« Toute la relation du pilote avec la machine doit être repensée »

La formation des pilotes est sur la sellette. Parmi ses nouvelles recommandations, le BEA préconise en effet que les pilotes soient davantage formés au « pilotage manuel » et au « décrochage », y compris à « haute altitude ». Relançant ainsi une vieille polémique sur la compétence des équipages. Et le fait que le pilotage de plus en plus virtuel des avions modernes aurait perturbé le couple homme-machine. « L’élément clé pour comprendre le crash du Rio-Paris, c’est l’incompréhension qu’il y a eue entre l’avion et les pilotes », analyse Jean-Louis Barber, du Syndicat national des pilotes de ligne.

Joystick. Le BEA ne critique pas le cœur de la formation. Sélectionnés de manière très stricte via différentes filières (« cadets » d’Air France, Ecole nationale de l’aviation civile, armée de l’air), ils sont formés une première fois. Les pilotes doivent ensuite se qualifier pour chaque modèle d’avion, via une formation théorique et pratique en général financée par la compagnie. Et ce n’est que le début. « On est une des professions les plus formées, les plus contrôlées. Toute notre carrière est jalonnée de formations et de contrôles », explique Eric Prévot, commandant de bord sur Boeing 777 et chef-pilote. Ils se soumettent à un contrôle annuel de leur état physique et à une formation continue, avec stages théoriques et entraînement au simulateur deux fois par an. « Tous les six mois, on remet notre licence de pilote devant un contrôleur qui nous interroge et nous valide - ou pas. Dans ces exercices, sont intégrés tous les incidents qui ont pu survenir récemment », insiste Eric Prévot.

Les remarques du BEA sont en fait la conséquence d’une révolution technologique introduite par Airbus sur l’A 320 en 1988 : les commandes de vol électriques. Avant, le manche de l’avion était physiquement relié aux gouvernes. Désormais, lorsque le pilote donne un ordre sur son joystick, il est interprété par un ordinateur, qui décide ensuite de l’ordre à donner aux gouvernes. Le pilote est donc littéralement déconnecté de son avion.

Cette technique a apporté de grands progrès en matière de sécurité. Car l’ordinateur (et son pilote automatique) est capable d’empêcher l’avion de « décrocher », c’est-

à-dire de tomber. Il empêche le pilote de faire des manœuvres trop brusques. Impossible par exemple de faire un looping. Enfin, il est très précieux en croisière. En effet, à haute altitude, il faut rester dans un intervalle très étroit de vitesse pour éviter que l’avion ne tombe. Ce dont l’ordinateur se charge, libérant le pilote d’un stress important. Mais le progrès a son revers. Désormais, la majorité du travail des pilotes consiste à surveiller la machine. Avec le risque que leurs compétences de pilotage « basiques » s’émoussent. « Il y a un vrai débat sur le fait qu’il y a de moins de moins de pilotes qui foncent tous les week-ends en aéro-club et s’entraînent à faire décrocher l’avion », confie un pilote d’Airbus.

Le crash du Rio-Paris a également montré que les pilotes peuvent se retrouver démunis lorsqu’ils se retrouvent soudainement obligés de piloter en mode manuel, de nuit et à haute altitude, sans y avoir été formés. « Aujourd’hui, un avion est géré par un système dans lequel le pilote n’est qu’un des éléments. On nous dit même que le pilote est le "point faible". Or, les ordinateurs peuvent bugger, et le pilote n’a pas les moyens d’y répondre », indique l’ancien commandant de bord Gérard Feldzer.

Guerre de religion. L’automatisation fait même l’objet d’une guerre de religion entre partisans de Boeing et d’Airbus, l’avionneur européen étant accusé par ses détracteurs de l’avoir poussée trop loin. Par exemple, Airbus estimait avant le crash qu’il n’était pas nécessaire de former les pilotes au décrochage, car ses avions ne pouvaient pas décrocher. Le Rio-Paris a pourtant bien décroché, car la panne des sondes a déconnecté le pilote automatique.

« Il y a de moins en moins de formation au pilotage basique, mais cela correspond aussi à une volonté des constructeurs. Il faut remettre un peu plus l’homme dans la boucle », plaide Jean-Louis Barber, du syndicat des pilotes. Pour Gérard Feldzer, « il y a un problème de génération entre le pilote et l’avion. La technique a été plus vite que l’homme. » Selon lui, c’est toute une culture qui doit changer : « On n’a pas encore la culture du numérique. Toute la relation avec la machine doit être repensée. Il vaut mieux une tête bien faite qu’une tête bien remplie : trop d’informations tuent l’information. »

Liberation.fr - publié le 30 juillet 2011


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