Deux ans après le crash aux Comores, l’enquête piétine

Deux ans jour pour jour après le crash du vol Paris-Moroni (Comores), où 152 résidents français avaient péri et Bahia,une adolescente, avait survécu, les familles des victimes, scandalisées par l’inertie de l’enquête, adressent une lettre au président de la République pour tenter de faire avancer le dossier.

Nicolas Sarkozy avait déjà rencontré ces familles, en juin 2010, et « avait pris l’engagement de lever tous les obstacles pour trouver les causes de l’accident », se souvient Said Larifou, avocat d’une vingtaine d’entre elles. Après des mois de procédures judiciaires, aucune avancée ne permet encore à ce jour d’éclaircir l’origine de ce drame puisque, fait singulier, la compagnie Yemenia Airways n’a jamais communiqué les documents techniques et administratifs nécessaires à l’enquête, malgré les injonctions de la Justice et de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Elle invoque son statut de « locataire » de l’avion, propriété d’une société américaine, pour justifier sa rétention d’informations.

« Avion poubelle »

Aussi, rien du cahier de maintenance de l’A-310, des licences des pilotes, des contrats d’assurances ou de l’état technique de l’appareil accidenté n’est parvenu aux parties civiles ni au tribunal de Bobigny où une procédure au pénal est ouverte. Or, selon Me Said Larifou, sans ces documents, l’enquête ne peut aboutir et les familles « ne peuvent engager, avec certitude et efficacité, des actions en indemnisation de leur préjudice ». Encore moins désormais puisque que le délai d’un tel recours est fixé à deux ans. Surtout, sur le plan humain, « il est intolérable de ne pas savoir ce qui s’est passé », souligne Me Didier Jaubert, autre avocat des familles.

Enfin, l’enlisement du dossier aurait des conséquences d’autant plus graves que les causes supposées de la catastrophe se rejoueraient pour nombre de vols que la compagnie yéménite continue d’opérer. En effet, les passagers du vol accidenté avaient embarqué à Paris à bord d’un Airbus flambant neuf mais avaient été débarqués à Sanaa, au Yemen, pour prendre un « avion poubelle », convient-on à la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), chargé de les acheminer à leur destination finale, Moroni. C’est lors de cette liaison que l’avion s’est abîmé en mer. Très bien connue des autorités de l’aviation civile nationale et internationale, cette pratique pose de sérieux problèmes de sécurité puisque, en fractionnant l’acheminement des passagers selon plusieurs espaces aériens nationaux, elle divise aussi l’action de contrôle mais aussi les compétences et les responsabilités de différentes autorités. « Si, sortie de l’espace aérien européen, la compagnie change d’appareil pour un modèle qui n’est pas conforme aux normes de sécurité, on ne peut strictement rien faire, explique-t-on à la DGAC. Avec les compagnies étrangères, notre compétence et notre activité sont limitées aux seuls contrôles inopinés. Et ce que nous avons contrôlé jusqu’alors au départ de Paris n’a montré que des avions neufs ». Pour Me Said Larifou, « c’est d’une hypocrisie et d’une inconscience inacceptables ». « Nous avons bien conscience de cela, c’est un vrai problème », rétorque-t-on à la DGAC.

Des incidents similaires se seraient reproduits

A en croire des passagers de la même compagnie, sur la même ligne, des incidents similaires se seraient reproduits régulièrement, et encore la semaine dernière. Après deux tentatives infructueuses de décollage à Sanaa dans un autre appareil que celui dans lequel ils avaient pris place à Paris, puis un nouvel échec malgré un deuxième changement d’avion, voyageurs et personnel navigant ont refusé un énième « coucou de fortune ». L’Airbus neuf qui les avait originellement transportés a ainsi été « réquisitionné » sous pression, raconte Me Larifou.

Ce danger potentiel a conduit l’avocat des parties civiles à porter plainte contre X, en avril dernier, pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « obstacle à la manifestation de la vérité » sur les causes et les circonstances du crash de 2009.

D’un point de vue technique, il apparaît à ce jour, selon le pré-rapport du Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA), que l’erreur humaine soit en cause, sans plus de précisions sur les circonstances puisque les documents yéménites sont manquants.

Philibert Demory, procureur adjoint chargé du dossier au tribunal de Bobigny, a pourtant foi en l’instruction : « Je comprends bien que cela n’aille pas au rythme souhaité par les parties civiles mais l’enquête n’est pas au point mort. La compagnie yéménite refusant de coopérer, c’est certes plus compliqué mais nous contournons l’obstacle en nous adressant à d’autres autorités et nous attendons des éléments… ».

Delphine de Mallevoüe LeFigaro.fr 30 juin 2011


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