faire si peu pour ces personnes… : les nuits de V. JANZ depuis 9 ans sont hantées. Il ne peut plus se concentrer. Il a la chance de vivre, de survivre, mais je pèse mes mots quand je dis qu’il est en jugement permanent contre lui-même. Il se sent infiniment responsable de ces passagers. Le problème c’est celui de sa responsabilité pénale. Le tribunal jugera. Il faut que justice passe. Qu’elle passe justement. »

Les prévenus, interrogés en ce sens, n’ont rien à ajouter. Le jugement sera rendu le lundi 16 mai à 13h30…


AUDIENCE DU 24 MARS

Plaidoirie de Me BEHR (famille AMORE)

Avant d’entamer le corps de son propos, Me BEHR rappelle à quel point il s’agit d’un accident stupide. Il y a des fautes évidentes, de M. JANZ certes, mais pas seulement. La voiture telle qu’elle était faite était devenue « un piège mortel ». Il est difficile aujourd’hui pour les parties civiles de s’entendre dire que ce n’est de la faute de personne.
Il présente sa plaidoirie en deux thèmes :
- le corpus intellectuel, juridique et technique dans lequel nous évoluons
- les conséquences sur le plan de la responsabilité pénale

I/ le corpus intellectuel, juridique et technique dans lequel nous évoluons

1) les règles juridiques
- sur l’imputabilité de l’infraction à la personne morale, il cite lui aussi de la jurisprudence qui affirme que dans certains cas la responsabilité de la personne morale peut être engagée parce qu’il y a nécessairement faute de ses organes ou représentants.
- Les personnes morales ayant participé à la réalisation de ces normes ont eu conscience de l’obligation de prudence qui en résultait. Elles devaient donc les appliquer en tout état de cause aux titres de leurs obligations de professionnels du transport.
- Sur le lien certain de causalité : cette expression ne signifie pas que le juge pénal doive avoir des certitudes mais la conviction.

2) Sur le problème du flash over
La défense des personnes morales qui s’appuie sur les rapports des experts consiste à dire que qu’importe leurs fautes il y a rupture du lien de causalité car on aurait rien pu faire compte tenu de la rapidité de propagation de l’incendie.
La démonstration des experts sur la propagation rapide des gaz toxiques ne vaut que si il y a eu flash over et s’il a eu lieu au moment dit.
Si on suit le raisonnement des experts, tous les passagers devraient être morts. M. JANZ aussi a affirmé qu’il aurait dû mourir au regard de ce raisonnement. M. JANZ a toujours affirmé être entré dans la kitchenette. Il n’a aucun intérêt à affirmer cela, il aurait au contraire eu plus intérêt à dire qu’il ne pouvait rien faire.

II – les conséquences sur le plan de la responsabilité pénale
Sur le plan de la responsabilité, les fautes que l’on peut reprocher à M. JANZ sont établies mais il n’est pas question ici d’accabler l’accompagnateur. Les membres de la famille AMORE, qui ont eu l’occasion de discuter avec M. JANZ, ont le sentiment qu’il y a eu un échange de fraternité entre celui qui a été « l’instrument du destin » et ceux qui en ont été les victimes.
Mais il a commis des fautes évidentes avec un lien de causalité certain :
« Le Tribunal tiendra compte de votre absence de formation. Je sais qu’il est aujourd’hui facile de vous reprocher de ne pas avoir réveillé les passagers mais dans votre formation ceci était indiqué. Je pense que vous aussi êtes aujourd’hui convaincu que face à cette situation il fallait réveiller les passagers. Je ne vous reproche pas mais je constate que vous n’avez pas eu ce réflexe. Cette constatation est douloureuse pour les parties civiles. » dit-il en s’adressant à l’accompagnateur.

M. JANZ n’est pas le seul à devoir supporter ces fautes.

La DB a implicitement admis, par cette histoire du wagon témoin revenu totalement équipé, que ces normes de sécurités étaient indispensables au regard de la prudence nécessaire.
Il conclut en disant que le droit rejoint l’évidence : cet accident aurait pu être évité car il a pour origine des fautes grossières et cumulatives.

Plaidoirie de Me SIAT

Me SIAT intervient pour la famille de M. FATHYCOV.
M. et Mme FATHYCOV viennent du TATARSTAN ils étaient venus voir de la famille en Autriche. Leur famille n’a pas pu se déplacer sur les lieux de l’accident.
Pour lui, M. JANZ a commis des fautes par défaut de formation et par panique. On peut le comprendre mais il était le seul professionnel dans ce wagon il avait le devoir de réveiller les passagers et d’arrêter le train.
En ce qui concerne la DB, ce wagon était un piège, « une boite fermée ».
L’absence de contrôle est selon lui une défense un peu facile de la SNCF selon lui.

Plaidoirie de Me TRINQUET

Me TINQUET intervient pour les enfants des époux FATHYCOV et la famille de Mme FATHYCOVA.
M. FATHYCOV était ministre au Tatarstan. Leur fille finissait des études secondaires. Les parents de Mme FATHYCOVA étaient à la charge de leur fille qui avait des revenus importants. Le décès de ces deux parents est donc une immense perte pour cette famille, sur un plan sentimental mais aussi sur le plan économique. Les parents de Mme FATYCOVA en particulier se retrouvant dans une situation très précaire.
L’avocat observe que les prévenus minimisent leur rôle. Il y a douze morts. Il est difficile pour lui de dire que personne n’a commis de faute.
Il n’est pas ici question d’accabler M. JANZ mais il était là pour assurer la sécurité des voyageurs même s’il se décrit comme un « garçon de café ». Toutes ses réactions ont été mauvaises. Elles ont été induites pas son absence de formation mais aussi par l’état du wagon qui était obsolète, elles ont été aggravées par le défaut de mesures non prises en temps utile par la DB.
Au-delà de la responsabilité de M. JANZ il y a la responsabilité de la DB. Il en va de même de la SNCF qui a mis en place le train.
Les manquements que l’on reproche à la DB peuvent être reprochés à la SNCF conclut-il.

Plaidoirie de Me CHEMLA

Me CHEMLA représente la FENVAC.
Elle est constituée de victimes réunies pour faire de leur douleur quelque chose d’utile. L’idée est qu’on ne doit pas mourir pour rien.
C’est là l’utilité du procès pénal. C’est le seul qui permet d’investir complètement la catastrophe et qui va permettre de contraindre les auteurs à s’expliquer et à se remettre en cause.

Il réfute l’utilisation du terme « chaine de sécurité » qui est selon lui un mauvais terme. Ce terme suppose qu’un maillon se rompe, entrainant alors à lui seul la catastrophe.
Un théoricien, M. REASON, a analysé et théorisé la sécurité : pour qu’un accident arrive il faut une accumulation des facteurs. Une erreur ne suffit pas ! Il suffit au contraire dans une organisation qu’il y ait un obstacle pour qu’il n’y ait pas d’accident.

Me CHEMLA projette alors un PowerPoint, chose peu commune lors de plaidoiries, représentant des schémas. Ces schémas ont été imaginés dans le cadre des maladies nosocomiales sur la base des théories de M. REASON. Cela n’a donc à l’origine rien à voir avec notre affaire mais s’y applique parfaitement dit-il. Ces schémas illustrent ce qui a été dit précédemment : la mécanique d’un accident collectif est toujours la même : c’est le fruit d’un cumul d’erreurs qui mènent à l’accident.

Au départ cet accident est un banal incident : un incendie de cuisine, il n’y a rien de plus prévisible. Mais il va devenir un accident aux conséquences majeures du fait de l’accumulation et de l’enchaînement des erreurs antérieures et postérieures au départ du feu.
L’homicide involontaire dans un accident de ce type ne peut reposer que sur la théorie juridique de l’équivalence des conditions et la pénalisation des fautes légères en ce qui concerne les personnes morales car elles sont responsables de l’organisation.

« Tous responsables, personne coupable, c’est la faillite du système pénal ».

M. JANZ soutient sa relaxe car il existerait une causalité indirecte du fait du non lieu sur l’incendie il serait donc innocent sur ce point. Il faut rappeler :
- que le non lieu partiel dont il a bénéficié n’a pas autorité de la chose jugée.
- qu’on ne peut pas saucissonner les faits qui lui sont reprochés. Il a laissé ses vêtements sur la plaque chauffante. C’est ce qui a entrainé le sinistre nous sommes dès lors en causalité directe.
« Mais il ne faut pas que seul le lampiste trinque »
poursuit-il.

Il évoque alors toutes les fautes que l’on peut reprocher à la SNCF et à la DB :
« Moi, j’ai toute liberté pour intervenir contre la SNCF. J’interviens malgré les tractations financières. C’est aussi à cela que sert la FENVAC. Nous sommes la partie civile qui est encore là lorsque toutes les autres ont transigé. La SNCF doit assumer sa part de responsabilité. » affirme Me CHEMLA, certainement inspiré par le fait que les autres parties civiles à l’exception de la FNAUT sont restées assez discrètes quant à la responsabilité de la société française.

Il résume ainsi sa position concernant le respect invoqué des normes UIC : des wagons anciens + des normes obsolètes + des normes nouvelles non applicables aux wagons anciens = le sigle « RIC » est insuffisant.
L’éventuelle présomption de conformité tombe dès lors que le wagon était manifestement non conforme aux normes UIC par l’absence de sonorisation et la fermeture interdite des couloirs.
Pour terminer et demander la condamnation des trois prévenus il refait une référence à M. REASON qui fait une différence entre la sécurité réactive (c’est le retour d’expérience sur l’accident) et la sécurité proactive (on n’attend pas l’accident ni les morts pour prendre des mesures).

Il faut préciser que, mis à part les associations, les parties civiles ont demandé le renvoi à une audience ultérieure pour statuer sur les intérêts civils.

L’après midi, c’est au ministère public de requérir. Les deux membres du Parquet présents pendant les débats se sont ainsi réparti les rôles : Madame BOSSARD, substitut du Procureur abordera ce qui concerne M. JANZ alors que Monsieur Le Calvet, Procureur adjoint s’occupera des deux personnes morales.

Réquisitions de Madame le Procureur

Après avoir rappelé à quel point ce drame est encore dans toutes les mémoires, Mme BOSSARD détaille les imprudences et négligences que l’on peut reprocher à M. JANZ.

M. JANZ a défini son métier comme celui d’un « garçon de café amélioré ». Pour elle, il n’est ni un garçon de café ni un simple particulier, c’est un professionnel.

Sur la question de l’alcool et de la sieste, aucune preuve tangible n’a été donnée, le tribunal n’aura donc pas à tenir compte de ces éléments dit-elle.
Elle évoque ensuite les six fautes de M. JANZ (une imprudence et des négligences) dont chacune dit-elle est de nature à entrainer sa responsabilité. Elle précise qu’on ne lui demandait pas ici de faire un parcours sans faute mais au moins d’avoir quelques bons réflexes.
« Personne ne conteste que M. JANZ a dû faire des choix en quelques secondes. » Il n’est pas question ici de l’accabler : « Le Ministère Public a beaucoup à reprocher à M. JANZ mais ne stigmatisera pas son comportement comme celui d’un lâche ».

« Au regard de tous ces éléments, du contexte, de la personnalité de M. JANZ, le Ministère public requiert une peine proportionnée. La justice pourrait être tentée de sanctionner avec rudesse mais tel n’est pas son rôle. En l’absence d’antécédents judicaires, au regard de la situation inédite, du manque de coordination et de moyens, les faits seraient justement sanctionnés avec une peine de 2 ans d’emprisonnement intégralement assortie du sursis ».

Réquisitions de M. le Procureur

« M. JANZ, je ne sais pas si vous êtes l’instrument du destin. Mais il n’était pas écrit que ces douze personnes meurent ce jour à Nancy. Nous entendons aujourd’hui vos regrets. Le poids ce drame doit être partagé par les deux sociétés qui comparaissent aujourd’hui. M. JANZ vous devez assumer toutes les conséquences de vos actes mais cela ne dispense en rien des leurs la DB et la SNCF. » Commence le Procureur.

Il serait tenté de s’en référer à la plaidoirie de Me CHEMLA que nous avons entendu dans la matinée et à la pertinence de ses schémas. Il développe tout de même :

Il remet tout d’abord en question le poids réel des expertises au sein desquelles ont peut « faire ses emplettes » pour s’en détacher dans ses réquisitions.

Il s’interroge ensuite sur la valeur normative des fiches UIC. Les normes UIC doivent servir de référence mais le respect de ces normes est insuffisant pour exonérer les prévenus. Et comment ne pas se montrer exigeant face à ces deux entreprises : la première (DB) et la 2e (SNCF) entreprises mondiales en termes de transport ferroviaire ? Comment imaginer que, dans la même rame du train, des passagers soient soumis à des règles de sécurité différentes ?

La voiture s’était, du fait des multiples fautes de la DB et de le SNCF, transformée en « cercueil putatif ».

« Il se peut que le Ministère Public ait évolué dans sa réflexion mais c’est ce qui fait sa richesse. Il n’y a pas de complot comme le dit le communiqué de presse [1] ». Le Ministère Public s’appuie sur le rapport du BEA, ce qui lui est reproché par la SNCF. « Il ne s’agit pas d’utiliser leurs conclusions mais les éléments mis en évidence » précise M. le Procureur.

La présomption « RIC » n’est pas une présomption irréfragable.

L’argument développé par la DB consiste à dire que les personnes étaient déjà décédées à l’arrivée des secours et donc qu’il n’y a pas de lien de causalité. Mais les secours c’est aussi le personnel de la SNCF, les autres voyageurs, … Plusieurs témoignages permettent d’affirmer que des personnes étaient encore vivantes à l’arrêt du train.

En ce qui concerne les victimes retrouvées dans le couloir, il estime qu’une porte est une issue naturelle pour faire le lien entre leur décès et la fermeture des portes. « Si l’on se lance dans de nombreuses conjectures, la preuve est impossible ». La jurisprudence se montre moins exigeante dit-il, il cite la Cour de cassation : « la part d’indétermination n’est pas exclusive de la responsabilité pénale ».
Il demande au tribunal de retenir la responsabilité des deux entreprises qui auraient pu faire mieux en termes de sécurité.

« Je souhaite m’incliner devant la mémoire des douze victimes et dire à la famille AMORE que la dignité exemplaire qu’ils ont montré hier rend encore plus perceptible l’immense douleur qui est la leur. Il était légitime d’essayer de comprendre tous ces détails techniques qui paraissent éloigné de leurs préoccupations. Cela était nécessaire parce que la justice pénale n’est pas uniquement la justice des victimes même si elles y ont toutes leurs places. Il y a aussi le droit des prévenus à prendre en compte. »

M. le Procureur demande de retenir la culpabilité de toutes les entreprises pour les chefs d’homicide involontaire. Pour ce qui est des blessures involontaires, il s’en remet à l’appréciation du tribunal.

Il demande donc de prononcer pour chacune des entreprises une peine d’amende de 150 000 €.


AUDIENCE DU 23 MARS

Le Ministère Public commence par faire passer ses conclusions à l’ensemble des avocats.

Comme prévu, M. SELIG (DB) est aujourd’hui venu avec l’accord de 1984 qui prévoit la présence dans le train d’un « chef de train » sous la responsabilité duquel sont les autres employés. Le document est en allemand.

M. SELIG lit le passage qui nous intéresse, il est traduit : « la responsabilité de la sécurité à bord du train appartient au personnel d’accompagnement. Le chef de train a le droit de donner des ordres aux accompagnateurs des wagons lit et couchettes ; cependant les ordres donnés doivent être compatibles avec leur mission à moins qu’il ne s’agisse de la sécurité du train ».

Pour la présidente, si pour l’essentiel de la mission d’un accompagnateur s’inscrit effectivement dans le cadre du service à la personne dans le sens hôtelier du terme, il ressort de cette phrase une certaine confirmation de la mission de « coordination » du « chef de train ». Pour M. SELIG au contraire, cette phrase permet de définir les responsabilités et les pouvoirs.

S’ensuit alors une discussion assez vive entre les avocats et le tribunal, parfois pas assez fort pour que la salle ou les traducteurs puissent en saisir le contenu. Le débat est le suivant :
- La SNCF représentée par Me QUENTIN et Me ROBINET souhaite voir écarter des débats ce document, en allemand, dont on ne saurait avoir une traduction complète avant la fin de l’instruction.
- Pour Me LAFARGE ce document n’est pas inutile à la défense de son client. « Je suis content de voir que ce document gêne à ce point la SNCF qu’elle veuille l’écarter des débats. » dit-il
- Pour la Présidente, ce document pose effectivement problème en ce qu’il n’a pas été débattu contradictoirement.
- Me ASSELINEAU se défend de produire tardivement un espèce. Il n’en fait aujourd’hui état que parce que cela lui a été demandé à la suite des débats d’hier.

