« La Justice française manque de moyens »

Draguignan. L’avocate, ancienne ministre de l’Environnement, Corinne Lepage, est officiellement depuis vendredi l’avocate de l’Association de défense des sinistrés du 15 juin (ADS 15).
Spécialiste du droit de l’environnement, ancienne ministre de l’Environnement de 1995 à 1997, députée européenne depuis 2009, Corinne Lepage est officiellement depuis vendredi dernier, suite au vote à l’unanimité de l’assemblée générale extraordinaire, l’avocate de l’association de défense des sinistrés du 15 juin (ADS 15). C’est elle qui a gagné le procès contre le pétrolier Total dans l’affaire de la marée noire de l’Erika et qui défend actuellement les sinistrés de la tempête Xynthia.

Quelles sont vos premières impressions sur le dossier ?
Il n’y a pas à proprement parler de dossier. Disons qu’il y a un état de faits. Certaines personnes ont été prévenues, d’autres pas. Mais nous n’en sommes qu’au début de la procédure.

Comment va-t-elle se dérouler désormais ?
Il va tout d’abord y avoir un dépôt de plainte auprès du procureur de la République dans les prochains jours. Il y aura ensuite trois solutions.
Soit le procureur nous dit : « je ne fais rien » ; nous pourrons alors déposer une plainte avec constitution de partie civile.
Le procureur peut également décider de nommer un juge d’instruction : nous nous mettrons alors en contact avec lui pour déposer une plainte avec constitution de partie civile.
Enfin, il peut décider d’ouvrir une enquête préliminaire. Si au bout de trois mois il ne s’est rien passé, nous déposerons une plainte avec constitution de partie civile.
Rappelons, par exemple, que dans l’affaire Xynthia, les gendarmes avaient réuni 10 tomes de documents à La Faute-sur-Mer au cours de l’enquête préliminaire avant même la saisine d’un juge d’instruction.

Quelle est la particularité de ce type d’affaires ?
En fait on retrouve deux grands types de questions : premièrement, est-ce qu’on pouvait construire là où on a construit ? Deuxièmement, des interrogations sur la gestion de la crise elle-même.

L’alerte météo sur la Dracénie a été orange alors qu’une alerte rouge avait été diffusée sur la Vendée lors de la tempête Xynthia.
Absolument. Alors peut-être que n’était justifiée qu’une alerte orange. A ce stade, je n’en sais rien. C’est l’enquête qui devra le déterminer. Les sinistrés eux-mêmes m’ont également dit que les commerçants avaient été prévenus mais pas les particuliers. Après, en l’état actuel de l’instruction, je ne peux pas en dire plus.

En tant qu’avocate, vous avez choisi de vous spécialiser dans ce type d’affaires…
C’est une spécialité qui remonte à loin puisque cela fait 35 ans que je me bats aux côtés de victimes de catastrophes essentiellement industrielles, avec notamment les marées noires. C’est la même chose qui continue aujourd’hui avec les catastrophes naturelles.

Est-ce que ces affaires sont plus difficiles à plaider ?
D’une manière générale, la procédure pénale aujourd’hui en France est beaucoup moins favorable aux victimes qu’elle ne l’était il y a 10 ou 15 ans. Avant, on pouvait porter plainte et se constituer partie civile sans passer par la case du procureur de la République. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
On a créé un pôle Santé Environnement. Mais c’est un pôle qui n’a plus de moyens, si bien que les affaires ne remontent pas vers lui. Par exemple, le dossier Xynthia est traité localement.
Dans ces affaires, on a à la fois la question des procédures et celles des expertises, compliquées, que les juridictions concernées n’ont pas toujours les moyens de réaliser. On souffre du manque de moyens de la justice française.
Dans d’autres pays, en Allemagne par exemple, le juge d’instruction n’aurait que ce dossier. En France, il garde la charge de ses dossiers du quotidien en plus de cette affaire.

Le fait d’avoir à plaider face à des représentants de l’Etat ou des élus rend-il les choses plus compliquées ?
Tout d’abord, je suis tout sauf un avocat sujet à pressions. Tout le monde le sait. Je ferai donc mon travail, sans invective ni agressivité contre quiconque. Mais les victimes ont le droit de savoir ce qui s’est passé et d’obtenir de la justice réparation s’il y a lieu.

Mais quand l’Etat est la partie adverse, est-ce plus difficile d’obtenir l’écoute du juge d’instruction ?
On est dans un pays où les pouvoirs politique et économique sont extrêmement puissants. L’Etat se défend quand il est attaqué, et il a beaucoup de moyens pour le faire.
En France, on a une justice qui ne dispose pas des moyens qu’il lui faudrait. Nous n’avons pas de pouvoir judiciaire en France mais qu’une institution judiciaire. Par exemple, la carrière des magistrats du siège n’évolue pas comme elle le devrait. Nous avons beaucoup de progrès à faire pour devenir une démocratie au niveau européen sur ce plan-là, comme l’a montré récemment l’exemple de la garde à vue qui nous a créé de nombreuses difficultés au niveau européen.
il nous faut arriver dans un pays où tout le monde est traité de la même manière par la justice. Et ce n’est pas encore le cas aujourd’hui.

SERGE PAYRAU La Marseillaise - Publié le 16 juin 2011


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