Xynthia : la justice tente de démêler les responsabilités

La tempête Xynthia, qui a balayé l’Europe les 27 et 28 février 2010, a tué 47 personnes en France. La plupart d’entre elles dormaient à La Faute-sur-Mer (Vendée) cette nuit-là. Ce n’est pas sur cette commune que l’événement fut le plus violent, mais c’est pourtant là que le réveil fut le plus brutal.

Quinze mois après le drame, le juge d’instruction des Sables-d’Olonne, Yannick Le Goater, commence à démêler l’écheveau des responsabilités : après le maire de La Faute-sur-Mer, René Marratier, mis en examen pour « homicide involontaire » et « mise en danger de la vie d’autrui » le 14 avril, le magistrat a mis trois autres personnes en examen pour les mêmes motifs : Françoise Babin et Patrick Maslin, deux des adjoints au maire ; et Alain Jacobsoone, le directeur adjoint de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de Vendée, le 7 juin. Le fait que le maire ne soit plus seul désigné laisse ses avocats, Mes Olivier Metzner et Antonin Lévy, penser que « ses responsabilités ne sont pas aussi certaines que cela ».

La justice tente de comprendre pourquoi un tel drame est survenu sur cette fine bande de terre coincée entre l’océan et l’estuaire du Lay. « Les proches des victimes estiment que des manquements ont été commis et que l’alerte météo n’a pas été suivie d’effets », résume leur avocat, Me Benoît Denis, associé du cabinet Huglo-Lepage. Outre l’homicide involontaire et la mise en danger de la vie d’autrui, la plainte déposée par 97 personnes et l’Association des victimes des inondations de La Faute-sur-Mer, et de ses environs (AVIF) vise la prise illégale d’intérêts. Des élus locaux sont montrés du doigt pour avoir eu des intérêts privés dans la promotion immobilière.

La responsabilité du maire de La Faute-sur-Mer en question. La première véritable audition de René Marratier, qui avait été placé en garde à vue le 13 avril, a eu lieu jeudi 9 juin. La seconde est programmée le 22 juin. Le juge Le Goater s’interroge sur l’attitude des élus de La Faute-sur-Mer, qui ont continué à construire en zone inondable alors que le préfet avait prescrit, dès 2001, un plan de prévention des risques et inondations (PPRI). Pourquoi n’avaient-ils pas non plus mis en place un plan communal de sauvegarde (PCS), comme la loi les y oblige depuis 2004 pour informer la population sur les risques auxquels elle est exposée et sur la conduite à tenir en cas d’alerte ?

La défense du maire évoque les difficultés pour les petites communes – un millier d’habitants à La Faute-sur-Mer hors saison – d’être à jour des changements réguliers de législation. Un échange de courriers entre la commune et les services de la DDE-DDTM, datés des 19 et 26 juillet 2007, témoigne cependant de l’intérêt de M. Marratier pour cette question. « Quand bien même ce plan aurait existé, remarque Me Lévy, l’un de ses avocats, rien n’aurait permis au maire, qui vit dans la zone sinistrée, de l’activer ou même d’évacuer sa population. Le conseil de prudence donné ce soir-là était de rester chez soi et non d’évacuer. »

Le rôle des pouvoirs publics et de la préfecture. Il y a toutefois une différence entre évacuation et information. Ce que reprochent les familles des victimes, c’est de ne même pas avoir été informées. Pourtant, tout un processus d’alerte a été mis en place dans les heures qui précèdent la tempête. A 9 heures le samedi, Météo France délivre une mise en vigilance de niveau orange, et signale des vents violents, un « avis de très fortes vagues et de surcote sur le littoral ».

A 16 heures, l’alerte vire au rouge. « Une première en Vendée », précise-t-on à la préfecture. La sous-préfète des Sables-d’Olonne, Béatrice Lagarde, de permanence ce week-end-là, prévient les médias à 16 h 30 et active le serveur vocal, qui à partir de 17 heures appelle les maires du département. Le message indique que le préfet a déclenché une alerte rouge du samedi 22 heures jusqu’au dimanche 15 heures et qu’ils sont « invités à prendre connaissance au plus vite des informations sur l’événement qui (leur) sont transmises par fax et par mail ». M. Marratier valide l’appel à 17 h 15. Le fax arrive en mairie à 17 h 25, mais il n’ira pas le chercher.

A la sous-préfecture, Béatrice Lagarde rappelle le préfet, Jean-Jacques Brot, en poste depuis moins de deux semaines dans le département. Il active la cellule de crise et, à 22 heures, réunit les services de secours, de police et de gendarmerie, la protection civile, Météo France, la DDTM, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass), le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité (ERDF). Des consignes sont données : fermer le pont de Noirmoutier, prendre contact avec les hôpitaux, vérifier la liste des malades à haut risque vital…

Le préfet demande aussi à ce que l’on prévienne les maires de L’Aiguillon-sur-Mer, de La Faute-sur-Mer, et de Noirmoutier pour qu’ils vérifient l’état de leurs digues. Or cet appel n’a visiblement pas été passé. Après avoir recueilli le témoignage des personnes présentes à cette réunion, le juge a décidé de mettre en examen le directeur adjoint de la DDTM, à qui l’on avait confié la responsabilité de prévenir les élus.

Pour sa défense, la préfecture rappelle que tous les élus ont reçu un bulletin d’alerte rouge, très détaillé, cinq heures plus tôt. Qu’aucun d’entre eux n’a appelé. Les avocats de la commune rétorquent que la consigne donnée était de rester chez soi – or les victimes sont mortes chez elles. « Et d’après les informations qu’avait le maire, ajoute Me Lévy, la tempête serait moins forte que celle de 1999. Or celle-ci n’avait fait aucun mort sur la commune, et avait provoqué très peu d’inondation. »

Des conflits d’intérêts qui échappent aux poursuites. La plainte déposée par les victimes vise aussi la prise illégale d’intérêts. A La Faute-sur-Mer, Françoise Babin, la première adjointe, membre de la commission d’urbanisme, semble être au centre d’un conflit d’intérêts. Des permis de lotir et de construire ont en effet été délivrés sur des terrains qui lui ont appartenu. Par ailleurs, son fils, Philippe Babin, dirige l’agence immobilière dont elle était la gérante jusqu’en 2004. Quant au quatrième adjoint, Patrick Maslin, également membre de la commission d’urbanisme, il dirige l’une des entreprises de travaux qui a participé à la sortie de terre de ces maisons.

Ce curieux mélange des genres est vivement dénoncé depuis la tempête. Dans ses mises en examen, le juge ne retient pourtant pas la prise illégale d’intérêts. « Ces faits sont des délits. Ils sont frappés par la prescription de trois ans », explique une source judiciaire. La plupart des lotissements ont en effet été construits au début des années 2000.

Rien ne dit que le juge ne reviendra pas plus tard sur cette question, mais il faudrait qu’il s’appuie sur des actes, en lien avec le drame, qui ne tombent pas sous le coup de la prescription. Pour l’heure, les deux adjoints sont donc mis en examen pour « homicide involontaire et mise en danger de la vie d’autrui ». Sollicités à plusieurs reprises, les intéressés n’ont pas souhaité répondre aux questions du Monde.

Emeline Cazi - Le Monde - Publié le 14 juin 2011


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