Sur ce intervient Me CHEMLA qui fait remarquer que depuis le début des débats nous avons plusieurs fois fait état des fiches UIC n° 558 et 568 relatives à l’interphonie sans les avoir vues au dossier. Ces fiches ne sont pas accessibles à tous sur le site de l’UIC. Elles sont payantes et il faut être une compagnie de chemin de fer ou un libraire pour les obtenir.

M. le Procureur estime lui aussi qu’il est important d’obtenir ces fiches.
Me ASSELINEAU qui avait indiqué lors d’une suspension d’audience qu’il pourrait les faire parvenir au tribunal ne trouve plus l’une d’entre elles.

La Présidente propose de suspendre l’audience dès maintenant pour laisser le temps à chacun d’obtenir ces documents et de travailler dessus.
Il est 9h38, l’audience est suspendue. Elle reprendra à 14h.

L’après-midi, la note traduite est discutée :

On y parle bien du « chef de train ». Il est indiqué que le steward doit surveiller son wagon et qu’il ne doit pas quitter son wagon. Le steward doit veiller à ce que les portes entre les voitures ne soient pas verrouillées mais des dérogations sont possibles.
Pour M. AUTRUFFE, la validité de ce document interpelle :
- il n’est pas signé
- il date de 1984 et fait référence à des compagnies qui n’existent même plus.
Quant à la norme 568, elle ne s’applique qu’aux voitures disposant d’un système de sonorisation. Elle ne nous concernerait donc pas.

Vient ensuite le temps pour les parties civiles de s’exprimer devant le tribunal si elles le souhaitent. MM Rollin et Darren AMORE, frères de Salvatore AMORE et fils de Mme Suzanne AMORE et Mme Katherine MAYERS, sœur de Mme Jeanne AMORE souhaitent prendre la parole. Stéphane GICQUEL, secrétaire général de la FENVAC s’exprime lui aussi.

Les proches de la famille AMORE s’avancent en premier.

R. AMORE

C’est R. AMORE qui parle le premier. Il dit « Comme vous le savez surement 5 membres de ma famille sont morts dans cet accident. Mais il y a eu en tout 12 victimes. Je voudrais parler en leur nom. Si je suis ici aujourd’hui, ce n’est pas pour la compassion ou une récompense mais pour que ces 12 personnes ne soient pas oubliées. Tout décès a un impact sur la société. Aux yeux de Dieu nous sommes tous égaux. Je vais vous dire quel impact ces décès ont eu sur ma famille. Nous ne savons pas ce qui s’est passé mais nous savons ce qui aurait pu se passer. » Il raconte ensuite l’enfance heureuse de sa mère, Suzanne, en Allemagne. Suite à la seconde guerre mondiale elle s’était fait une promesse : que sa famille soit toujours heureuse et passe toujours en premier. C’était une femme déterminée. Elle a toujours tenu cette promesse. Chez les AMORE, la famille comptait beaucoup. Ils étaient tous très liés et se voyaient régulièrement ; au moins une fois tous les dimanches et bien sûr pour toutes les fêtes. Son frère, Salvatore (dit Michael), était comptable et donnait des cours à l’Université.

A côté de cela il trouvait le temps d’être magicien bénévole pour des associations. Sa femme, Jeanne était une femme dévouée, maman à plein temps et enseignante à mi temps en plus de cela. Leurs enfants étaient adorables.

R. AMORE raconte le 7 novembre, le pire jour de sa vie. Il remercie la façon dont les français ont traité son frère. Il salue la tenue du procès. Il précise que la SNCF a eu un comportement exemplaire avec les familles des victimes, les assurant de son soutien dès le premier jour. La DB au contraire avec qui il n’a eu un contact pour la première fois que deux semaines après le drame a engagé le dialogue en s’inquiétant de la façon dont serait mise en jeu sa responsabilité.

Il a aussi un mot pour l’accompagnateur allemand « Je suis désolée pour M. JANZ qui se retrouve aussi être victime de ce système défectueux. Il n’a reçu qu’une seule journée de formation ! C’est la question de la fragilité humaine. Personne ne sait comment il réagirait dans ces conditions. Le système de sécurité qui était mis en place n’était pas en mesure de réduire cette panique. »

Il se souvient de l’expression de terreur sur le visage sans vie de sa belle sœur. Il a lu les témoignages sur les cris de sa mère…
« Il ne s’agit pas ici de gagner ou de perdre. Il s’agit de responsabilité. Pour apprendre à tirer des leçons. Je demande à la DB d’arrêter de vouloir se préserver et de prendre les choses en compte pour que ma famille ne soit pas morte en vain. » termine t il.

D. AMORE

Son frère D. AMORE s’exprime ensuite. Il sera bref.
Il réaffirme qu’ils étaient une famille très proche et que ce jour reste le pire de sa vie. « 3 génération de ma familles sont mortes ce jour là » « J’espère que justice sera faite. »

K. MAYERS

K. MAYERS s’exprime plus difficilement. C’est les larmes dans les yeux et la voix qu’elle tient à dresser un portrait de chacune des 5 personnes décédées pendant que son mari, qui se tient près d’elle, illustre son propos de photos.

Elle raconte comment la grand-mère des enfants était une femme exemplaire et pleine de courage qui avait pour but dans ce voyage de montrer à ses petits enfants l’Allemagne qu’elle leur avait tant racontée, en particulier le verger aux pommes dans lequel ils devaient aller se promener.

Elle dévoile que Salvatore et Jeanne AMORE étaient ce jour là à Paris pour montrer à leurs enfants l’endroit où ils s’étaient fiancés.

Elle décrit les enfants. Emily qui aimait les chevaux, n’aimait rien de plus que l’odeur de l’écurie quand elle allait s’occuper de son poney. Elle parle de la curiosité et de l’intelligence formidable de Michael B. et de leur grande passion à chacun pour la lecture.

Elle regrette le déni des personnes mises en cause. Elle aussi a constaté la différence de comportement entre la SNCF et la DB.
« Je ne suis pas à la recherche de vengeance mais de justice. »

S. GICQUEL, secétaire général de la FENVAC

Après quelques minutes de suspension. C’est à M. GICQUEL de s’exprimer. « Après ce que l’on vient d’entendre, mon discours va, à juste titre, vous paraitre quelque peu institutionnel » introduit il « mais la FENVAC ce n’est pas une institution, la FENVAC c’est les victimes ».

Il rappelle l’historique de la fédération, née à l’initiative de familles de victimes et ses 6 objectifs :

- Entraide
- Solidarité
- Vérité
- Justice
- Prévention
- Mémoire

La FENVAC est ici pour tirer les conséquences des accidents.

« Seul le procès pénal permet d’aller au fond des choses. Permet un débat public, contradictoire, avec le spectre faux de la victime qui serait la pour crier vengeance. L’expérience montre que les entreprises craignent la sanction pénale en ce qu’elle représente. » explique t il.

« Il existe une mécanique de l’accident collectif. On retrouve toujours les mêmes fautes mais aussi les mêmes dénis. Nous sommes là pour aider les victimes qui sont dans un rapport d’inégalité avec les grandes entreprises. Nous avons pour volonté de sensibiliser les entreprises. »
« Les victimes ont toutes spontanément ce cri « plus jamais ça ! », que cela ne soit pas arrivé pour rien. Ce travail sur la prévention est réparateur. Il ne s’agit pas d’apporter des solutions mais d’apporter des questions, la contradiction. »

MM JANZ, AUTRUFFE et SELIG

M JANZ, AUTRUFFE et SELIG sont invités à réagir. Ils expriment tous leur confiance en le tribunal et saluent le déroulement des débats. Le représentant de la DB affirme en son nom participer à la détresse des familles de victimes.
Il n’est alors pas très tard. Les plaidoiries des avocats des parties civiles qui ne devaient commencer que demain peuvent débuter.

Afin que les plaidoiries ne soient pas interrompues et qu’il soit laissé libre court au débit des avocats, il n’est pas demandés aux traducteurs de faire du mot à mot mais plutôt de retranscrire l’esprit de ce qu’il sera dit. Il sera ici fait de même.

Plaidoirie de Me METAXAS (F.N.A.U.T)

Me METAXAS commence par rappeler le nom des victimes.

Il fait ensuite un parallèle entre cet accident et un autre auquel il a assisté : l’incendie dans le tunnel du Mont Blanc. Il relève les similitudes de faits mais aussi et surtout les similitudes dans les stratégies de défense.
Il se dit frappé par le fait que depuis le début du procès chacune des compagnies se défend comme s’il y avait « deux trains » alors qu’il n’y en avait qu’un. Ces compagnies se cachent aussi derrière des normes. Des normes « auto-édictées ». Les voyageurs doivent pouvoir tous prétendre à un même niveau de sécurité selon lui.

Il évoque les fautes de M. JANZ et met en avant sa consommation excessive d’alcool « compte tenu de son âge ».

La DB et la SNCF quant à elles ont laissé rouler un train dans ces conditions. Il précise qu’il regrette le non lieu prononcé pour la DB ERS, employeur de M. JANZ, responsable de son manque de formation.

Pour la SNCF, et en premier lieu sur la question de l’imputabilité qui avait été soulevée in limine litis, il rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation qui rappelle que certains actes relèvent intrinsèquement de l’organe ou du représentant de la personne morale.

Pour lui, toutes les défaillances reprochables à la DB le sont à la SNCF. M. JANZ n’avait pas charge de la responsabilité à lui tout seul.
Il termine en rappelant la vertu pédagogique du jugement pour soutenir une demande de condamnation des trois prévenus.

Plaidoirie de Me DENOUN (famille MEYERS)

Me DENOUN rappelle les nombreux débats que l’on a pu avoir pendant ces deux semaines sur les normes et les fiches techniques. Les sociétés ont affirmé que ces normes avaient été respectées. Mais la vraie question pour elle est celle de savoir si les victimes auraient pu survivre.

Il y a eu un ensemble de négligences fautives, des négligences qui ne sont par ailleurs pas reconnues.
Certes les incendies ne sont pas fréquents mais il faut tout de même prendre toutes les mesures nécessaires pour les empêcher.
Les rescapés sont sortis par leurs propres moyens rappelle-t-elle et non du fait d’une quelconque information.

Le respect d’une norme n’exonère pas d’une analyse de situation de risque dit-elle. L’UIC c’est le « langage commun minimum ». Il est incompréhensible que certaines mesures simples, prescrites par des normes, même non obligatoires, n’aient pas été prises.

Quant à la propagation du feu, les mis en causes essaient de dire que peu importe les mesures prises il n’y a pas de lien de causalité car les personnes sont mortes trop vite. Or plusieurs témoins ont vu ou entendu les enfants.

Elle rappelle aussi l’absence d’un extincteur et la non-visibilité des marteaux brise vitre pour mettre en cause les sociétés. M. JANZ d’ailleurs n’avait aucune information et une formation pauvre.

Pour parler au nom de la famille MEYERS elle termine en disant
« Ils ne demandent ni vengeance ni faveur mais simplement que justice soit faite ».


AUDIENCE DU 22 MARS

M. BEIGNEU

Ce matin, nous entendons M. BEIGNEU, pompier mis au service de la SNCF auprès du directeur de la sécurité. Il est parallèlement formateur pour divers organismes. C’est au regard de cette expérience qu’il est ici cité comme témoin à la demande de la SNCF avec laquelle il a manifestement préparé la défense.

Pour M. BEIGNEU qui dit n’avoir eu connaissance des évènements que par les rapports auxquels il a pu avoir accès, l’incendie a eu lieu en 5 phases :

- La « phase d’éclosion » : C’est le départ du feu. Un peu avant cette phase, avant même la première étincelle, les matériaux commencent à dégager des gaz de pyrolyse. En général une odeur caractéristique donne l’alerte : ça « sent le feu ». Il souligne que compte tenu de l’emplacement du siège du conducteur il aurait dû être alerté assez tôt, à moins de ne pas être pleinement attentif, ce qui est le cas s’il somnolait. Il s’est produit un « phénomène de cheminée » du fait des habits accrochés au dessus de la plaque. Cette phase a dû être rapide, moins d’une minute. Le feu était alors maitrisable.

- La « phase de croissance » : le feu se propage dans le local. La propagation dépend de la dimension du local. Plus il est petit, plus cela va vite. Il faut encore distinguer deux hypothèses. Si le local est fermé le feu se développe plus lentement, l’oxygène et le comburant venant à manquer. Si la porte est ouverte l’air au contraire alimente le feu. On sait comment cette question a été abordée pendant les débats…

- Le « flash over » : c’est le moment où les gaz en hauteur s’embrasent. La température monte à plus de 1000 °C. Les fumées, mobiles et inflammables, enflamment tout le wagon. Il est intervenu selon lui environ 3 minutes après le début du feu.

- le développement du feu
Le feu dévore tout et produit d’importantes fumées noires

- l’affaiblissement du feu
Il n’y a plus d’oxygène, le feu va s’éteindre.

A ce moment là, un redoutable retour de flammes est à redouter si la porte est ouverte. L’ouverture de l’imposte était de nature à protéger de ce retour de feu. Elle ne présentait pas de risque particulier de favoriser la propagation du feu mais au moins de faire baisser la pression.

Pour lui, et contrairement à ce qu’on pu nous dire les experts avant, le flash over n’est pas forcément concomitant pas à l’explosion de la vitre. L’explosion de la vitre n’intervient que du fait d’un choc thermique, c’est à dire quand la température qui l’atteint est très haute alors que la température extérieure est basse. Le flash over peut avoir eu lieu avant.

Me CHEMLA s’étonne et explique que M. HEYN nous a expliqué que le verre trempé ne pouvait résister à une chaleur de plus de 600°C. Il demande si l’on peut imaginer que dans ce cas, la diffusion de la chaleur dans ce local exigu étant rapide, on peut imaginer que l’explosion de la vitre soit concomitante au flash over qui fait monter la température d’un coup. Pour le témoin, c’est possible mais il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte, dont la composition des vitres. Il indique ne pas être un expert en ce domaine.

Il indique que les fumées ne sont pas immédiatement mortelles : une seule inspiration avant de mourir lui parait difficilement concevable. Il dit avoir déjà sauvé des personnes qui avaient respiré de telles fumées. En revanche elles sont vite paralysantes et, sans secours, elles peuvent entrainer une mort rapide. Il lui parait de même peu probable qu’une personne ait pu sortir en retenant sa respiration : le gaz pique les yeux et la panique accélère la respiration.

Chose étonnante, ce pompier de métier nous indique, questionné en ce sens pas Me CHEMLA, qu’il ne voit pas l’utilité d’afficher des consignes de sécurité sur la porte des wagons lits conseillant par exemple de calfeutrer les portes pour éviter que les fumées n’entrent… « Il n’y en a pas non plus dans les domiciles » dit il pour tenter de justifier son propos. Pour lui, la seule chose qui aurait été vraiment efficace aurait été une information rapide ou que le feu ne démarre pas…

M. JACOB

Nous entendons ensuite M. JACOB, cadre supérieur à la SNCF qui à l’époque des faits venait de prendre ses fonctions comme responsable du « pôle national sécurité des activités voyageurs » de la SNCF.

Suite à l’accident, il a eu à connaitre de diverses problématiques :

- L’organisation de la circulation
Sur ce point, il indique que la composition d’un train de voyageur obéit à des règles à l’époque de niveau ministériel. La voiture était conforme aux prescriptions règlementaire, le placement des voitures ne répondant pas à des exigences règlementaires mais à des nécessités de production (en ce qui concerne la séparation entre les branches Munich / Francfort) et de confort (en ce qui concerne la séparation places assises / places couchées). C’est la DB qui a demandé à ce que, contrairement à ce qui avait été initialement prévu, sa voiture soit en tête de convoi.4

- La double problématique sureté (atteintes aux personnes et aux biens des voyageurs) / sécurité (risques liés à la circulation des trains)
Le rapport de la commission d’enquête administrative a souligné la difficulté de concilier ces objectifs à bord des trains.
Les préoccupations majeures à l’époque étaient les risques (fréquents) de chute des voyageurs. Aucun incendie grave n’avait été déploré depuis 1985.
A bord du train, il n’y a pas de hiérarchie. L’agent titulaire « A » est responsable de la coordination mais chaque agent a sa propre mission et sa propre responsabilité en termes de sécurité. Ils ne connaissent en revanche pas les fiches UIC.
La « ronde de sécurité » doit être effectuée le plus rapidement possible. Son but principal est d’éviter les chutes de voyageur en vérifiant la bonne fermeture des portes. Il existe aussi des « rondes de circulation » qui permettent de répondre aux demandes des voyageurs.

- Les moyens de communication
A l’époque, il n’existait pas de briefing sécurité. Ce briefing a été introduit suite à la recommandation de l’enquête administrative.
Le briefing qui existait à l’époque n’avait qu’un objectif commercial ; il résultait d’une initiative d’une direction commerciale qui avait constaté une mauvaise qualité de service à bord des trains corail. Il n’y avait pas de répercussions sur les aspects sécurité sinon cela serait passé par le pôle sécurité. Cela ne concernait pas le train dont nous parlons qui faisait partie d’une autre direction.
Pour ce qui est des moyens de communication à bord le rapport rappelle que si les moyens à bord étaient limités, la situation était conforme à la règle.
Il n’y avait pas à l’époque d’obligation à ce qu’une liaison interphonique fonctionne entre les wagons et la locomotive. C’est toujours vrai aujourd’hui. A l’époque le câbleau de la voiture DB (18 conducteurs) et le coupleur de la locomotive (13 conducteurs) n’étaient pas compatibles.
Mais en plus, pour que l’interphonie fonctionne, il faut qu’il y ait un combiné de part et d’autre. La locomotive était équipée d’un combiné mais la voiture de la DB n’était pas équipée. Si la liaison avait été mise en place il aurait fallu se rendre à la voiture fourgon pour utiliser le combiné d’interphonie.
« Vous vous nous dites qu’il n’y avait pas de combiné, de l’autre côté on va nous dire que de toute façon les branchements n’étaient pas faits ! Que chacun assume sa part de responsabilité ! » conclut Me CHEMLA.

Les téléphones portables ne sont pas des outils de sécurité. Les conducteurs ont interdiction de l’utiliser pendant la circulation du train. C’est vrai qu’ils peuvent être un moyen complémentaire pour les personnes à bord autre que le conducteur.

- La détection de non-conformité
Les véhicules sont échangés dans le cadre du RIC. L’apposition de ce sigle est de la responsabilité du propriétaire. Un véhicule « RIC » est conforme aux règles UIC, il est admis à l’échange. La SNCF n’intervient pas dans les conditions d’homologation des voitures étrangères.
Lors du passage en frontière, le RIC prévoit qu’il doit être fait un examen technique d’acceptation sur les véhicules concernés. Pour faciliter les échanges, les entreprises ont conclu des accords en confiance qui permettent de se dispenser de ces examens techniques d’acceptation. C’est le cas de l’accord « à 8 ». Cela permet de faciliter l’interopérabilité.
Quand bien même cet examen aurait eu lieu, il l’aurait été dans un délai réduit avec des voyageurs à bord et de nuit et n’aurait donc porté que sur quelques organes extérieurs (par exemple les freins).
La DB n’avait pas demandé de visite technique, c’est normalement pendant cette visite que l’on vérifie la présence d’extincteurs.
Donc sur cette voiture il n’y avait ni examen technique d’acceptation ni visite technique à prévoir.

Suite à cette présentation et à des précisions apportées par les questions, M. JACOB est questionné sur le point qui nous interroge le plus en ce qui concerne les normes.

Le sigle RIC, on l’a bien compris pendant les débats, est apposé dès la mise en circulation du train, suite à un examen fait par un organisme indépendant, au sein du pays propriétaire. Les fiches UIC ne font pas l’objet d’une application rétroactive. Ce sigle n’est remis en question qu’en cas de modification importante de la voiture. On vérifie alors si les modifications apportées sont conformes aux nouvelles fiches. Ce sigle n’est donc paradoxalement jamais mis en cause sur les voitures qui ne font l’objet d’aucune modification et sur les éléments du wagon qui ne sont jamais remplacés. Rappelons ici qu’un wagon a une durée de vie de 40 à 50 ans.

La question est donc la suivante : ce sigle « RIC », s’il est suffisant au niveau règlementaire, peut-il raisonnablement être considéré comme suffisant au regard de la sécurité ? Est-ce alors prudent de laisser circuler des wagons en confiance, c’est-à-dire sans examen technique, quand on connait ces paramètres ?

Force est de constater que la réponse est décevante. Rechignant à répondre clairement, le témoin s’est refusé à admettre ce qui apparait à tous comme une évidence. Pour lui on ne peut raisonnablement remettre en cause chaque voiture à l’édiction de chaque nouvelle fiche. Il se rabat derrière la règlementation qui en tout état de cause ne lui impose rien…
L’après midi a été consacrée à recueillir les observations des trois prévenus sur les observations qui ont été faite avant.

M. AUTRUFFE (SNCF)

Pour M. AUTRUFFE, l’intervention de M. BEIGNEU montre que la rapidité avec laquelle s’est développé le feu rendait de toute façon ni l’utilisation de l’interphonie, ni l’existence d’un briefing utiles dans ce cas.
Il tient surtout à préciser que le sigle « RIC » garantit la conformité des wagons. Il affirme que les accords de confiance sont nécessaires. A défaut, il faudrait faire des arrêts d’une quarantaine de minute à chaque franchissement de frontière ce qui rendrait impossible le bon fonctionnement des transports internationaux. De plus, les wagons étant pleins à ce moment là, l’examen technique ne pourrait porter que sur les éléments extérieurs du wagon. L’intérêt des fiches n’est pour lui pas uniquement mercantile, il s’agit aussi d’assurer la sécurité. Il indique qu’un évènement comme celui dont nous parlons est pénalisant pour la SNCF.
En ce qui concerne le problème de l’obsolescence des wagons qui ne permet pas de remettre en cause le sigle « RIC », il évite la question de manière presque aussi (mal)habile que M. BEIGNEU. On peut résumer ainsi sa position :
- Ce sont les autorités nationales qui décident de l’application du sigle « RIC »
- L’examen technique est exclu par les accords.
- C’est à la maintenance du réseau du matériel de faire ponctuellement les vérifications nécessaires par exemple dans le cadre des extincteurs. La visite technique (qui permet aussi ces vérifications) doit être demandée par le réseau propriétaire. Certes il n’est pas interdit de la faire en dehors de cette demande mais à la SNCF elle n’est faite que dans ce cadre.

M. SELIG (DB)

M. SELIG attire l’attention du tribunal sur quelques points de désaccord qu’il a avec son « collègue » de la SNCF.

Il rappelle qu’en 2001, 34 visites de véhicules identiques à celui en cause aujourd’hui avaient été demandées à la SNCF qui n’avait à l’époque signalé aucune non-conformité.

Pour lui, « la confiance implique le contrôle ». La DB effectue donc des visites de sécurité même lorsque cela ne lui est pas demandé par le réseau propriétaire. La DB fait donc ces contrôles de façon inopinée et aléatoire, peu importe le réseau propriétaire du véhicule, pour s’assurer « qu’on a raison de faire confiance ». Comme elle ne peut pas le faire quand les wagons sont pleins de voyageurs, elle le fait quand ils sont à l’arrêt. Elle a pour se faire du personnel compétent à disposition.

La DB fait également des évaluations de risque qui lui permettent de déterminer des moyens de remédier aux failles. Peu importe que les règles de l’UIC imposent ou non ces modifications. La norme allemande prévoit par ailleurs que les mesures prises peuvent être différente des mesures prescrites si elles assurent un niveau de sécurité équivalent.

« A votre avis la façon dont vous avez fait apparaitre vos marteaux brise-vitre (par un autocollant qui indiquait en quatre langues leur emplacement) était elle équivalente à ce que prescrit la fiche UIC (marteau placé dans une boite en verre facilement cassable et recouverte au fond d’une peinture luminescente) ? » demande Me CHEMLA. « Si nous avions pensé autrement nous n’aurions pas fait comme ça » répond-il.

Il évoque encore un accord de 1984 signé entre autre par la SNCF et la DB qui dit que le steward est placé sous l’autorité du « chef de train ». La Présidente ne comprend pas comment cette notion peut être retenue dans un accord alors qu’elle n’est pas uniformément comprise. Le représentant de la DB présentera ce document demain pour qu’il soit débattu contradictoirement.

M. JANZ

M. JANZ quant à lui ne peut réellement donner son avis sur des normes et des accords qu’il ne connait pas dit-il.
Sur l’intervention du pompier, il réaffirme que selon lui, les explications théoriques que l’on donne depuis le début du procès ne correspondent pas à la réalité et que le feu s’est certainement développé moins vite.
Pour le reste, rien de très nouveau dans ce que dit M. JANZ : Il répète qu’il n’a pensé qu’au chef de train quand la Présidente lui fait remarquer que son rôle dépasse le simple rôle d’un « garçon de café » et que le peu de formation qu’il a eu mentionne des règles de sécurité. Il met en doute les témoignages de M. BERVILLE et BOESCH sur le fait qu’il y avait de la lumière dans leur compartiment et sur le moment de l’arrêt du train. Il réaffirme avoir pu pénétrer dans le wagon.
Tout ceci a déjà été abordé. L’audience se termine pour aujourd’hui.

Demain, après quelques auditions supplémentaires, peut-être auront-nous le temps de commencer à entendre plaider les parties civiles.


AUDIENCE DU 21 MARS

Aujourd’hui, les experts doivent être entendus sur les normes « UIC ».
Au préalable, la Présidente donne la parole à M. SELIG, représentant de la DB.

M SELIG

Il n’est arrivé à la DB qu’en 2004, mais il a étudié le dossier pour pouvoir répondre aux questions. Il explique que pour lui, et au regard des travaux des experts qui ont été mandatés par la DB, le wagon sinistré respectait les normes. On a cru deviner ces derniers jours que ces fiches étaient sur certains points soit obsolètes soit peu adaptées ou peu exigeantes à l’encontre de certaines machines.

La Présidente interroge : « ne peut-on pas aussi se positionner sur le terrain de la prudence pour considérer qu’il faut respecter même les points de sécurités non exigés par les fiches ? »

Le témoin répond que s’il est vrai qu’on attend de machines qui peuvent avoir une durée de vie de 40 ou 45 ans qu’elles soient régulièrement adaptées aux progrès techniques, certaines modifications ne sont pas envisageables du fait de la globalité de changements qu’elles impliquent. En l’occurrence, la voiture de la DB avait subit des mises en conformité dans les années 1990 qui ont donné lieu à vérification et à nouvelle autorisation de mise en circulation.

Pour déterminer quelles sont les adaptations à effectuer, désormais une analyse des risques est faite. Quant à la pratique de l’époque, il ne peut pas vraiment nous renseigner…

En ce qui concerne la fermeture des portes. M. SELIG évoque la réunion du « Ten Pool » qui s’est tenue en 1971 afin que l’Union des chemins de fer sur les transports de nuit se concerte pour uniformiser les normes en matière de sécurité. C’est à cette époque qu’il a été décidé de mettre des crochets aux portes, une pratique uniforme à plusieurs réseaux à cette époque, à la seule différence que seul le système allemand utilisait une clé spéciale au lieu de la clé de berne habituelle pour fermer les couloirs intérieurs. La préoccupation essentielle est d’assurer la sécurité des passagers contre les agressions et les vols. Pour s’assurer des autres volets de la sécurité, l’accompagnateur était présent. Le témoin comprend tout de même le comportement de M. JANZ qui a cédé à la panique.

« Ce n’est pas très rassurant » constate la Présidente. Personne n’a critiqué le fait que M. JANZ pose son sac sur la plaque, il a eu une formation minimaliste et le représentant de la DB arrive à « comprendre » ou en tout cas, comme il le précise, à « expliquer » un tel comportement. Il aura l’occasion de revenir sur cette question de la pratique du sac posé sur la plaque chauffante.

N’osant visiblement pas mettre en doute la parole de M. JANZ en affirmant ne pas connaitre la réaction de sa hiérarchie à l’époque, il dit tout de même que des personnes en charge du contrôle qualité affirment procéder régulièrement à des contrôles. Un des points particuliers de ce contrôle consiste à vérifier que les affaires des stewards sont correctement rangées.

Quant à la faible formation du steward, elle s’explique – selon lui – par la grande expérience qu’avait M. JANZ des wagons lit ce qui dans la pratique de l’époque ne justifiait pas une formation plus longue. Il ajoute que les fonctions sont clairement scindées au sein du système allemands entre les stewards qui ont essentiellement un rôle d’accompagnement des voyageurs et les contrôleurs et chef de train qui ont eux une formation plus longue du fait des responsabilités plus lourdes qu’ils ont en termes de sécurité.
Pour lui, là est toute la différence entre les systèmes français et allemands.

En Allemagne, le « chef » est facilement reconnaissable à son bandeau rouge. C’est lui qu’il faut prévenir en cas de problème. Mais il faut rappeler que cette question s’inscrit dans la question plus large de savoir si M. JANZ a eu le bon comportement en allant à tout prix chercher le chef de train.

C’est donc en toute logique que Me CHEMLA et la Présidente questionnent le témoin sur ce point plus précis. La réponse, floue, n’est pas à la hauteur des attentes.

Nous donnant deux réponses distinctes correspondant à la façon dont lui-même aurait réagit et à ce qu’il fallait faire, le témoin affirme :
- > une première fois qu’il faut d’abord tirer le signal d’alarme, couper l’oxygène au foyer, réveiller les passagers et les évacuer. Il souligne qu’en Allemagne, tirer le signal d’alarme est moins problématique qu’en France car le conducteur peut décider de retarder le moment d’arrêt du train s’il l’estime opportun.
- > A une autre occasion, il affirme que la procédure à suivre est la suivante : alerter les collègues, puis le chef de train, arrêter la ventilation et évacuer les passagers avant d’essayer d’éteindre le feu.

Ses explications laissent une sensation de doute. Comme si finalement aujourd’hui encore les attitudes à adopter en pareille situation ne sont toujours pas claires.

On retiendra seulement qu’en cas d’urgence, tous les agents sont autorisés à intervenir pour prendre les premières mesures avant de prévenir le chef de train qui décidera du reste de la procédure à suivre.

La Présidente veut aussi savoir pourquoi la DB a fait pendant l’instruction prévaloir des arguments pour que la SNCF soit mise en cause. La présidente souligne que si la SNCF est condamnée, elle le sera pour avoir fait rouler sur son réseau un wagon de la DB non conforme aux règles en vigueur. Ce qui implique de facto une responsabilité de la DB.

Le représentant de la compagnie allemande répond que, entre décembre 2001 et novembre 2002, la DB a demandé des contrôles de wagon à la France à Fréjus, Avignon et Narbonne. Dans ce cadre, la SNCF a contrôlé 34 wagons-lits du modèle en cause et rien n’a été critiqué. La DB assumera dit-il sa part de responsabilité si responsabilité il y a en tant que propriétaire et utilisateur mais certains éléments de sécurité relevaient du contrôle que devait effectuer la SNCF à partir du moment où le train avait passé la frontière. Pour lui, le problème réside aussi dans le fait que les wagons ne pouvaient communiquer avec la locomotive parce que la SNCF n’avait pas prévu l’adaptateur nécessaire.

Il faut noter tout de même qu’un point laisse le témoin perplexe : pour lui, le wagon a toujours possédé deux extincteurs, et ce même lors de la visite de contrôle qui a eu lieu le 4 novembre. Il ne s’explique pas pourquoi le jour de l’accident il en manquait un.

Le retour de M KLENIEWSKI ….

C’est ensuite au tour de M. KLENIEWSKI de s’exprimer. Il a laissé une si mauvaise impression la semaine dernière que manifestement plus personne ne le prend au sérieux.

Prudente, la Présidente lui demande de s’en tenir aux points soulevés par l’ordonnance de renvoi en ce qui concerne le respect des normes UIC. C’est-à-dire :
- au système de fermeture sur les portes extérieures
- au système de fermeture sur les portes de couloir
- au fait qu’il n’y ait qu’un seul extincteur
- au fait que les marteaux brise vitre étaient mal signalés

M. KLENIEWSKI qui manifestement n’a toujours pas compris son rôle, se propose de répondre au rapport de M. MAESTRINI que nous devons entendre dans l’après midi. La Présidente le coupe et lui demande de s’en tenir à ses propres conclusions. Elles seront brèves :

Il constate :
- Que les fiches UIC imposent qu’il y ait deux extincteurs alors qu’ici il n’y en avait qu’un qui plus est situé à distance du point chaud.
- En ce qui concerne les portes extérieures, elles doivent être ouvrables à la clé de berne que possède tant le personnel français qu’allemand, tant de l’extérieur que de l’intérieur. Donc, les crochets ont empêché l’intervention des secours dans un temps raisonnable.
- En ce qui concerne les portes intérieures de couloir, elles étaient fermées par la clé plate vachette dont le personnel français ne disposait pas ce qui est non conforme aux règles UIC.
- En ce qui concerne les marteaux, ils doivent être visibles. Ils ne l’étaient pas.

Il conclut à un non respect des normes sur ces 4 points.

Pour lui, peu importe que les fiches indiquent qu’elles sont obligatoires ou valable comme seule recommandation. La prudence impose de les respecter. En particulier, La fiche UIC 564-2 qui concerne la lutte contre l’incendie et qui a été éditée en 1991, s’applique à la voiture qui nous intéresse quant bien même elle fut construite en 1964 parce qu’elle fût révisée en 1999. Peu importe aussi que les crochets installés sur les portes de couloir permettaient comme le prescrit la norme UIC de l’époque une ouverture par l’intérieur, il les dit non conforme au nom de la priorité de la sécurité des voyageurs.

Notons encore que Me LAFARGE n’a pas obtenu cette fois non plus les réponses à ses questions sur les débris de vêtements dont la présence avait semble-t-il été constatée sur la plaque.

Après la suspension de la mi-journée, Me ASSELINEAU indique qu’il a été abordé dans le couloir par l’expert qui lui a dit avoir remis un document au tribunal. Il s’en inquiète.
- « C’est une note qui n’a aucun intérêt » répond la Présidente. « Je peux la déchirer devant vous »
- Elle le fait.

Me ASSELINEAU explique également que M. KLENIEWSKI lui a dit qu’il reste à la disposition de la justice s’il est besoin d’une expertise dans une autre affaire. Il a d’ailleurs déposé son CV.

La salle s’esclaffe.

« le parquet appliquera la suite à donner à cette proposition en temps utile » clôt la présidente.

M MAESTRINI, expert UIC

Il est temps d’interroger alors M. MAESTRINI qui a suite aux faits présidé un arbitrage entre la SNCF et la DB sur l’interprétation des normes ferroviaires (UIC). Il a été missionné ensuite par la DB pour expertiser les normes applicables.

M. MAESTRINI parle un peu français mais est italien. Deux interprètes sont donc présents pour traduire ses propos. Force est de constater pourtant que tout ne se déroule pas de façon aussi fluide que d’habitude dans cette retranscription. Les paroles prononcées en italien doivent d’abord être traduite en français avant que les interprètes anglais et allemands les traduisent à leur tour pour les intéressés. M. SELIG (de la DB) dira à la fin de l’exposé qu’il n’a saisi que la moitié du propos. De notre côté, il était aussi parfois difficile de suivre M. MAESTRINI qui s’exprimait tantôt en italien, tantôt en français.

Le témoin commence par nous expliquer le principe des règles UIC et du RIC (règlement international). Il s’agit d’un accord entre les principales compagnies ferroviaires européennes. Il donne des règles à suivre pour pouvoir circuler sur les chemins internationaux. Cet accord n’est pas obligatoire, il se base sur le volontariat. Toutes les normes qui sont appliquées sont étudiées et enregistrées par cet accord. Cet accord prévoit que les voitures marquées « RIC » sont censées respecter les normes UIC.

Les fiches précisent que chaque voiture doit être équipée de deux extincteurs.

Les deux fiches qui retiennent toute notre attention sont les fiches 560 et 564-1 qui se complètent ou s’opposent sur certains points. La fiche 560 est une fiche générale sur les voitures. La fiche 565-1 est une fiche qui concerne plus particulièrement les voitures lits, elle date de 1982
La voiture sinistrée datant de 1964 elle est concernée par la fiche 560 pour la plupart des mesures, lorsqu’aucune dérogation n’est prévue par la fiche 565-1

La fiche 560 détermine, entre autres, les règles applicables aux portes.

Celles-ci doivent pouvoir être ouvertes par l’intérieur et l’extérieur avec une clé commune à tous les cheminots.

A l’époque la fiche 565-1 ne précise pas que les portes de couloir ne doivent pas pouvoir être ouvertes de l’extérieur. Aujourd’hui elle le précise. Ces portes peuvent à l’époque être verrouillée mais il faut qu’elles puissent être ouvertes en cas d’urgence. En l’espèce, les crochets pouvaient être ouverts de l’intérieur par les voyageurs.

Cette fiche prévoit aussi qu’il doit y avoir un système de communication entre la voiture et le train. L’usage des téléphones portables n’est pas envisagé. Le système de communication envisagé implique qu’on ne doit pas avoir à quitter la voiture lit.

Il précise plus tard que si l’interphonie n’est pas obligatoire, la sonorisation par haut parleur l’était.

Deux autres fiches nous intéressent : les fiches 564.1 et 564.2
La 1ère concerne surtout le matériel pour casser les vitres, notamment les marteaux.

La 2e est dédiée au thème de l’incendie.

Sur la question des marteaux, la fiche 560.7.3.1.3 donne la définition des issues de secours. Cette fiche concerne surtout les wagons de voyageurs et non les wagons lits. On y explique où doivent se trouver les marteaux en fonction des sorties de secours. 3 marteaux dans le couloir et un par compartiment. Sur ce point, la présidente lui indique que les fiches semblent n’imposer qu’un marteau par wagon. L’expert, raisonnant par analogie précise : « ceci ne s’applique que quand les fenêtres peuvent être brisées à la main. Lorsque les fenêtres sont trempées, pour qu’elles puissent être appelées « issues de secours » il faut qu’il y a ait près de chacune d’elle un marteau capable de la briser. Le wagon lit ne possédait ici ni plus ni moins de marteaux que l’imposait l’UIC ». En revanche, ils n’étaient pas suffisamment visibles.

Me CHEMLA au regard de ces explications pointe aujourd’hui encore du doigt le fait que, le faible niveau d’exigence des fiches en ce qui concerne les véhicules antérieurs à leurs rédaction permet d’accorder le label « RIC » à des voitures pourtant par définition non conforme.

Sur question de la Présidente, M. MAESTRINI précise que, contrairement à ce que l’on pourrait croire après première lecture l’accord « à huit » n’empêche pas tout contrôle. La vérification des freins par exemple est obligatoire, tout comme la ronde de sécurité.

En revanche il est vrai que la vérification technique du véhicule qui permet entre autre de déterminer s’il y a un nombre suffisant de marteaux n’est plus obligatoire si le véhicule est siglé RIC.

Lors de la ronde de sécurité, seuls les manquements graves doivent être notés. M. MAESTRINI donne l’exemple de l’absence d’un extincteur.

Pour M. Selig (DB) qui vient répondre aux explications de M. MAESTRINI, l’absence de haut parleur n’est pas un problème puisque la présence du steward est censée la pallier. On apprend pour la première fois que le steward est censé donner des consignes de sécurité à l’arrivée des passagers… Une donnée nouvelle dans ce procès.

M. JANZ explique que conformément à cette règle, il a indiqué aux
passagers par gestes comment fermer leurs portes. On avait presque oublié qu’à cette période le mot « sécurité » avait un tout autre sens… Pour donner ces consignes de sécurité, il était normalement exigé du steward qu’il parle anglais, allemand et la langue du pays dans lequel il allait. La DB Autozug à qui appartient le wagon a fait confiance à la DB european rail service quant aux qualités linguistiques du personnel engagé, sans le vérifier en l’espèce…

« Le drame ne serait pas ce qu’il a été si M. JANZ n’avait pas reçu cette formation surréaliste » note Me LAFARGE. En plus de conseiller à l’accompagnateur de souffler, de se détendre ou de boire un peu, la formation précise qu’en l’absence de haut parleur, l’accompagnateur doit aller dans la voiture sonorisée et alerter sur son passage les autres personnels qui sont invités à intervenir.

Quant aux marteaux, ils étaient en surnombre selon la DB puisque la norme ne leur en imposerait qu’un par wagon. De plus dans ce wagon étaient indiqués par un autocollant signalant en 4 langues son emplacement ce qui est selon lui conforme à l’exigence de visibilité.

L’audience d’aujourd’hui aura eu le mérite d’éclaircir beaucoup de points. De révéler de nouvelles informations aussi.

Demain, les interrogatoires divers devraient permettre, alors que la phase des plaidoiries arrive à grands pas, de démêler les quelques nœuds restant…


AUDIENCE DU 18 MARS

De façon imprévue, l’audience débute par une remarque de la président qui explique avoir entendu dire (peut être la veille après un emportement d’un avocat de la défense) qu’elle cherchait à piéger les prévenus en les amenant à répondre à des questions d’expert.

Elle explique trouver le propos particulièrement outrageant et invite les parties à montrer davantage de respect dans leurs interrogatoires des témoins et des parties.

Nous passons dans une ambiance un peu tendue à l’interrogatoire de Wolker JANZ par les parties.

JANZ

Il réaffirme avoir fermé l’imposte de la cuisine après avoir vainement cherché à éteindre le feu avec un pot. Suite à cet échec, il n’a pensé qu’à prévenir le chef de train, oubliant l’extincteur. Il reconnait que sa formation l’incitait à utiliser cet extincteur mais elle a été minime et théorique, précise-t-il, sans manipulation de l’appareil, ni par les formés, ni par le formateur. Il n’a pas pensé non plus à réveiller les passagers.

Une attitude qu’il lui parait logique d’adopter aujourd’hui mais qui, à l’époque, a été occultée par son « obsession » qui était de faire arrêter le train. Le signal d’alarme devait être utilisé avec discernement c’est pourquoi il ne l’a pas tiré.

Selon lui M. ANDRIES, son supérieur de l’époque qui l’inspectait parfois pendant les trajets n’a jamais rien trouvé à redire à la pratique qui consistait à disposer ses vêtements comme il l’avait fait.
Il s’étonne des déclarations de MM BERVILLE et BOESCH qui situent l’arrêt du train plus tôt que lui ne le fait.

Il se demande si certains de ses dires dans des dépositions qu’on lui oppose n’ont pas été mal retranscrits.

Il répète qu’il ne savait pas où trouver les contrôleurs français quand il les a cherchés.

Il n’a rien d’autre à ajouter…

LA SNCF

Il reste un peu de temps avant la suspension de mi-journée. Quelques questions sont donc posées à M. AUTRUFFE représentant la SNCF.

Il est interrogé sur le briefing qui, d’après un document émanant de la SNCF même, doit être réalisé 50 minutes avant le départ du train et qui ne l’a pas été ce soir là. M. AUTRUFFE précise alors que ce document, élaboré dans les années 2000, visait à répondre à un déficit de fréquentation des wagons lits. Il avait à l’époque été décidé de mener une démarche qualité et en ce sens il ne s’agissait pas de prescriptions de sécurités mais uniquement d’une démarche commerciale visant à améliorer la qualité du service. En ce qui concerne la sécurité, dit-il, « chacun a ses responsabilités ». La mission principale des ASCT est une mission commerciale. Il ne leur appartient donc pas de vérifier la conformité des wagons aux normes malgré leurs 21 semaines de formation à la sécurité.

Pour lui, l’absence de moyens de communication n’est pas une « faille ».

Certes les choses ont évolué du fait de ce tragique incident mais en 2002, le signal d’alarme était le moyen de communication privilégié. M. JANZ aurait de plus dû savoir où se trouvaient les contrôleurs français puisque, voyageant sur ces convois depuis un an environ il devait connaître les habitudes de travail. Il souligne aussi que la voiture 120 n’était pas équipée de hauts parleurs ou d’interphone et donc que, même si les systèmes de câblage avaient pu relier les voitures, il aurait été impossible d’émettre depuis la voiture où d’y faire passer un quelconque message. De même, même si la voiture 120 avait été positionnée en queue de convoi comme cela était prévu à l’origine, la distance que devait parcourir l’accompagnateur allemand pour atteindre le combiné destiné à contacter le conducteur (voiture 112) aurait été la même.

Pour lui, M. JANZ à qui l’on ne demande pas de connaitre la topographie des lieux se trouvait ce jour là dans la même situation que n’importe quel autre passager quant à l’utilisation du signal d’alarme qu’il aurait dû tirer sans se poser de questions. Car, contrairement aux simples passagers, il avait la spécificité d’être le seul à être éveillé.

L’activation du signal d’alarme reste le leitmotiv de la SNCF. Interrogé à plusieurs reprises sur le point de savoir si cette seule possibilité n’était pas insuffisante, le représentant affirme que désormais d’autres moyens ont été mis en place.

« Dimanche dernier j’ai pris un TGV et j’ai demandé à la personne qui contrôlait comment on faisait pour contacter par téléphone la locomotive. Elle m’a répondu que le système ne fonctionnait pas toujours mais qu’elle avait sur elle le numéro personnel du conducteur. Cela vous paraît-il choquant » interroge un avocat ? Le conducteur n’est pas censé répondre à son téléphone personnel quand il conduit, répond M. AUTRUFFE. Quand il y a un problème urgent, en cas de défaillance des autres moyens disponibles « il y a le signal d’alarme » répète-t-il. Dont acte…

BEA TT

L’après midi, M. KOENIG du BEATT (Bureau d’Enquête sur les Accidents de Transport Terrestre), nous présente le résultat de ses enquêtes. Demandée à l’époque par le ministère des transports au conseil régional des ponts et chaussées, l’enquête a abouti à un rapport définitif en 2004 [1] , disponible sur internet, qui a par la suite convaincu le ministère public de demander la
mise en examen de la SNCF, ce qui a été fait.

M. KOENIG précise que l’objectif du BEA-TT n’est pas de mettre en cause des responsabilités. Il recherche les causes de l’accident et formule des recommandations afin d’éviter que cela ne se reproduise.
Dès le départ, le BEA-TT constate les mesures prises par la SNCF :
- le retrait provisoire des voitures lit similaires à la voiture sinistrée.
- le renforcement des consignes de sécurité.
- la mise à l’étude de nouvelles mesures de sécurité.
- le contrôle de l’absence de fermetures non autorisées.

Dans cette affaire ses conclusions sont les suivantes :
- La cause directe est l’utilisation non conforme de la plaque chauffante. L’allumage de la plaque reste non expliquée.
- les autres facteurs sont :
- Le faible niveau de formation de l’accompagnateur
- Les conditions de communication
- Les moyens de fermeture des portes
- La vulnérabilité au feu de la voiture (les matériaux utilisés et le manque d’équipement à bord)
- L’ergonomie des issues de secours (la perception de la présence des marteaux en particulier).
De là, il conseille des mesures préventives diverses en huit points :
1) Sur le rôle du personnel de bord
- Le renforcement de la formation des accompagnateurs.
- La nécessité d’une rencontre entre le chef de train et les accompagnateurs pour donner toutes consignes utiles.
- Des connaissances linguistiques nécessaires sur les transports internationaux.
2) Sur la fermeture des portes
- De supprimer les obstacles à l’évacuation des voyageurs.
- De supprimer les obstacles à l’accès des secours.
- D’engager une réflexion sur le traitement du couple sureté/sécurité.
3) Sur les dispositifs d’alerte des voyageurs, d’extinction du feu et d’évacuation
- De vérifier, pour la SNCF, la conformité de toutes les voitures aux fiches UIC.
- D’exclure les voitures n’ayant pas une issue de secours par compartiment.
- D’effectuer un audit de l’ergonomie des issues de secours.
- De prévoir de généraliser les détecteurs de fumée.
4) Sur le cloisonnement et la ventilation
- D’associer à la détection incendie un dispositif de mise en sécurité de la ventilation.
5) Sur le comportement au feu des matériaux
- De soumettre les voitures places couchées à un audit de vulnérabilité au feu selon fiche UIC.
- De fixer des exigences pour les voitures anciennes.
6) Sur les équipements et matériel électriques
- De remplacer la plaque électrique par un appareil moins dangereux
- de préciser et renforcer les exigences applicables en matière de matériel électrique de restauration.
7) Sur les moyens de communication à bord du train
- D’assurer l’interphonie dans toutes les voitures à places couchées.
- A terme, de prévoir un système fiable de liaison de bord (en cours de réalisation).
8) Sur l’acceptation de matériel roulant d’autres exploitant
- De procéder à des contrôles en cas de raison de penser à une non-conformité
- De maintenir le retrait des voitures identiques à la voiture sinistrée
- De veiller à la lisibilité des futures prescriptions en matière de sécurité.
Il précise par la suite, lors des séances de questions que selon lui la lecture des normes UIC (Union Internationale des Chemins de fer ) n’est pas aisée.

Il faut préciser que les fiches de l’UIC sont rédigées sur la base d’une association de volontaires de réseaux, en partie par des exploitants. Cet association est renforcée par un accord « à huit » (devenu accord « à dix » aujourd’hui) dans lequel chacun des cosignataires s’engage à respecter les fiches UIC et à accepter sur la base d’une confiance mutuelle, les véhicules des autres signataires sans aucun contrôle.

Dans le cadre de la rédaction des fiches UIC, chacun essaye de « tirer son épingle du jeu » aux dires du témoin, et beaucoup de normes sont à ce titre assorties d’exemptions. En particulier, certaines fiches, dont celles sur les wagons lit de 1982, ne concerne de façon obligatoire que ceux construits par la suite. Les anciens, dont celui qui occupe toute notre attention, et qui fut construit en 1964, ne sont concernés qu’à titre de recommandation. Une aberration pour le témoin qui estime que sur certains points (la fermeture des portes par exemple) la mise en conformité est aisément envisageable. De là, fait remarquer Me CHEMLA, on arrive à une situation dans laquelle, face à du matériel que l’on sait obsolète, et non tenu au respect des normes UIC, on présumera de la conformité pour des raisons économiques. Le témoin, ingénieur responsable du BEA, approuve…

Le sigle « RIC » (Règlementation Internationale des Chemins de fer), qui justifie de la conformité des voitures aux fiches UIC, est apposé sur les voitures est délivré par des organismes indépendants. Mais comme le souligne M.KOENIG, certains critères doivent être vérifiés au quotidien.

L’accord RIC, prévoit le cas dans lequel un matériel serait incompatible avec les normes UIC. Dans ce cas, le matériel peut être refusé. Mais, selon M. KOENIG, la pratique est de fermer les yeux pour éviter une forme de « représailles » de la part du réseau cosignataire.

Il existe par ailleurs des sanctions au manquement qui sont l’avertissement, la demande de mise en conformité ou la suspension d’autorisation du matériel. Mais les personnes qui sanctionnent sont celles qui édictent ces normes.

Toute l’ambigüité réside d’ailleurs dans l’utilisation du terme « norme » car le Tribunal à l’intention de se demander si l’absence de respect de ces prescriptions est de nature à caractériser le manquement nécessaire à la mise en œuvre de la responsabilité pénale de la SNCF dans cet accident. La Présidente semble penser que ces textes n’ant pas véritablement un caractère « règlementaire » au sens que lui donne le Code pénal… Elle se reprend en mettant en avant la question de la prudence de l’exploitant…

M. KOENIG souligne aussi l’importance pour lui de pouvoir se parler entre professionnels à bord du train lors d’une difficulté pour pouvoir expliquer la nature de celle-ci. Le signal d’alarme est selon lui un système « pauvre », insuffisant. Il mentionne l’utilisation des téléphones portables (écartée le matin par le représentant de la SNCF…)

M. KOENIG aborde aussi dans son rapport le comportement de M. JANZ, selon lui cohérent compte tenu des souvenirs qu’il pouvait avoir de sa formation. Pour donner des responsabilités il faut aussi donner des moyens pour les assumer. En l’espèce la formation de M. JANZ était manifestement insuffisante. Cette formation a même peut-être néfaste compte tenu que la recommandation d’alerter le « chef de train » semble avoir chez lui occulté le comportement qu’il aurait peut-être adopté sans formation du tout ; à savoir tirer le signal d’alarme comme aurait pu le faire un passager lambda. Il estime qu’en termes de prévention, le comportement humain est un facteur essentiel à prendre en compte.

Il tient tout de même à répéter qu’il n’est pas là pour déterminer les responsabilités. Que ses recommandations n’ont que cette valeur et qu’il n’a pas à commenter le fait qu’elles ont été utilisées, en particulier, pour mettre en cause la SNCF.

Alors qu’on lui redonne la parole pour qu’il puisse répondre, M. AUTRUFFE, approuvé sur ce point par M. KOENIG, précise qu’il n’y a pas de « chef de train » à la SNCF et que, en termes de sécurité, chacun a ses propres responsabilités. L’agent titulaire n’est là que pour « coordonner » les actions.

« Ne serait-ce donc pas un problème culturel ? » demande Me CHEMLA qui constate que l’accompagnateur, au contraire, semblait avoir pour consigne de chercher « un chef ». Ni le témoin, ni personne d’autre ne semble en douter. Et pour cause…

Lundi, nous entendrons à nouveaux des experts, pour nous parler du point plus spécifique du respect des normes : M. MAESTRINI, expert mandaté par le conseil de la DB et M. KLENIEWSKI, expert judiciaire, qui fera son retour dans ce procès, avec, on l’espère, des réponses précises et argumentées cette fois…


AUDIENCE DU 17 MARS

Ce matin devaient témoigner MM BERVILLE, BOESCH et HOLTENBACH, contrôleurs et conducteur de la SNCF présent dans le train « Paris-Munich » le jour du drame. Le nombre et la précision des questions feront que M. HOLTERBACH ne sera entendu que l’après midi.

MM BERVILLE et BOESCH ont quasiment le même souvenir des évènements. Ce jour là, M. BERVILLE, en tant que chef des contrôleurs, était à bord du train pour évaluer le travail de M. BOESCH. Ils ont passé presque l’intégralité du voyage ensemble. Après le départ (« à l’heure ») du train, et après avoir fait leur « ronde de sécurité » ils ont commencé à procéder au contrôle. D’abord les voitures places assises puis les voitures-couchettes et enfin les voitures-lit. Arrivé à la voiture 120, l’accompagnateur a présenté les billets et n’a fait remarquer comme problème que le fait que la température de son wagon était un peu basse et le voyant qui correspondait un peu faible.

Les agents SNCF ne pouvant rien faire quittent le wagon après avoir entendu M. JANZ leur expliquer comment le contacter après qu’il aura verrouillé les portes. Arrivés en Gare de Nancy, alors qu’ils venaient juste de parler de sécurité incendie, ils ont entendu des pas sourds dans le couloir [2]. Pensant à un pickpocket, M. BOESCH sort pour le rattraper.

M. BOESCH explique qu’il court difficilement entre les passagers qui dorment en travers du couloir et les curieux qui se sont levés au passage de l’accompagnateur allemand. Il le reconnait très vite mais M. JANZ a alors « une voiture d’avance ». Ce n’est qu’en voiture 112 qu’il réussit à le « choper » par derrière et à le retourner. Il est rouge et a quelques cheveux « un peu frisés » Il lui dit (en allemand, langue que M. BOESCH comprend) « y’a le feu dans ma voiture, les gens vont mourir je ne peux plus y retourner ». A ce moment là le train s’arrête affirme M. BOESCH et ils repartent tous les deux en sens inverse.

La plateforme de la 120 n’est plus accessible et des flammes commencent à lécher la voiture 118. Les contrôleurs font évacuer cette voiture.

M. BERVILLE, après le départ de M. BOESCH sort lui aussi sorti du compartiment en direction de la queue du train pour aller à la rencontre de son collègue. Le train s’est entre temps arrêté. Arrivé dans la voiture 115, il aperçoit MM JANZ et BOESCH qui viennent vers lui, aux gestes de M. JANZ et à ses cris « feuer », il comprend le problème et fait demi-tour. L’accès à la voiture 120 est impossible. Il s’occupe des voitures suivantes.

Il est ensuite décidé de les décrocher des voitures en feu (la 120 et la 118).
Les questions s’articulent autour de trois axes :
- le contenu du « contrôle de sécurité » dont parlent les agents.
- l’importance du briefing de sécurité qui est censé avoir lieu 50 minutes avant le départ du train
- la question de l’interphonie entre les wagons

En ce qui concerne la ronde de sécurité les agents sont catégoriques : il ne s’agit pas de faire de la sécurité incendie mais uniquement de la sécurité de circulation (fermeture des portes en particulier). L’absence d’un extincteur ou d’un marteau brise vitre (et même de tous les marteaux brise vitre comme le fait préciser Madame la Présidente) n’empêche pas le train de repartir. On le note simplement dans un rapport pour qu’il y soit remédié au plus vite.

Le briefing de sécurité n’avait quasiment jamais lieu à l’époque des faits. C’est à peine si les différents agents qui allaient travailler à bord se rencontraient avant le départ du train. Ce jour là M. BERVILLE a aperçu M. JANZ sur le quai et ils ont parlé du nombre de passagers mais rien de plus. Ils n’ont pas échangé leur numéro de téléphone. M. BERVILLE et BOESCH n’ont pas indiqué à M. JANZ où ils se trouveraient pour la suite du voyage mais selon eux il était censé le savoir car les contrôleurs se mettent toujours au même endroit.

L’interphonie, selon eux n’était pas obligatoire à l’époque. M. BOESCH a fait un essai en appelant le conducteur depuis la voiture 112, seule équipée du convoi. Il s’est révélé infructueux. Mais cela n’empêche pas le départ du train puisque la phonie n’est pas obligatoire [3] ; cela n’a pas posé de difficultés particulières. Les témoins ajoutent que quoi qu’il en soit, la voiture 120 n’était pas équipée de hauts parleurs.

Malgré les apparences le débat n’est pas resté simple. Si les agents SNCF ont su relater avec sang froid leurs souvenirs. Les enjeux soulevés par les réponses et les questions ont empêché parfois que tout se déroule sereinement.

Aussi paraît-il inadmissible sous un certain point de vue que personne ne se soit préoccupé de savoir si, au-delà des évidences due à l’habitude, l’accompagnateur allemand qui avait lui indiqué comment le contacter, savait effectivement où trouver MM BERVILLE et BOESCH. Une question à ce point sensible que face à l’insistance prononcée d’un avocat qui fait remarquer avec véhémence, voir agressivité à M. BERVILLE que cette situation était anormale, la Présidente intervient essaye de raisonner l’avocat qui s’obstine, puis quitte la salle d’audience.
HOLTERBACH

En début d’après midi puisque nous avions manqué de temps pour l’entendre dans la matinée come prévu, c’est M. HOLTERBACH qui est venu déposer.

Il se souvient que, comme à son habitude, dans les endroits opportuns, il a pris le temps de regarder par la fenêtre pour voir si tout allait bien pour le reste des wagons (la locomotive, vieille de 40 ans ne lui offre pas d’autre moyen de le faire).

Pourtant cette nuit-là c’est l’appel d’un de ses collègues par la radio « sol-train » qui l’avertit du dégagement de fumée vers 2h10. Il aperçoit alors effectivement un dégagement de fumée par le bas de la partie arrière gauche de la première voiture. Pensant à un « frein serré » incident bénin et courant, il envisage de s’arrêter dans un endroit propice à l’intervention des secours « au cas où ce soit plus grave ».

Deux évènements s’enchainent alors : une coupure de tension puis un freinage qui l’empêche d’atteindre l’endroit prévu. Alors qu’il commence à descendre de la locomotive, côté droit du convoi, il aperçoit une fenêtre qui éclate et des flammes qui en sortent à l’arrière du premier wagon, il remonte dans sa machine pour demander la protection des voies, l’envoi de secours et s’empare d’un extincteur. Il essaie d’ouvrir la porte arrière du wagon en feu avec sa clé de berne mais n’y parvient pas. C’est alors qu’il aperçoit des visages – dont des visages d’enfant – collés aux vitres, en train d’étouffer. Il se souvient d’un homme qui a réussi à faire un trou dans la sienne et crie « hilfe ! hilfe ! ».

Il essaie alors de casser les vitres avec son extincteur mais sa position ne lui permet pas d’agir efficacement. Il remonte dans la locomotive pour chercher un instrument plus pratique, il trouve une grande clé – qu’il nous présente à l’audience – qu’il pense être suffisante pour faire tomber les vitres. Il se rend malheureusement compte qu’avec plusieurs coup il ne fait qu’une ouverture « de la taille d’une orange », insuffisamment grande pour faire passer une personne. Il prend alors la décision suivante : plutôt que de s’acharner sur une seule vitre, il met trois coups dans chaque vitre intacte qu’il croise, pour que cela puisse au moins – pense-t-il – renouveler un peu l’air, pour « donner la même chance à tout le monde ».

Derrière lui, il entend quelqu’un crier en allemand « À l’aide ! A l’aide ! Mes gens vont mourir, sortez des voitures ».

L’air près du wagon devient vite irrespirable. Il doit s’éloigner. Il part alors à la rencontre d’un des contrôleurs présents. Ensembles, ils décident de séparer la partie du convoi intacte de celle qui est prise par les flammes et la fumée. Après quelques autres manipulations pour permettre une intervention sans risque dans le wagon sinistré, le conducteur laisse les pompiers et la police faire leur travail.

Visiblement ému par les souvenirs qui lui reviennent, c’est les larmes dans la voix qu’il ajoute avec un discret accent alsacien : « En tant que conducteur, j’ai l’honneur et le privilège de transporter des gens. C’est une lourde responsabilité de faire en sorte que les trains arrivent sans encombre à destination. Notre priorité à la SNCF c’est la sécurité de la circulation et des personnes ; mais en ce domaine rien n’est jamais acquis.

Nous agissons avec professionnalisme et sang froid. Depuis ce jour où le pire est arrivé, je me demande pourquoi.

Ce jour là, la chaine de la sécurité avait un maillon faible. A leurs familles, je voudrais dire que le conducteur qui a vu le dernier regard des victimes et a tout fait pour les sauver ne les oubliera jamais. »

Interrogé sur le problème de l’interphonie défaillante, il assure que ce système n’était à l’époque pas obligatoire. Il estime que si l’on a des moyens supplémentaires c’est mieux, mais qu’en l’espèce il fallait faire avec les moyens présents, entre autre en actionnant le signal d’alarme.
Pour lui, le maillon faible de la chaine de sécurité fût cette nuit là l’accompagnateur allemand : « Je pense que si tous les professionnels du train avaient eu un minimum de civisme on ne serait pas là. Je pense que
M. JANZ a eu un comportement indigne. J’ai lu qu’il n’avait eu qu’une seule journée de formation, cela explique son comportement anti professionnel. Je pense que tout adulte doit porter secours à son prochain, il aurait dû frapper aux portes et ouvrir la porte avec sa clé. »

Pour M. HOLTERBACH, M. JANZ est resté en retrait à crier et n’a pas porté secours aux victimes. La Procureure essaie de mettre alors les choses au clair en lui soumettant le témoignage de M. GREFFET qui affirme avoir vu l’accompagnateur s’exposer « plus que quiconque » aux fumées pour prévenir les personnes restées à l’intérieur. « Pensez vous que M. GREFFET a confondu M. JANZ avec vous ? ». Une question qui ne plait visiblement pas à Me LAFARGE dont la défense semble s’appuyer en grande partie sur ce témoignage.

Pour le conducteur il ne fait aucun doute que M. JANZ est resté en retrait ; il ne l’a pas vu à ses côtés.

JANZ

C’est ensuite au tour de M. JANZ de s’expliquer sur le départ de l’incendie, à partir du moment où MM BERVILLE et BOESCH l’ont laissé seul.
Interrogé sur ce point, il précise que préalablement au départ du train, il a posé ses affaires sur la plaque électrique et ses vestes sur ce qu’il dit être une patère située au dessus de la plaque. Les placards prévus à cet effet sont pleins, précise-t-il, et de toute manière trop petits, d’où l’habitude qu’on prise lui et ses collègues de mettre leurs effets personnels à ces endroits.

Il accueille ensuite ses passagers, sert quelques boissons (froides) et de la nourriture à ceux qui en commandent, fait son inventaire (c’est à cette occasion qu’il aperçoit un gros « pot » dans le placard). Il vérifie si les portes sont bien fermées, et si les crochets sont en place. Il s’installe ensuite sur son fauteuil, en attendant le contrôleur, M. BOESCH, qu’il a une première fois croisé sur le quai. Quand celui-ci arrive accompagné de M. BERVILLE, il leur présente les billets des passagers et leur fait remarquer que la température est un peu basse. Les agents français ne peuvent rien faire et repartent. Il refait alors un inventaire et s’installe sur son siège où il « somnole » « c’est-à-dire – précise-t-il – que je n’étais ni vraiment endormi ni vraiment réveillé, je pensais, j’ouvrais les yeux, je les fermais, … ».

A un moment, son regard est attiré par une « lueur vacillante », comme le tube d’un néon défectueux, qu’il aperçoit par la grille en bas de la porte. Il ouvre la porte et aperçoit son uniforme en train de bruler par le haut, à la hauteur du cintre. Il essaie alors d’attraper le « pot » qu’il a vu lors de son inventaire, la chaleur en hauteur est forte, il se brule les cheveux, il pousse alors l’imposte de la fenêtre avec sa main gauche, se brûle la main et ressort en fermant la porte.

Il est catégorique face aux questions : seule la lueur l’a interpellé et contrairement à ce qui est inscrit dans ses auditions, il affirme ne pas avoir vu de fumée ni senti d’odeur particulière. Des détails que l’on sait importants pour déterminer le moment de l’embrasement…

Il n’a alors plus qu’une seule idée en tête : aller chercher le chef de train, une idée qui va alors « occulter » toute les autres, il ne pense ni à utiliser l’extincteur, ni à prévenir les passagers. « Aujourd’hui c’est ce que je ferais affirme-t-il ».

Il sort en courant et traverse les wagons mais ne voit personne. Arrivé dans ce qu’il pense être la voiture 115 il voit M. BOESCH arriver à sa rencontre (détail dont il avoue ne pas être certain, au regard des témoignages des agents SNCF affirmant qu’il a fallu lui courir après pour ne le rattraper qu’en voiture 112). Il informe alors le contrôleur de l’incendie et repart en courant en sens inverse. Il entre alors dans la voiture 120 mais ne fait que deux pas avant de devoir ressortir, intoxiqué. C’est alors qu’il reprend son souffle que le train s’arrête.

Dans cette partie du récit, deux détails capitaux intriguent :
- Le fait que M. JANZ affirme avoir réussi à pénétrer dans le wagon 120 alors que les témoins et les expertises affirment que cela était impossible.
- Le fait qu’il situe l’arrêt du train à ce moment là alors que les témoignages le situent au moment où M. BOESCH le rattrape dans la 112 et en tout cas avant qu’il ne revienne dans la 120.
- « Le problème de votre récit c’est que pour le retenir il faut considérer que tous les autres témoins se trompent et que les expertises aussi. » remarque la Présidente.

M. JANZ, à qui l’on donne lecture de divers témoignages et de ses propres dires qui vont dans le sens contraire, ne reviendra pourtant pas sur sa version. Pourtant, dans le laps de temps où il affirme être resté dans le wagon (4 ou 5 secondes) il ne voit ni n’entend personne. Il ne voit pas non plus de flammes.

« Votre version se heurte à la logique » ajoute la Présidente alors que M. JANZ continue à affirmer avoir fermé la porte de la cuisine malgré les constatations des experts sur ce point.

Il saute ensuite sur le ballast, et court le long du train. Avec Madame MERCIER il essaye de casser des carreaux avec des cailloux et aide même un passager à descendre du train par la fenêtre. Les secours étant arrivés, il est allé attendre près d’un mur avant d’être conduit à l’hôpital.
Pour résumer, M. JANZ a aujourd’hui donné une version contraire à la plupart des témoignages et qui ne colle pas aux expertises. Il a pourtant reconnu sur certains points avoir pu se tromper mais continue à être catégorique sur des faits contesté par plusieurs autres éléments du dossier…

Il est 20h. Après proposition en ce sens de Me BEHR, M. JANZ qui se dit cardiaque accepte que l’on repousse les questions des parties au lendemain. Nul doute qu’avec un tel récit, elles seront nombreuses et demanderont alors toute l’attention des acteurs de ce procès…


AUDIENCE DU 16 MARS

Ce troisième jour de procès est placé sous le signe de l’expertise.
Nous entendrons l’expert KLENIEWSKI mandaté dès le jour de l’accident par le juge d’instruction et M. HEYN, expert privé allemand mandaté par la DB.

L’enjeu de cette journée est capital. La Présidente donne le la : pour condamner il faut des certitudes, non des hypothèses.
Au risque de laisser passer la justice après un incendie dont les témoins essentiels ne sont plus ?

Tout est une question de minutes », de secondes même ; et les experts n’auront sans doute pas particulièrement apprécié d’être rudement questionnés sur les points très précis à propos du départ et de la propagation du feu, abordés aujourd’hui.

Ce matin c’est M. KLENIEWSKI qui entame sa présentation par un PowerPoint détaillé.

Il explique comment, accompagné de l’expert M. RICETTI et du policier M. PESSON, il a répondu aux points de sa mission qui étaient de :

- déterminer les causes du sinistre,
- rechercher la présence de substance toxiques ou inflammables
- rechercher les causes techniques qui expliquent pourquoi tous les occupants n’ont pas pu fuir
- et effectuer tous les prélèvements nécessaires à la manifestation de la vérité.

Pour l’expert les choses sont simples :

Il souligne que l’absence de produits inflammables tels que des liquides explosifs permet d’exclure l’hypothèse d’un attentat terroriste.

La cause de l’incendie est la plaque électrique qui, restée allumée en position 3 et a enflammé le sac que M. JANZ avait posé dessus et ses habits qui la surplombaient.

De ce sac et de ces habits pourtant il ne reste rien comme l’indique plus tard l’expert à la Présidente qui s’en étonne. « Il ne restait que des cendres, s’il y a avait eu des débris je les aurais analysés bien sûr, c’est ma passion ! » s’explique-t-il.

Pourtant, si rien ne figure dans les scellés, le rapport de M. KLENIEWSKI fait bien état de vêtements (une manche) sur la plaque au moment des premières constatations remarque Me LAFARGE, au moment des questions.

Visiblement ennuyé M. KLENIEWSKI demande à pouvoir consulter son rapport avant de pouvoir répondre à la question de savoir où sont passé ces échantillons. Demande qu’il formulera chaque fois qu’il sera en difficulté par la suite. « Je veux des réponses maintenant M. KLENIEWSKI ! On a tous 20kg de dossiers mais on a tous bossé pour cette audience. » « Votre rendez vous avec la justice c’est aujourd’hui ! » continue le conseil de M. JANZ.

Les causes techniques qui ont empêché la fuite de tous les occupants du wagon sont selon M. KLENIEWSKI multiples. Ces causes, n’étant pas le propos du débat d’aujourd’hui car elles seront étudiées la semaine prochaines n’ont pas été approfondies. L’expert les présente tout de même dans son introduction :
- La non-conformité des crochets sur les portes de voies qui ont obligé les pompiers à forcer la porte ce qui a retardé les secours.
- la présence de portes vitrées dans les compartiments au lieu de simples judas aurait permis selon lui de voir les fumées et aurait dissuadé les victimes d’ouvrir les portes.
- La présence de poignées brise vitres non conformes.
- L’absence d’un deuxième extincteur derrière le siège de l’accompagnateur.

Pour lui, l’incendie a été mortel en deux à quatre minutes. Son schéma de propagation en quatre étapes se présente ainsi :

Le feu se déclare dans la kitchenette : à ce moment, on a le temps d’intervenir.

Le feu se propage dans toute la kitchenette et la fenêtre éclate sous cette action : M. JANZ n’a pas pu pénétrer à ce moment là, il aurait été intoxiqué.
Appel d’air du couloir, le feu se propage dans couloir.

Le feu a tout envahi, il est impossible de pénétrer dans couloir sous peine d’intoxication foudroyante.

L’arbre des causes de M. KLENIEWSKI, projeté sur écran révèle alors que celles-ci sont nombreuses et émanent tant de l’accompagnateur, M. JANZ, qui a commis des « fautes humaines », de la DB responsable de fautes techniques dans la mise aux normes du wagon.

Il en arrive à une conclusion en trois points :
- Il y a eu une faute humaine. Mais pour l’éviter il aurait fallu une formation adaptée et la présence de pictogrammes pour indiquer la marche à suivre en pareille situation.
- Il y a eu une impossibilité d’évacuation rapide, due à la non-conformité des installations aux règles de sécurité.
- La rapidité de la propagation du feu et des émanations de gaz toxiques révèle l’inadéquation des matériaux utilisés.

En revanche son rapport ne conclue à aucune faute de la SNCF… … Un point qui, comme auprès de M. PESSON, soulève débat.

Car le temps le plus rude pour M. KLENIEWSKI est celui des questions.

Malmené par l’ensemble des avocats il lui est demandé de s’expliquer, non seulement sur le scellé mystère, mais aussi sur plusieurs points de son expertise qui paraissent flou ou douteux. L’invocation de son « flair » n’aura pas paru être une explication suffisante à Me LAFARGE « Vous êtes expert, pas chien policier ! ».

L’expert fait une confusion entre la voiture 118 et la voiture témoin de la DB en s’expliquant sur les points de comparaison qu’il a du faire.

On doit ensuite faire appel à M. JANZ pour préciser à quoi ressemblait l’armoire électrique qui était présente dans son wagon, l’expert ne s’en souvenant plus.

Mais surtout, M. KLENIEWSKI comme M. PESSON aura subi les foudres de la défense lorsqu’il doit s’expliquer sur la présence, au cours de toutes les réunions d’expertises d’agents de la SNCF. Me ROBINET qui assiste la compagnie aura bien tenté de faire apparaitre que les expertises se déroulant dans ses locaux, il était normal que certains membres de son personnel soient aussi présents, on ne peut s’empêcher d’être insatisfait par l’explication.

Il y avait en réalité à un moment donné MM BLERVILLE et BOESCH, témoins ; et à d’autres des cadres de l’entreprise, entre autre le directeur juridique et les personnes en charge de la sécurité incendie. Face à M. KLENIEWSKI qui indique ne pas les avoir invités la défense s’exclame « C’est l’open expertise ! Tout le monde peut venir ! ».

- « Je suis expert judiciaire et chevalier de la Légion d’Honneur, je ne me permettrais pas de mentir » répond l’expert, qui comprend que l’avocat met en doute la teneur de ses conclusions aboutissant à l’absence de mise en cause de la société française.

Sur le point plus technique de la propagation du feu enfin, les débats se concentrent autour de l’heure exacte à laquelle a eu lieu le flash over. Le flash over pour le définir est l’étincelle qui permet d’embraser tout l’environnement proche du départ du feu.

Il est censé d’après l’expert faire exploser les vitres (en ce qui nous concerne, la vitre de la kitchenette donc). Or, comme le fait remarquer Me CHEMLA, un des témoignages dont nous disposons indique que la fenêtre de la kitchenette n’était pas détruite au moment de l’intervention des pompiers.

Le point en question n’est pas un détail loin de là. Car l’expert est formel : à partir du flash over, le couloir est devenu mortifère instantanément, les victimes n’avaient donc aucune chance de survie si elles sortaient de leur chambres. Elles n’avaient pas le temps de tenter d’ouvrir les portes. Pas le temps de voir que celles-ci étaient fermées. Et le lien de causalité entre le décès et la fermeture des portes n’étant pas fait, on ne pourrait pas reprocher les décès à la DB. C’est donc avec insistance que les parties civiles questionnent l’expert sur ce point central. Nous verrons par la suite que M. HEYN a dû lui aussi s’expliquer sur ce point.

Au final, il reste des doutes. M. GRUNNER, une des victimes décédées, est certainement celui que M. GREFFET a entendu crier « Raus ! » en tapant aux portes. Mais nous ne connaissons pas à ce stade l’heure précise à laquelle il l’a fait. Et si on peut aisément deviner que, alertant les autres, il a aussi tenté de se sauver lui-même. Si l’on peut imaginer qu’il a tenté d’actionner la poignée de la porte derrière laquelle on l’a retrouvé sans vie, cela semble une « hypothèse » pour la Présidente…

L’après-midi ne nous aura pas apporté plus de certitudes malheureusement.
M. HEYN, dont les propos étaient traduits par haut parleur et d’une rigueur à l’évidence plus remarquable présente lui aussi son propos par un PowerPoint. Il se pense obligé de le commencer en disant qu’il est un expert indépendant et que son expertise était objective. Il pense nous le prouver par la projection de son certificat.
Une précaution qui n’est pas de trop quand on sait que le donneur d’ordre de M. HEYN n’est autre que le conseil de la DB…
Bien sûr il n’était pas question pour le tribunal ou les parties de jeter directement la suspicion sur les conclusions de cette expertise qui conclut à la conformité des installations de la DB. Reste que vers la fin, Madame le Procureur tient à préciser cette dépendance économique et que Me CHEMLA demande à l’expert :

« Si votre rapport n’avait pas mis hors de cause un certain nombre de comportements de la DB, aurait-il été communiqué au juge ? » avant d’ajouter, en souriant, face à l’expert qui dit ne pas comprendre le sens de la question « c’est une question qui n’a pas besoin de réponse. »

L’expertise de M. HEYN répond à 3 questions :
- Quelle a été la vitesse de développement du feu et ses conséquences ?
- Quels ont été les développements de fumées et leurs conséquences ?
- Quels sauvetages de passagers étaient encore possibles et avec quels risques ?

Il faut notre que pour répondre à ses questions alors que l’enquête ne faisait que débuter, M. HEYN ne disposait que d’éléments provisoires qui ont parfois été remis en question par la suite.

Il décrit avec une remarquable précision, schéma à l’appui, la diffusion des gaz et des fumées presque à la minute près.

Il explique que pour déterminer la cause de l’incendie il a procédé par élimination. Deux sources étaient possibles : l’armoire électrique et la plaque chauffante.

Si la plaque chauffante avait été à l’origine de l’incendie, l’odeur de fumée se serait sentie plus tôt et la défection se serait traduite par de nombreuses pannes. Le feu est donc parti de la plaque électrique. Pour M. HEYN, tout s’est passé en environ dix minutes, pour lui les évènements se sont déroulés ainsi :
- 2h01 : le sac prend feu
- 2h04 / 2h06 : les fumées et gaz partent dans le faux plafond
- 2h09 : la fenêtre de la kitchenette explose ce qui fait un apport en oxygène
- 2h10 à 2h11 : des passagers ont ouvert leurs portes
- 4 signaux d’alarmes ont été tirés
- Les personnes qui ont pénétré le couloir ont très rapidement perdu connaissance.
- 2h15 : Les secours sont alertés
- 2h22 : les secours arrivent
- 2h35 : les pompiers réussissent à entrer
- 2h40 : fin de l’intervention des secours

Déroulement à la minute près, une analyse rétrospective dont il est difficile de comprendre le point de départ. Point crucial parce qu’il s’agit de déterminer quand exactement a eu lieu le flash over et donc de situer cet évènement par rapport à l’arrêt du train ce qui permettra de savoir si les passagers de la voiture 120 auraient pu être sauvés ou se sauver eux même.

Cette chronologie est vivement débattue puisque M. HEYN, s’est basé sur les déclarations des témoins pour fixer la date de la plupart des évènements, certains de ces points restent en débat.
Une question domine :quand le feu n’est-il plus maitrisable ?

L’est-il encore lorsque M. JANZ l’a découvert.

Sur ce point, après de nombreuses questions visant à préciser sa réponse, l’expert se veut formel : le feu s’est propagé très vite et était très violent. Pour maitriser le feu avec un extincteur basique, il aurait fallu s’y prendre 30 à 45 secondes tout au plus après le début de l’incendie. Vidéo de reconstitution à l’appui l’expert illustre la chose. De plus, pour lui, l’incendie pour être maîtrisé demande du temps, or les extincteurs traditionnels ne peuvent agir que pendant 15 à 20 s.

Pour lui comme pour M. KLENIEWSKI, il semble improbable que quelqu’un ait pu avoir le temps d’entrer pour éteindre cet incendie. D’autant que, comme il l’affirme, dans le cas présent, le fait que M. JANZ aperçoive depuis l’extérieur des flammes signifie que, étant donné que les premières flammes étaient cachées par une cloison, des débris incandescents étaient déjà à terre quand M. JANZ a réagit. Le feu était déjà bien avancé alors. Pour lui, M. JANZ n’a pas pu entrer à ce moment, il y aurait sans doute laissé la vie.

Enfin, interrogé sur ce point par Me CHEMLA, l’expert reconnait que la vitre côté couloir, celle située près du siège de l’accompagnateur n’a explosé qu’après l’arrêt du train car la trace du feu quis sort de la fenêtre est droite. Or il semble que celle de la cuisine n’a explosé qu’après que le train soit arrêté.


AUDIENCE DU 15 MARS

15 Mars 2011, seules deux auditions sont prévues. Mais pas des moindres. Il s’agit de M. Jean-Pierre PESSON à l’époque chargé de l’enquête, le matin et de M. Volker JANZ, l’après midi.

M Jean Pierre PESSON, enquêteur responsable du SRPJ
Le matin, c’est M. Jean-Pierre PESSON qui nous dévoile sa vision du déroulement des faits, après avoir mené l’enquête pendant deux ans. Visiblement préparé, il lit à la barre un document dans lequel il relate de façon précise les investigations menées et les conclusions tirées par les enquêteurs.

Il raconte le départ du train de Paris, le contrôle par MM BERVILLE et BOESCH du wagon dans lequel se trouve M. JANZ et puis les bruits de « pas lourd » qu’ils entendent quelques instants plus tard. Pensant à un pickpocket, M. BOESCH se lance à sa poursuite et le rattrape plusieurs voitures plus loin, dans le wagon 112. Il s’agit du steward, affolé. Il a les cheveux brûlés et le visage bruni, il dit que son wagon est en feu. A ce moment là, indique M. PESSON, « les voyageurs de la 120 sont pris au piège ». Plus tard, M. BOESCH voit M. JANZ s’éloigner rapidement du train pour aller s’abriter sur le quai d’où il crie qu’il faut vite éteindre le feu.
M. PESSON relate ensuite les quatre auditions de M. JANZ, qui font selon lui apparaître les « mensonges » de ce dernier.

Lors de sa première audition, le lendemain matin du drame M. JANZ raconte que vers 1h du matin, les contrôleurs de la SNCF sont passés afin de contrôler les billets des voyageurs. Il s’allonge ensuite sur son siège. Il s’assoupit et est ensuite alerté par une odeur de brulé. Il voit alors une lueur, ouvre la porte de la cuisine et aperçoit ses vêtements, qu’il avait accrochés sur une « patère » à gauche de la porte d’entrée, sont en feu. Il cherche alors à éteindre les flammes avec de l’eau mais ses cheveux prennent feu. Il ferme la porte et part chercher le chef du train. A son retour, il ne peut plus accéder à sa voiture à cause de la fumée qui s’échappe quand il tente d’ouvrir les portes.

M. JANZ explique qu’en pareille situation on lui a appris qu’il fallait essayer d’éteindre le feu et prévenir le chef du train. L’extincteur n’est pas accessible à cause de la fumée qui a envahit le wagon. Il affirme que c’était le rôle du contrôleur et non le sien de tirer le signal d’alarme. Il nie avoir utilisé la plaque chauffante. Il affirme ne s’être absenté qu’une minute environ à un moment où le feu ne présentait aucun danger pour les passagers.

« L’enquête a ensuite montré que c’était faux » ajoute M. PESSON.

Lors de sa deuxième audition qui a eu lieu l’après midi suivant le drame, M. JANZ précise qu’il a pris le temps avant de sortir de la cuisine de refermer la porte coulissante et l’imposte de la fenêtre pour éviter les appels d’air. « Il ment sur ce deux points » commente le témoin. Quant au signal d’alarme, il dit ne pas l’avoir tiré parce qu’il ne sait pas à ce moment là où il se trouve et pense que ça peut être dangereux. « S’il avait pris deux secondes pour regarder par la fenêtre il se serait aperçu qu’il était en agglomération » reproche M. PESSON. M. JANZ répète alors que son seul but est de contacter le chef de train. Il ne comprend par ailleurs pas pourquoi les passagers ne sont pas sortis par plateforme avant. Il ne se souvient surement pas à ce moment que la porte avant est verrouillée.
Il précise par la suite que cette porte est verrouillée pour des raisons de sécurité.

M. JANZ indique lors de cet interrogatoire avoir aidé d’autres passagers à sortir par les fenêtres après l’arrêt du train. M. PESSON rappelle qu’aucun autre témoin ne le confirme. Il affirme que des témoins l’ont vu se réfugier à l’abri en criant.

Pendant la troisième audition, M. JANZ est interrogé sur les moyens mis à sa disposition pour alerter du danger. En particulier il lui est demandé pourquoi il ne s’est pas servi du signal d’alarme pourtant posté à 4 à 5 mètres seulement de son siège. M. JANZ admet ne pas avoir pensé à regarder par la fenêtre. Il soutient toujours avoir fermé la porte et la fenêtre. Pourtant, souligne M. PESSON, les constatations montrent que la porte était à 2 tiers intacte après l’incendie et était restée dans son logement, à l’abri du feu. De même l’imposte était restée ouverte d’après les éléments d’enquête.

M. JANZ, contrairement à ses premières affirmations dit lors de cet entretien qu’il n’a pas vu de fumée dans le couloir en quittant l’office. Dans ce cas là, s’interroge M. PESSON, pourquoi ne pas être allé chercher l’extincteur ?

M. JANZ souligne enfin l’absence de moyens de communication entre le wagon et le reste du train.

C’est lors de sa quatrième audition que M. JANZ dévoilera le fait qu’il a bu 1L de vin rouge italien acheté chez ED en même temps que sa nourriture pour le repas du soir. Il affirme parallèlement ne jamais boire pendant le service. Les investigations ont permis d’établir que M. JANZ a séjourné à l’hôtel Parisiana sans avoir attiré l’attention. L’enquête montre par ailleurs que ED ne vend pas de vin italien. L’analyse des prélèvements sanguins se révèle négative mais M. PESSON précise que le prélèvement a été réalisé tardivement du fait de l’agitation consécutive au sinistre.

M. PESSON continue ensuite en relatant les résultats des autres investigations. Une reconstitution dans une rame identique a permis de modéliser le temps d’absence de M. JANZ. Le temps le plus rapide est de 4 minutes 10, le temps le plus lent de 5 minutes 15 et le temps avec une allure moyenne, celui retenu, de 4 minutes 30. M. PESSON en tire la conclusion suivante : au moment où le feu est remarqué par M. JANZ le train est à 3 km en amont de son point d’arrêt il est donc en terrain plat et en pleine agglomération, un endroit parfaitement accessible aux secours.

M. PESSON a aussi rencontré un autre steward allemand, M. GLAUCH, qui lui a affirmé que, en cas de problème, la formation des stewards allemands implique de contacter le conducteur avec un téléphone intérieur. Il affirme aussi que chaque voiture doit être équipée de 2 extincteurs (ce qui est confirmé par M. ANDRIES, chef de service de la DB, qui indique qu’il doit y en avoir un à chaque extrémité). En ce qui concerne les décisions à prendre, elles reviennent au chef du train mais en cas d’urgence l’accompagnateur est habilité à tirer le signal d’alarme. Les effets personnels quant à eux doivent être mis dans un placard derrière le siège, jamais dans la cuisine et M. GLAUCH affirme qu’il ne ferme jamais les portes des couloirs.

Des investigations ont aussi été menées dans un wagon témoin de la DB.

Au moment de l’arrivée de la voiture témoin on constate qu’il y a un cintre accroché sur la butée aimantée que M. JANZ a pris à tort pour une patère. Il semble donc que ce soit une habitude des stewards allemands que de laisser leurs affaires à cet endroit. La voiture est placée sous scellé et doit rejoindre le dépôt de Blainville. En fait elle est rapatriée par erreur en Allemagne. Sa restitution est exigée. Au retour de la voiture, de nombreuses modifications ont été apportées :

Les 6 vitres du couloir et les 11 vitres des compartiments ont été remplacées par des vitres neuves.

Sur ces 17 vitres sont apposés des autocollants rouges portant en 4 langues l’inscription « en cas de danger briser la vitre avec le marteau ».

Dans chaque compartiment un marteau brise vitre est apparent sur le flan des armoires de toilette à proximité de chaque fenêtre.

Les crochets des quatre portes extérieures n’y sont plus.

Dans l’office, un commutateur électrique a été remplacé
une couverture anti feu est accrochée à la verticale de la plaque chauffante.

Une inscription indique « révision prévu pour le 9 mai 2004 ».

En conclusion M. PESSON indique que l’enquête a révélé que l’accident est d’origine accidentelle. M. JANZ est l’auteur d’une maladresse. Personne d’autre n’a accédé à la cuisine. Il est vraisemblable que M. JANZ ait accidentellement mis en route le bouton de la plaque. Mais, pour le témoin, l’accompagnateur « n’a pas assumé les responsabilités attachées à sa fonction ». Pour lui, soit le couloir n’était pas enfumé et M. JANZ aurait pu prendre l’extincteur au lieu d’une casserole ; soit, comme il le dit par ailleurs, le feu était trop important et dans ce cas il aurait du fermer la porte de la cuisine, prévenir les passagers et libérer les issues avant de la voiture. Il aurait aussi pu regarder par la fenêtre pour se rendre compte qu’à ce moment, il était possible de tirer signal d’alarme. « De précieuses minutes ont été perdues » ajoute M. PESSON, M. JANZ « a varié et menti dans ses déclarations dans le but de justifier le fait de na pas avoir assumé sa fonction », « la panique peut être excusable mais s’il avait gardé son sang froid, qualité requise quand on garde des vies humaines, toutes les victimes auraient pu être sauvées ».

Pour M. PESSON, Les crochets anti-intrusion ont fait perdre un temps précieux aux secours. Les portes avant et arrière, verrouillées pour des « raisons sécuritaires », ont couté la vie à trois personnes. De plus, il n’y avait aucun dispositif d’alarme sonore, et le seul extincteur se trouvait à l’opposé de la cuisine. Enfin, parmi les matériaux utilisés dans le wagon, ceux entrant dans la composition des vitres peuvent être mis en cause étant donné la difficulté à sortir pour les victimes.

M. PESSON est ensuite questionné longuement tant pas le tribunal que par les parties. Les questions, qui se poursuivent en début d’après midi, auront permis de préciser plusieurs points. Parmi eux les manifestations de l’absence de communication, élément fondamental alors que les accompagnateurs de la DB avaient pour directive principale de communiquer en cas de problème. Elles auront aussi révélés que l’utilisation du signal d’alarme aurait permis un arrêt plus rapide du train et que cet acte a été réalisé trop tard par l’une des victimes décédées.
Les marteaux brise vitres étaient indiqués de façon très discrète.
Pour M. PESSON, les variations dans les dépositions de M. JANZ montrent sa volonté de se disculper alors qu’il savait parfaitement que des vies étaient en danger.

Maître Lafarge, avocat de M. JANZ profitera de ses questions pour souligner que la SNCF était curieusement présente pendant les actes d’enquête. Une enquête menée contre X, grâce à une commission rogatoire générale et qui aura conclu à l’absence de mise en cause par les services de police de la compagnie française. M. PESSON n’en démordra pas jusqu’à la fin de sa déposition : pour lui, la SNCF n’a rien à se reprocher.

Interrogé par Me Lafarge sur le comportement d’un autre agent SNCF, M. KOHEN, qui avait aperçu la fumée, ouvert la porte du compartiment 120 avant de la refermer et d’alerter les passagers de la voiture 118 en priorité, M. PESSON répond que cet agent « a fait son boulot en s’occupant des passagers dont il avait la charge » « Si votre client avait fait pareil il n’y aurait pas eu de morts ! ». Me Lafarge lui lit alors la déposition de M. GREFFET –qui avait fait grande impression hier- lequel indique que M. JANZ a fait beaucoup pour alerter les passagers et s’est même exposé « plus que quiconque » aux fumées. « On fait passer mon client pour un lâche qui avait bu - affirme Me Lafarge - c’est faux ! »

L’après midi après quelques dernières questions posées à M. PESSON, c’est M. JANZ que le tribunal entend.

Les questions se cantonnent pour la journée aux thèmes
Þ de la formation du steward et
Þ de l’aménagement du wagon.

Instantanément traduit dans les hauts parleurs par les interprètes présents dans la salle, M. JANZ explique qu’il travaille dans les wagons lit depuis 1979. Il a fait plusieurs compagnies et plusieurs trajets avant d’être embauché dans sa compagnie actuelle. Suite à l’accident il a arrêté de travailler comme accompagnateur de nuit. Il a été suivi psychologiquement pendant 3 mois puis, parce qu’on ne savait pas quelle était exactement son rôle dans le drame, on lui a proposé un poste de contrôleur qualité qu’il a accepté. Son thérapeute lui avait de toute façon déconseillé de reprendre le poste d’accompagnateur de nuit. Aujourd’hui il n’est plus suivi.

Il faisait le trajet Paris Munich depuis environ un an, à raison d’une foi par mois. Il n’y avait jamais de briefing de sécurité avec les autres agents avant le départ. Désormais il y en a toujours indique-t-il. De même, personne ne s’interrogeait sur la sonorisation du train et les numéros de téléphone portable n’étaient pas échangés. M. JANZ indique qu’avant cet accident, le seul souci de sécurité qui occupait les agents et les institutions était de s’assurer que les passagers ne seraient pas agressés ou volés pendant la nuit. Ceci est la conséquence de nombreux vols commis dans les années 1990 et du meurtre d’un accompagnateur belge en 1993. Cela a conduit à la création de wagons « hermétiques ». A l’époque, personne ne s’est interrogé sur les problèmes que ce genre de dispositif pouvait poser en termes de sécurité en cas d’accident ou de défaillance de l’accompagnateur.

En ce qui concerne la fermeture des portes. Il n’y a pas de consignes particulières en 2002. Les verrous sont en place et c’est à l’accompagnateur de décider s’il convient de les utiliser ou non. Aujourd’hui on déconseille de les utiliser, ce qui explique que M. GLAUCH, interrogé en 2003 ne le fasse pas. A l’époque il y a une tradition parmi les accompagnateurs qui est de fermer les portes entre minuit et 5h. La formation initiale qui se fait auprès d’un accompagnateur chevronné permet de transmettre cette pratique. C’est comme ça que M. JANZ dit l’avoir appris. Quant aux crochets il n’y a avait pas de consigne non plus mais ils étaient présents, l’accompagnateur pouvait donc choisir de les mettre.
De même il n’était pas exceptionnel de ne voir qu’un seul extincteur dans les wagons. Cela n’a pas étonné M. JANZ. Il s’est même dit en entrant dans la voiture « tiens, il est là » en apercevant l’appareil.
Il y avait trois marteaux dans le couloir, « clipsés » dans des pinces posées au mur.

L’avocat de la famille AMORE partie civile revient sur la formation qu’a reçue M. JANZ. Le document remis aux accompagnateurs à la fin de cette formation précise en effet que l’accompagnateur doit parallèlement à toute autre action réveiller les passagers. M. JANZ, visiblement gêné par la remarque préfère conseiller à l’avocat de lire la page 8 du même document une page qui, lu par son avocat plus tard dans les débats s’avère être celle conseillant au personnel de contacter le « chef du train ».

Il avoue finalement après un silence se souvenir que le document contient cette mention. Le moment est solennel : il reconnait ne pas avoir respecté les consignes apprises qui imposent de se préoccuper des passagers.
Pour se justifier, Il ajoute que seul, il ne pouvait pas tout faire.

D’autres questions posées à M. JANZ par Me METAXAS qui intervient pour la FNAUTH et Me CHEMLA avocat de la FENVAC mettent à jour que la formation suivie par M. JANZ ne lui a pas permis maitriser l’utilisation d’un extincteur.

Les questions de Mme le Procureur montrent que M. JANZ n’a eu en 40 ans d’exercice professionnel que très peu de formations (une seule en réalité en plus de « séminaires commerciaux » pour apprendre à vendre), aucune formation linguistique. Il n’a en plus fait l’objet d’aucune évaluation ou notation de nature à apprécier ses compétences en divers domaines.
M. JANZ se décrit dans le cadre de son travail comme une sorte de « garçon de restaurant ». Il n’a absolument aucune responsabilité à bord et ne reçoit ses ordres que du « chef du train ». Un qualificatif sur lequel la Présidente reviendra à plusieurs reprises. La définition d’un tel terme semble traduire les disparités des systèmes français et allemands et M. JANZ, à qui l’on n’a pas indiqué qui était chef de train, croit au moment où il le cherche qu’il s’agit de M. BOESCH qu’il a vu contrôler des tickets.

Même s’il ne doit pas dormir, la position de son siège permet à
l’accompagnateur de se reposer. En cas de besoin les passagers et l’extérieur peuvent l’avertir grâce à un signal lumineux accompagné d’un « bip » léger suffisant pour le sortir d’une somnolence.

Après avoir posé des questions pour éclairer les points vus précédemment, Me LAFARGE demande à son client, qui a la possibilité de s’exprimer pour la première fois devant le tribunal ce qu’il avait à ajouter, en particulier à l’attention des familles. Celui-ci, visiblement ému déclare : « Ces évènements m’accompagnent dans la vie de tous les jours. Je suis en peine pour les victimes et leur famille surtout famille AMORE qui habite dans mon village. Je connais toute cette famille, nous nous rencontrons chez des amis. Hier il a été difficile d’apprendre les circonstances exactes du décès de ces enfants ça me poursuit jour et nuit de ne pas avoir pu faire plus et je sais que cela me poursuivra jusqu’à la fin de mes jours. »
L’audience ne s’est pas terminée là. Malgré l’heure tardive et la fatigue de son client qu’aura l’occasion de souligner Me LAFARGE, la présidente tient à aborder un dernier point : celui de l’emploi du temps de M. JANZ avant le départ du train.

Le prévenu relate alors comment le 5 novembre vers 7h, après avoir débarrassé les plateaux de petit-déjeuner de la voiture 120 suite au voyage « Munich-Paris », il est allé à son hôtel, a bu un café, a rejoint sa chambre et est allé faire des achats. Des achats qui auront monopolisé une certaine attention pendant l’enquête puisque c’est lors de cette excursion au magasin « ED » que M. JANZ a acheté, d’après ses propres dires, une bouteille de vin « italien ». Italien parce que le vin français ne lui réussit pas dit-il. Or les investigations (ticket de caisse à l’appui) montrent que non seulement le magasin ED ne vend pas de vin italien mais en plus que le ticket de caisse que M. JANZ indique comme étant le sien présente quelques difficultés. Il fait état d’une fourme d’Ambert et non d’un camembert comme il est inscrit dans le PV d’audition initial et certains éléments qui y figurent n’avaient pas été énumérés par M JANZ lors de ses premières auditions. De plus, lors de sa première déposition sur ce point, il affirmait être allé faire ses courses l’après-midi alors que le ticket de caisse en cause est daté du matin. Une erreur selon M. JANZ qui ne s’était rappelé que quelques jours plus tard, en parlant à un conseil juridique, qu’il s’était trompé. Il s’est aussi trompé sur le nombre de repas qu’il a fait ce jour là : deux et non un seul, pendant lesquels il a bu la bouteille.
Les parties et le tribunal s’intéressant à son manque évident de sommeil,

M. JANZ réplique qu’il n’est pas facile de dormir le jour mais qu’il était parfaitement en forme quand il a pris son service. Il n’a absolument pas l’impression que le vin ait eu une quelconque incidence sur sa façon d’être.
Me LAFARGE, visiblement piqué par autant de questions sur cette consommation alcoolique avouée, insiste par ses questions sur le fait que personne n’a fait état d’un comportement anormal ou d’une haleine alcoolisé chez M. JANZ. Ni au départ de Paris, ni au contrôle des tickets, ni une fois l’accident intervenu. Les analyses ne montrent rien.
Certes, comme il a été souligné, les déclarations de M. JANZ concernant sa consommation de vin ont varié entre le PV d’audition et la suite de l’instruction. Mais, Me LAFARGE met en cause le traducteur lors de l’interrogatoire qui est un policier. Il semble sous entendre, que, au-delà d’une erreur de la part de son client il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’une mauvaise traduction (volontaire ?) de ses propos.

C’en est trop pour le tribunal. Certes le prévenu n’est pas poursuivi pour des faits d’alcoolisation mais il est intéressant de connaitre l’état physique de M. JANZ au moment des faits. Le ton et les insinuations de Me LAFARGE ne plaisent pas : « cela marche aux assises mais pas en correctionnelle » gronde la Présidente. L’audience est levée.

Demain, 16 mars 2011 l’audition des experts dont M. KLENIEWSKI et la suite de l’interrogatoire de M. JANZ permettront d’aborder des points de fait déterminants. Les débats s’annoncent alors tout aussi passionnés…


AUDIENCE DU 14 MARS

Aujourd’hui s’ouvrait le procès de l’accident de train survenu dans la nuit du 6 novembre 2002 sur la ligne Paris-Munich ayant entrainé le décès de douze des passagers.

La matinée s’engage par une demande de nullité de procédure présentée par l’un des avocats de la SNCF, Me Quentin qui a immédiatement donné la position de la compagnie : elle fait l’objet d’une poursuite anormale, décidée par le procureur au dernier moment de la procédure dans un but étranger aux nécessites de la justice, ayant fait l’objet d’une publicité profondément anormale par le procureur de Nancy.

L’idée est que tout est de la faute du Stewart, Volker JANZ et de la DB (DeutscheBahn), la SNCF étant elle même la première victime de l’incompétence et des manquements à la sécurité démontrés par ses coprévenus.

Après une heure de débat, l’incident est joint au fond et le procès commence enfin.

La présidente l’annonce dès le départ, il s’agira ici de « faire du droit » pour déterminer les responsabilités de chacun dans ce tragique accident.

Cette première matinée est consacrée à essayer de retracer la chronologie des évènements. Tâche quelque peu malaisée parfois au regard de la longue période qui sépare ces évènements de l’audience. C’est pourquoi les avocats et le tribunal demandaient aujourd’hui aux témoins de faire un « effort de mémoire » afin de reconstituer au mieux la trame de l’accident. A ce titre étaient cités deux agents de la SNCF, MM. STOTE et CHRETIEN et deux sapeurs pompiers MM. GUDEFIN et GONCALVES.

1. Le premier témoin à intervenir est M. STOTE Pascal. Agent SNCF, M. STOTE est, dans la nuit du 6 novembre 2002, en train d’effectuer des travaux de remplacement d’aiguillage en gare de Nancy. C’est à ce moment, vers 2h10 qu’il aperçoit une fumée blanche s’échapper du train Paris-Munich. Avec deux de ses collègues il se dirige vers le lieu où le train a arrêté sa course, muni d’extincteurs. Arrivé sur les lieux, il constate qu’ils ne lui sont d’aucun secours étant donné l’intensité du brasier. Il se rappelle aussi ne pas avoir pu ouvrir les portes avec sa clé de berne.
A la question de savoir si muni d’une clé de berne qui fonctionnait il aurait été possible d’entrer pour éteindre le feu le témoin répond par la négative.
Du fait de l’absence de bruit et de lumière, mais surtout parce qu’il a constaté que le wagon était fermé et ne s’ouvrait pas à la clé de berne, le témoin affirme qu’il a cru jusqu’à l’arrivée des pompiers que le wagon était inoccupé.

2. M. CHRETIEN travaille au central sous station le jour de l’accident. C’est à cet endroit qu’il voit arriver M. MOMMER, un autre agent, vers 2h10, lui demandant de couper le courant en urgence. Il ne lui faut que quelques secondes pour exécuter cette opération. Sur demande de la présidente, M. CHRETIEN précise que son intervention comprenait en réalité deux étapes : la première étant de couper le courant pour arrêter le train et la seconde était de mettre à terre les caténaires pour créer un périmètre de sécurité pour permettre l’intervention des secours. La première de ces étapes a duré quelques secondes. Il a ensuite demandé à M. MOMMER de le tenir informé de la suite des évènements.
Dans ces cas là, précise M. CHRETIEN, « on agit, on pose les questions après. »

3. M. GUDEFIN, sapeur pompier à la caserne de JOFFRE composait un binôme d’attaque avec M. TISSERANT. Ce n’est qu’en arrivant sur les lieux qu’ils apprennent qu’il y a des personnes dans le wagon.
M. GUDEFIN souligne que l’accès au train était très difficile, il fallait passer des grilles munies de pointes ce qui a pris environ 1 à 2 minutes selon ses dires.
Du feu sort des fenêtres, il positionne sa lance et commence à arroser. Son collègue essaye d’ouvrir la porte pendant 30 secondes / une minute mais abandonne face à la résistance qu’elle présente. A ce moment là ils ont l’idée de passer par le wagon suivant mais la porte d’intercommunication est bloquée par des débris provenant de l’incendie qui fait rage à cet endroit, ils ressortent. A force d’acharnement, ils réussissent à ouvrir la porte arrière droite et entrent dans le wagon. Ils trébuchent sur un premier corps qu’ils évacuent.
Madame la présidente demande à M. GUDEFIN si l’on peut résumer ainsi les évènements :
- 2h15 : appel des pompiers
- 2h22 : arrivée des secours
- 2h26 : arrivée des renforts
- 2h35 : entrée du premier binôme dans la wagon.
M. GUDEFIN approuve.
Répondant à la question de la présidente il affirme par ailleurs qu’il n’était pas possible selon lui d’entrer dans le wagon sans aide respiratoire.

4. M. GONCALVES, sapeur pompiers qui était alors en binôme avec M. JANIN se souvient qu’avec son collègue ils sont intervenus par l’avant gauche du train. La porte étant fermée ils brisent une vitre, vraisemblablement la première ou la deuxième des fenêtres près de la porte, avec le tonfa d’un policier présent sur les lieux. C’est par cette fenêtre qu’ils entrent. En faisant demi-tour pour avancer vers la porte, ils découvrent plusieurs corps empilés dans le couloir. On n’aura pas manqué de noter pendant l’audience que la place exacte de ces corps est un élément important du débat. Le témoin affirme que les corps se trouvaient à deux mètres au plus de la porte, qu’il ne peut dire s’ils étaient juste derrière. L’évolution dans le wagon est difficile, la chaleur, presque insupportable, et la visibilité « zéro » l’obligent même à rebrousser temporairement chemin pour fuir la fournaise. Pour lui comme pour son collègue avant, il est impossible de pénétrer dans le wagon sans aide respiratoire et tenue spéciale.

Cet après midi est arrivé à la barre, un témoin, il faut le dire, des plus attendus par les avocats et le tribunal.
Jean Jacques GREFFET, à l’époque professeur de physique à l’école Centrale de Paris , est l’un des huit rescapés du wagon 120. Lors de ses auditions par la police, il avait expliqué comment il avait réussi à briser la vitre de son compartiment avec le marteau brise-vitre, faisant de lui la seule personne à s’être effectivement servi de cet instrument.
« M. GREFFET, je tiens à vous dire que vous nous avez tous bluffé ! » lui annonce Maître CHEMLA au cours des débats. « Bluffé » c’est le mot. En effet, si le témoignage de M. GREFFET était si attendu c’est que ses dépositions laissaient déjà apparaître avec quelle maîtrise il avait réussi à gérer la situation.

Fidèle à ses premières déclarations, le témoin relatait encore à la barre cet après midi avec une précision millimétrique comment il a réussi à s’extraire du wagon.

M. GREFFET explique qu’il a pour habitude de toujours « faire le tour du propriétaire » lorsqu’il entre dans un endroit inconnu, chambre d’hôtel ou train, et de repérer les issues de secours. Pourtant, c’est en cherchant un verre pour boire qu’il découvre, par hasard, le marteau brise vitre dans l’armoire qui surplombe le lavabo de son compartiment (il n’a pas vu les étiquettes indiquant en quatre langues son emplacement). Il le sort de l’armoire, l’observe et le remet en place. Il saura le retrouver au moment opportun.

Mais, en plus, M. GREFFET a le sommeil léger. Cette nuit là ce sont des cris (« raus ! ») qui le réveillent. Pensant d’abord à une tentative de le faire sortir du wagon pour le dérober (il ne parle pas allemand) il reste « plusieurs minutes » au lit avant de décider de s’habiller et de faire sa valise « à tout hasard ». Ce n’est que lorsqu’il aperçoit des volutes de fumée passer sa porte qu’il décide de passer par la fenêtre.

Il sait pour l’avoir lu sur les notices affichées sur les portes d’hôtel qu’il ne faut surtout pas ouvrir la porte à ce moment là. Pourtant, ce n’est pas sans hésitation qu’il va se décider à briser la vitre. En effet, n’ayant pas entendu de message d’alerte, il a peur de se voir reprocher son geste par la SNCF. « Même lorsqu’un RER s’arrête 5 minutes on a une information. Jamais je n’aurais imaginé que pour un évènement aussi grave on puisse ne pas en avoir » s’indigne-t-il. C’est la présence d’une autre passagère sur les voies (Mme MERCIER qui, citée, ne sera finalement pas venue déposer aujourd’hui) qui le décide.

Une fois sorti il tentera, vainement, de briser les autres vitres (et en particulier celle contre laquelle Mme MERCIER avait vu un enfant, le visage collé essayant désespérément de sortir) pour sauver d’autres personnes. Il sera obligé d’abandonner du fait de la mauvaise position dans laquelle il se trouvait (à 2m sous les vitres). « Pour moi ils [les autres passagers] étaient sortis par le couloir » affirme-t-il, « c’était inconcevable que les portes du couloir puisse être fermées, je n’ai appris que 2h plus tard qu’il y avait des morts ».

Le temps des questions reste marqué par la très grande maitrise du témoin. Professeur de physique, il sait que le marteau brise vitre n’est pas là pour (comme son nom ne l’indique pas) briser la vitre mais pour la fendiller, le reste de l’opération devant se faire au pied ou à la main pour faire tomber les débris sur le sol. Il sait que ce sont ses connaissances personnelles qui l’ont sauvé et reproche encore le manque cruel d’information pendant l’accident.

Les échanges particulièrement véhéments entre Maître LAFARGE l’avocat de M. JANZ, le steward allemand et Maître Robinet, avocat de la SNCF, qui auront certainement gêné le travail des interprètes anglais et allemands postés au fond de la salle, n’auront pas le moins du mondé ébranlé le témoin. Affichant la sérénité dont on ne doutait plus qu’elle soit l’expression de son caractère, M. GREFFET a témoigné de son ressenti pendant et postérieurement à l’accident, reprochant beaucoup aux institutions (la SNCF et la DB) et peu à l’homme, M. JANZ, qu’il a dit « affecté » par l’accident survenu dans un wagon dont il semblait se sentir « responsable » se présentant néanmoins comme celui « qui a fait une bêtise » selon les termes de M. GREFFET. Pour lui, l’idée d’aller chercher de l’aide comme a affirmé vouloir le faire M. JANZ en sortant du wagon n’était pas choquante en soi ; ce comportement soulève plutôt selon lui deux interrogations : celle de savoir si la procédure à suivre était pertinente et celle de savoir si elle a été appliquée.

En l’absence de Mme MERCIER qui, convoquée, n’est malheureusement pas venue déposer, la présidente a ensuite rappelé les positions des autres survivants du wagon 120.

1- Mme MERCIER et Mme WORMAN, après avoir tenté de briser les vitres avec une brosse à cheveux, ont réussi à sortir de leur wagon en poussant avec leurs pieds, avec toute la force du désespoir, la vitre de leur wagon qui est finalement tombée sur le sol après s’être désoclée. Une fois à l’extérieur, Mme MERCIER qui est sortie la première a aperçu un enfant le visage contre une fenêtre . C’est à ce moment là que M. GREFFET est sorti et l’a aidée à lancer des cailloux sur la fenêtre désignée. En vain.

2- M. ABACI partageait son compartiment avec M. MUCHALEK, ils ont été réveillé par l’odeur de la fumée et ont utilisé l’échelle pour défoncer la vitre et sortir.

3- MM Hearn, Pohlmann et Giraud ont aperçu l’incendie alors que le train roulait encore, alertés par des cris d’enfant (le compartiment des deux enfants décédés dans le drame était à côté du leur) et de la fumée. Ils sont sortis en passant par la vitre grâce à l’échelle.

Le dernier témoin de la journée est le Docteur Peton, médecin légiste. Il explique à la barre que les décès sont dus à une intoxication par deux gaz : le monoxyde de carbone d’une part et des dérivés cyanidriques d’autre part. Les corps retrouvés étaient tous couverts de suie ce qui implique une forte exposition aux fumées remplies de débris charbonneux - que l’on a par ailleurs retrouvé dans l’appareil respiratoire - mais peu d’entre eux étaient brulés (3 en réalité présentait des brulures mais de façon très partielles). Interrogé par la suite sur ce thème, il était catégorique sur le fait que ce n’est pas l’inspiration de gaz chauds mais bien la toxicité du milieu qui a entrainé les décès.

Sollicité par des questions tant du tribunal que des avocats, le médecin n’a pourtant pas pu éclairer certains points encore obscurs concernant le décès des victimes. En particulier il lui est impossible d’établir une chronologie des décès, même face à des constatations de taux différents de gaz dans les analyses de victimes qui ont pourtant péri dans le même wagon. De même, les lésions présentées par toutes les victimes qui, avant de rejoindre le laboratoire ont subi plusieurs déplacements, ne lui permettent pas de déterminer quels étaient les corps retrouvés dans le couloir (et en particulier celui que les pompiers ont trouvé « collé » au sol) et ceux des cabines. Il regrette d’ailleurs de ne pas avoir eu connaissance des lieux dans lesquels ont été retrouvées les victimes (l’opacité de la fumée dans le wagon n’a pas permis aux pompiers de le préciser), information qui selon lui aurait pu avoir son importance. De même, si l’expert est formel sur le fait que l’inhalation de gaz toxiques réduit à quelques minutes le temps de vie restant aux victimes, il lui est impossible de savoir effectivement combien de temps ont survécu celles examinées, faute d’information sur l’atmosphère respiré.

En d’autres termes, la journée semble marquée par autant de réponses que de questions. On retiendra celles-ci : si l’éclairage sur le déroulement exact des évènements dans les cabines des victimes décédés avant et pendant l’intervention des victimes sera difficile à faire pendant ces deux semaines, une chose est sure : plus d’information (tant sur l’incendie que sur la procédure à suivre en pareille situation) aurait sans doute permis que l’on ne se pose pas la question.

Demain, 15 Mars 2011, l’interrogatoire de M. Volker JANZ nous éclairera sans doute encore un peu plus sur le partage des responsabilités. Responsabilité que, dès le premier jour d’audience, chacun des co-prévenus se rejette…


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